La semaine dernière se tenait la conférence annuelle de Meta. L’occasion pour le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, de présenter de nombreuses innovations dans des domaines de pointe : réalité virtuelle, métavers, intelligence artificielle, réalité augmentée / mixte. Une authentique démonstration de force pour rappeler aux marchés financiers et concurrents que Meta dispose de ressources colossales pour repousser toujours plus loin les limites des technologies et usages numériques. Un formidable élan d’optimisme pour tous les acteurs du secteur quaternaire.
#RéalitéÉtendue #IntelligenceArtificielle #Métavers
En synthèse :
- La frénésie médiatique autour de l’IA générative force les grandes sociétés technologiques comme Apple, Google et Microsoft à ré-orienter leurs ressources pour éviter de se faire distancer par la concurrence ;
- Le fait de ne pas avoir à assumer un historique avec les outils informatiques traditionnels ou les smartphones laisse libre cours à Meta pour explorer de nouveaux territoires ;
- Les investissements et grandes orientations stratégiques fixés il y a 10 ans semblent porter leurs fruits, car Meta est maintenant un acteur de référence dans de nombreux domaines (réalité étendue, métavers, intelligence artificielle) en plus de son activité historique (les médias sociaux) ;
- Le prototype de lunettes de réalité mixte présentée la semaine dernière est un véritable exploit technique et scientifique, certainement l’objet technologique le plus complexe jamais réalisé ;
- Le projet « Orion » est avant tout un moyen de démontrer les capacités et la puissance de Meta, et surtout d’imposer un rythme d’innovation au marché.
Aviez-vous remarqué que ces dernières années, il n’y avait plus vraiment d’innovation présentée par les grandes sociétés technologiques comme Apple, Microsoft ou Google. Il semblerait en effet que les Big Techs se contentent de présenter inlassablement tous les ans des itérations de leurs produits-phares (respectivement : les iPhones / iPads / Macs, les ordinateurs hybrides Surface, et les smartphones Pixel). Non pas que ces géants numériques ne savent plus innover, mais car les ordinateurs, tablettes et smartphones sont en bout de cycle d’évolution.
Mis à part le lancement l’année dernière du Vision Pro d’Apple, un produit pour le moins contestable et contesté (cf. À quel besoin répond l’informatique spatiale ?), les grosses innovations sont plus à attendre du côté des autres constructeurs. Et encore, elles se font sur des produits que l’on peut qualifier d’exotiques comme des ordinateurs portables à deux écrans ou des smartphones pliables à 3 écrans.
Cela fait bien longtemps que nous sommes en attente d’innovations majeures (cf. Sommes-nous à la veille d’un nouveau paradigme numérique ? publié en 2019). La réalité est que ces grandes sociétés technologiques font toutes face au dilemme de l’innovateur (difficile de s’aventurer en territoire inconnu alors qu’il y a des vaches à traire : iPhone, Office, Google Search…) et car l’essentielle des ressources est pour le moment monopolisée par les développements de nouvelle version de leur assistant numérique (Copilot, Siri et Gemini). Amazon fait figure d’exception avec une large gamme d’objets connectés, mais leur diffusion se fait principalement sur le territoire américain, et l’ambition semble limitée… (cf. Alexa Is in Millions of Households, and Amazon Is Losing Billions).
Pour Meta la situation est différente, car ils ont raté le virage des smartphones, et car ils ont opté pour une approche différente avec leurs modèles génératifs. La grande conférence annuelle de la semaine dernière était donc l’occasion pour Markz Zuckerberg de démontrer la capacité d’innovation de Meta, et nous n’avons pas été déçus !
Des nouveautés à foison et de réelles prises de risque
Les keynotes sont l’occasion pour les grandes sociétés technologiques de présenter leurs nouveautés, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec celle de Meta, les annonces ont été nombreuses et variées, aussi bien dans la réalité virtuelle, que dans la réalité augmentée, que dans l’intelligence artificielle (Meta Connect 2024 : Quest 3S, Llama 3.2 et plus encore).
Pour une couverture complète des annonces, je vous recommande cet article très complet : Everything Meta Announced At Connect 2024. Sinon, voici un récapitulatif des nouveautés.
Pour tout ce qui touche à la réalité virtuelle :
- Un nouveau casque de réalité virtuelle, le Quest 3S, une version dégradée du modèle 3, mais à moitié prix et incluant des manettes gestuelles et des jeux ;
- Une réduction sur le modèle de référence, le Quest 3 ;
- L’arrêt des modèles Quest 2 et Quest Pro pour simplifier la gamme.
- La disponibilité d’accessoires pour le Quest 3 comme un capteur d’expressions faciales ou un aérateur pour les sessions prolongées ;
- Le lancement de nouvelles applications dédiées comme celles de YouTube ou d’Amazon Prime ;
- La disponibilité d’une application d’immersion spatiale appelée « Hyperscape » ;
- La possibilité de porter des applications Android dans la place de marché d’applications virtuelles ;
- Une prochaine nouvelle version du système d’exploitation Horizon OS.
Au sujet de Horizon Worlds, leur environnement virtuel :
- Une refonte des avatars pour plus de réalisme et de créativité ;
- La possibilité de générer des vêtements ou accessoires pour son avatar ;
- La possibilité d’intégrer des avatars non-humains dans les environnements (NPC).
Concernant la réalité augmentée :
- Une mise à jour des lunettes connectées Ray-Ban avec l’intégration de notifications, la lecture de QR codes et prochainement de la reconnaissance visuelle et de la traduction automatique ;
- Un plus grand choix de verres de correction avec notamment la gamme Transition d’EssilorLuxottica ;
- La présentation du projet Orion, des lunettes de réalité augmentée de nouvelle génération (que je détaille plus bas) ;
- La mention d’un projet intermédiaire baptisé « Hypernova » qui proposera un affichage minimaliste.
Enfin, sur le front de l’intelligence artificielle :
- La disponibilité d’une nouvelle version de leur modèle génératif de référence (Llama 3.2) qui peut maintenant générer et manipuler des contextuels et visuels ;
- Cette nouvelle version de leur IA générative est déclinée en plusieurs tailles pour pouvoir être intégrée aux smartphones et objets connectés (ex : casques VR et lunettes AR) ;
- De nouvelles fonctionnalités pour l’assistant Meta AI intégré à Facebook et Instagram, qui propose maintenant de nouvelles voix, le doublage automatique des vidéos, la synchronisation labiale, l’édition des images et photos ainsi que l’identification d’objets, la génération de légendes pour les stories ;
- L’assistant Meta AI permettra également de générer des contenus personnalisés dans les flux Facebook et Instagram, ainsi que de faire des suggestions de recettes de cuisine (entre autres choses).
Comme vous pouvez le constater, les annonces ont été TRÈS nombreuses, à l’image de l’ambition de Meta et de son fondateur.
Une consolidation de l’avance dans la réalité virtuelle
Depuis le rachat d’Oculus il y a plus de 10 ans, Meta est très investi dans tout ce qui a trait à la réalité virtuelle. La maison-mère à même changé de nom pour marquer cet engagement : Meta est la seule société qui a la vision, l’ambition et les moyens de créer le premier métavers. Des dizaines de milliards de $ ont été investis en R&D pour creuser une douve suffisamment profonde pour maintenir la concurrence à l’écart. Il en résulte une position de leader incontesté sur la réalité virtuelle pour Meta et même sur les domaines adjacents (Réalité mixte : Meta contre-attaque).
Avec cette nouvelle version de son casque de réalité virtuelle, Meta enfonce le clou et tente de siphonner le marché par le bas avec une offre qui est sur le papier imbattable : le Quest 3S coûte 1/10e du prix du vision Pro d’Apple et n’est certainement pas 10 fois moins bien ou puissant (Quest 3S Is Official: XR2 Gen 2 Chipset, Mixed Reality And Fresnel Lenses For $300).
Non seulement la partie matérielle est très bien maitrisée, mais Meta propose aussi une très large gamme de jeux et d’applications tierces pour augmenter la valeur perçue (YouTube Cowatching On Quest Will Finally Arrive Next Week et Meta Horizon Hyperscape Demo Shows Photorealistic Scenes On Quest 3).
Je pense ne pas me tromper en écrivant que Meta a fait le vide sur le créneau de la réalité virtuelle et qu’il semble quasi-impossible à d’éventuels concurrents de rattraper leur retard.
Les équipements, accessoires, jeux et applications de réalité virtuelle représentent-ils un marché avec suffisamment de potentiel pour justifier les investissements réalisés ? Difficile de le dire pour le moment, mais ce qui est certain, c’est que le marché de la VR ne s’évalue pas de façon isolée. La bonne nouvelle est que Meta est également très bien positionné sur la réalité augmentée / mixte et sur l’IA (deux faces et une tranche d’une même pièce)
Des IA imposées en douceur au marché (développeurs et utilisateurs)
Voilà plus de 10 ans que Yann LeCun a rejoint les équipes de Meta. Un recrutement qui n’est pas anodin, car ce chercheur est considéré comme l’un des inventeurs de l’apprentissage profond (le deep learning), et le lauréat du prix Turing en 2018.
Une décennie de R&D ainsi que des milliards de $ permettent aujourd’hui à Meta de se positionner dans le Top 5 des entreprises les plus actives et les plus légitimes du domaine de l’intelligence artificielle. Un savoir-faire qui permet également à Meta de siphonner le marché par le bas en distribuant notamment une gamme de modèles génératifs « ouverts » dont les développeurs raffolent car ils sont gratuits : Meta says its Llama AI models being used by banks, tech companies. C’est grosso-modo une façon très efficace d’acheter des utilisateurs, du moins de « forcer » l’adoption chez les développeurs.
Pour les usages grand public, la situation est différente, puisque Meta peut s’appuyer sur les 3 milliards de membres de ses différentes applications sociales (Facebook, Instagram, WhatsApp…). Là encore, Meta cherche à forcer l’adoption en intégrant son assistant numérique aux différentes plateformes sociales : Mark Zuckerberg says Meta AI already has 500 million monthly active users.
L’approche des équipes de Meta par rapport aux contenus synthétique est complètement décomplexée : « Au départ, les fils d’actualité montraient exclusivement les publications des amis et abonnés. Désormais, une nouvelle couche s’ajoute : du contenu généré par des systèmes d’intelligence artificielle, conçu pour correspondre aux centres d’intérêt de chaque utilisateur« . Plusieurs fonctionnalités sont ainsi proposées (ou seront prochainement proposées) aux utilisateurs :
- « Imagined for You » pour personnaliser le fil d’actualités avec des contenus générés (en fonction du profil et des préférences des utilisateurs) et pour modifier les images ;
- « Imagine Yourself » pour générer des images à partir de leur propre visage.
Oui je sais, ces cas d’usages de l’IA générative dans une application sociale peuvent faire peur ou perturber les utilisateurs historiques des réseaux sociaux en ligne, mais les moeurs ont changé et les chiffres ne trompent pas : il y a une demande pour des relations sociales synthétiques (Character AI Statistics: 20 Million Active Users).
Très clairement, nous sommes ici en territoire inconnu puisqu’il n’y a pas de précédent dans l’histoire de l’humanité. Je ne suis pas psycho-sociologue, mais je sais que le repli sur soi et les comportements solitaires sont les conséquences directes de la généralisation des smartphones. La solitude est une réalité que chacun cherche à combattre à sa façon, avec les outils qu’il a à portée de main. Les applications mobiles proposant des interactions sociales avec des contenus synthétiques et/ou avatars sont une réalité que l’on ne peut ignorer, surtout pour le poids lourd du secteur.
Souvenez-vous qu’il y a 25 ans, les services de rencontre en ligne étaient considérés comme malaisants, avant de finalement rentrer dans les moeurs et devenir le premier vecteur de rencontre amoureuse. Ce n’est qu’une question de temps avant que nous changions d’avis sur les contenus et interactions sociales synthétiques, un créneau que Meta ambitionne de se ré-approprier : WhatsApp is developing a personalized AI avatar generator et Instagram is starting to let some creators make AI versions of themselves.
Mais pas que…
Une recherche de la prime au premier entrant pour la réalité mixte
Outre la réalité virtuelle, le métavers et l’intelligence artificielle, Meta ne cache pas ses ambitions dans le domaine de la réalité augmentée / mixte, un créneau qu’ils disputent avec Apple et son tout nouveau vision Pro.
La plus grosse actualité de cette édition Connect 2024 était donc logiquement la présentation officielle d’un prototype de lunettes de réalité mixte baptisée « Orion« . Je ne vais pas rentrer dans les détails techniques de ce prototype (cf. Meta Orion AR Glasses: everything we know about the game-changing prototype), mais sachez que les équipes de Meta ont dépensé sans compter pour mettre au point ce qui peut être considéré comme les premières vraies lunettes de réalité mixte : Meta’s big tease.
12 ans après le lancement en fanfare des Google Glass, les premières lunettes de réalité augmentée, Meta peut se targuer d’avoir frappé un grand coup avec la mise au point d’un équipement aussi abouti qui se compose d’une paire de lunettes, d’un bracelet servant à capter les mouvements des doigts des utilisateurs et d’un boitier de traitement externe (pour éviter que les branches des lunettes ne chauffent trop).
Les premiers tests sont visiblement concluants, car nous nous rapprochons de ce sur quoi tous les geeks fantasment depuis de nombreuses années : Meta Orion Glasses Hands-On: Viewing AR’s Future As A VR Developer et Meta’s Orion glasses made me want to throw away VR headsets forever.
Le directeur du projet « Orion » nous explique que ces lunettes sont l’objet électronique le plus complexe jamais réalisé, et je veux bien le croire, car ils ont réussi à repousser les limites de ce que nous savons et pouvons faire avec la lumière. Un formidable accomplissement qui implique la résolution d’innombrables problèmes scientifiques, techniques et informatiques qui ont nécessité des moyens colossaux (nous parlons de dizaines de milliards de $). Il en résulte cette paire de lunette dont le coût de production est supérieur à 10.000$, donc un prix de vente théorique de 20.000$ ! Mais le résultat est là, et il est spectaculaire.
Était-ce réellement pertinent de la part des équipes de Meta de s’acharner à ce point sur ce projet ? Oui, car ils se devaient de prouver au marché qu’ils étaient capables de réussir là où d’autres ce sont cassés les dents : Leap Motion, Snapchat et tout plus récemment Microsoft qui jette officiellement l’éponge : Microsoft Is Discontinuing HoloLens 2, With No Replacement.
L’idée poursuivit par Meta n’est pas de se faire plaisir avec l’équivalent d’un « concept car » comme les constructeurs automobile ont l’habitude de le faire, mais d’écrire une nouvelle page dans l’histoire de l’informatique, ce qui fait la fierté (à juste titre) du fondateur de Meta : Mark Zuckerberg Reveals « Orion » Prototype AR Glasses.
Certes, Apple dispose d’un produit déjà commercialisé auprès du grand public, mais Meta vient de présenter au marché ce qu’il attend depuis de nombreuses années : la fameuse « Next Big Thing » (Why Mark Zuckerberg thinks AR glasses will replace your phone).
Tout ceci nous amène à nous poser la question de la finalité de toutes ces nouveautés.
Because why not?
Vous n’êtes pas censé ignorer que l’humanité traverse en ce moment une période compliquée avec plusieurs guerres et une crise multiple qui fragilise l’unité des peuples et menace la démocratie telle que nous l’avons connu jusqu’à présent. Cette paire de lunettes de réalité mixte à 10.000$ est-elle la solution à tous nos problèmes ? Non, clairement pas. En revanche, ce prototype nous prouve que oui, l’être humain est toujours capable de réaliser des choses incroyables et de repousser les limites de la science. Croyez-le ou non, mais ce projet Orion est pour moi l’équivalent du programme Apollo (envoyer un homme sur la Lune, là où il n’avait absolument rien à y faire) : un exploit scientifique et technique très inspirant qui permet de fédérer et mobiliser des compétences, énergies et capitaux pour relancer la machine à innover.
Le programme spatial américain du siècle dernier a mené directement ou indirectement à de nombreuses innovations dont nous bénéficions tous les jours. Qui sait ce que ce prototype de lunettes de réalités mixte va nous apporter dans un futur proche ? Justement : nous ne savons pas, mais s’ils ont les moyens de le faire, alors pourquoi s’en priver ?
Avec cette conférence, Meta nous prouve qu’ils en ont sous le pied et qu’ils sont parfaitement capables d’innover là où d’autres semblent avoir plus de mal. Une stratégie de diversification très ambitieuse et parfaitement bien orchestrée, grâce à la pugnacité de son fondateur que les marchés financiers apprécient : Zuckerberg’s metaverse gamble pays off with $200 billion fortune.
Tout ce que j’espère est qu’il n’écoute pas les détracteurs / jaloux / rageux qui se déchainent et qu’il continue de placer la barre toujours plus haut, à l’image de ce que peut faire Elon Musk sur d’autres domaines et avec un autre style (lui aussi très décrié).
Apprécions donc à leur juste valeur toutes ces innovations et réjouissons-nous de celles à venir.