Malgré des résultats décevants cette année, le secteur du luxe a affiché une croissance inaltérable durant deux décennies. Mais peut-on dire pour autant que le consommateur en a pour son argent? S’il est vrai que certaines marques entretiennent l’authenticité des valeurs, la démocratisation a introduit des biais et on est en droit de s’interroger sur le devenir d’une tendance du luxe contemporain qui confère davantage à l’illusion.
Le luxe comme marqueur social
À l’issue du sketch «je possède des thunes» qui l’a rendu célèbre, l’humoriste David Castello Lopez a eu l’idée géniale de lancer son t-shirt dont le prix varie en fonction du nombre d’étoiles: le T-shirt sans étoile coute 24,90€, alors que celui avec trois étoiles coute 79€; et comme il le dit dans la chanson «Et les gens voient que j’ai des trucs, ils disent p…. il a des trucs, bah moi aussi j’voudrais des trucs», résumant en trois phrases la mécanique de l’objet de luxe, comprise comme marqueur social.
Les marques ont parfaitement compris cette logique et pour l’entretenir misent désormais des sommes colossales. LVMH a dépensé environ 9,5 milliards d’euros en publicité et promotion en 2022, pour un chiffre d’affaires de 79,2 milliards d’euros (à titre de référence l’investissement publicitaire était de 4,7 milliards d’euros en 2020 pour un CA de 44,7 milliards d’Euros). Une bonne part de ces investissements concernent désormais des secteurs tels que la transformation numérique et l’amélioration de l’expérience client, en engageant activement les jeunes consommateurs, cibles privilégiées, à travers les médias sociaux et le commerce électronique.
Dans le cadre d’une «démocratisation», l’investissement de certains groupes porte désormais davantage sur des sujets tels que le branding ou le marketing, pourquoi pas tant que ceux qui s’y essayent réussissent à créer l’illusion et qu’ils trouvent des clients satisfaits.… Mais qu’est devenue l’attention au produit?
La satisfaction client au second plan?
Tandis que certaines marques de luxe cherchent à attirer le chaland par tous les moyens de séduction possibles et imaginables en misant sur les artifices de vente (communauté d’influenceurs, marketing digital, mise en scène…) on a parfois l’impression que l’expérience produit devient secondaire. Des «industriels du luxe» se contentant de faire à peine plus que la caricature de l’humoriste Lopez en cousant un logo sur un bout de tissu et affichant le prix fort.
Qui pourrait critiquer l’intention de faire profiter tout le monde aux grandes marques? Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, comme on le sait, et il est impossible de tout avoir à la fois: alors on a fait des sacrifices. Il suffit de se pencher sur quelques qualités jadis inhérentes à l’objet de luxe pour s’en rendre compte.
Qu’est devenu le soin dans la conception et la qualité de fabrication qui garantissait la pérennité d’un objet et permettait de le transmettre? Les manufactures horlogères sont le premier exemple qui vient à l’esprit: alors que certains industriels du luxe ont choisi de délocaliser pour produire afin de vendre en masse grâce à la magie du branding, elles continuent d’adopter une attitude vertueuse en se concentrant sur une production artisanale de garde-temps que l’on rêve de posséder mais surtout d’en «être le gardien pour les générations futures», pour paraphraser le fameux slogan de Patek Philippe.
Mais dans notre société contemporaine, ces valeurs qui visent l’éternité sont trop rarement mises en avant et de fait les consommateurs sont pressés d’acheter des objets éphémères et se sentent dans l’urgence. Ne seraient-ils pas plus à l’aise s’ils achetaient un article conçu pour durer et qu’ils ne doivent pas renouveler sans cesse pour obéir à la tyrannie de la mode? Leur expérience client ne serait-elle pas supérieure à celle d’un système de consommation qui touche parfois à l’absurde?
Luxe et préservation de l’environnement
À bien y réfléchir, les valeurs environnementales coïncident avec celles du luxe. La durabilité, la pérennité, l’optimisation (en opposition au gaspillage)….toutes ces qualités sont hautement recherchées et par les consommateurs soucieux d’avoir l’empreinte environnementale la plus faible et par ceux qui sont en quête de l’objet le plus valorisant. Les vêtements ne se transmettent pas de génération en génération, mais les consommateurs veulent de nouveau pouvoir les porter sur la durée – plutôt que de se retrouver dans la frénésie du jetable rythmée par la cadence infernale de la mode – ceci explique, par exemple, le succès remporté par la marque suisse de sous-vêtements Zimmerli, ou Erfolg. Ces atouts séduisent autant les amateurs de luxe que ceux qui veulent prendre soin de la planète. C’est la fameuse distinction entre consommer moins pour consommer mieux.
Si on a lancé quelques pistes de réflexion, on est loin d’avoir fait le tour du sujet. Toutefois on gardera à l’esprit qu’il faut tout faire pour que le respect reste la valeur cardinale dans l’ensemble du processus de création d’un objet de luxe: des acteurs de sa conception au client final en passant par les artisans de sa réalisation. Une production vraiment respectueuse des règles a de bonne chance d’être locale et c’est une opportunité formidable pour nos artisans et l’environnement.
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– Moins de marketing, plus de produit: retrouver le respect du luxe
Les marques de luxe multiplient les artifices pour séduire, à tel point que l’expérience produit semble parfois reléguée au second plan face à l’importance du branding.
Philippe Vallat – Fondateur et directeur de Pilot design sàrl