Alors que le marché attend fébrilement la sortie de GPT-5 et spécule sur la faillite de Google, il convient de prendre du recul par rapport à la frénésie médiatique autour de ChatGPT. On nous répète inlassablement au gré des articles, conférences, études et livrets blancs que l’IA générative est la solution à tout, mais personne ne se pose la question de définir quel est le problème. Une prise de hauteur nous permet de facilement réaliser que l’IA n’est pas la cause, mais la conséquence d’un quotidien où les terminaux, supports et outils numériques prennent une place toujours plus importante.

#Emarketing #TransformationNumérique
En synthèse :
- Les entreprises vivent dans l’illusion, leur véritable transformation ne fait que commencer ;
- Les innovations numériques masquent des transformations beaucoup plus vastes dont nous ignorons l’impact (4e révolution industrielle) , mais qui creusent la dette numérique ;
- Il n’y a plus de consommateurs-types, mais des clients protéiformes en recherches d’offres fluides (qui s’adaptent à leurs besoins, contraintes, envies…) ;
- Les marketeurs doivent faire face à une réinvention perpétuelle des pratiques (du « new normal » au « no normal ») ;
- La révolution de l’IA a commencé il y a bien longtemps, elle alimente maintenant une seconde phase de la transformation numérique.
J’étais le mois dernier à Lyon pour la première édition de l’Intelligence Marketing Day. C’était la première édition de cet événement à Lyon, mais c’était également la 8e édition à Rennes, un autre événement auquel j’ai participé en début d’année.

L’objectif de cette intervention, co-animée par Pierre-Philippe Cormeraie (PPC pour les intimes), était de faire le point sur l’évolution des usages numériques et d’anticiper les tendances marketing. Un exercice pas si simple, dans la mesure où l’IA générative occupe le devant de la scène et masque les tendances de fond (ChatGPT est clairement l’arbre qui cache la forêt).
Je me suis néanmoins plié à cet exercice et vous en présente une synthèse dans cet article. Pour les plus assidus, il y a également le replay de mon intervention à découvrir ici :
Je vous propose de décortiquer ces tendances à travers 5 paradigmes.
Trois grandes étapes de transformation numérique
Commençons par une vue d’ensemble de la transformation numérique des entreprises et organisations à travers trois grandes étapes caractérisées par des acronymes :
- Le SoLoMo, la combinaison de la généralisation des médias sociaux (Facebook, YouTube, Instagram…), des plateformes locales (Uber, Deliveroo, Booking…) et des smartphones (iPhone et Android). Une phase qui a commencé au début des années 2000 et atteint son apogée avec la crise de la COVID, et qui a déjà délivré tout son potentiel (Comment les smartphones ont changé le monde en 15 ans).
- Le BlolMeXR, la combinaison des services reposant sur la blockchain, du métavers et des applications de réalité étendue. Une phase qui a démarré il y a une dizaine d’années et va se prolonger pendant au moins 5 ans avant d’arriver à maturité (dans l’hypothèse la plus probable). Des technologies dont la viabilité à grande échelle reste à prouver… (Fin de la lune de miel médiatique pour le Web3 et le métavers).
- Le CloDaML, la combinaison du cloud computing, des big data et des pratiques de machine learning. Une phase qui s’étale sur une plus longue période, et dont nous sommes loin d’être sortis (La bataille du cloud se gagnera bureau par bureau).

Cette vision de très haut niveau nous permet de bien comprendre les transformations en cours ou réalisées dans les 25 dernières années : celles qui touchent le grand public (SoLoMo), celles qui touchent les infrastructures (CloDaML), et celles qui les éditeurs ont tenté d’imposer au marché, sans succès.
Nous parlons bien ici d’une vision d’ensemble qui ne s’applique pas nécessairement à quelques cas particuliers, mais qui permet de prendre de la hauteur pour bien réaliser que la plupart des entreprises et organisations vivent dans l’illusion : leur transformation numérique ne fait que commencer, et les plus gros changements sont encore à venir.
Les quatre prochains leviers de transformation
Dès que l’on parle de transformation numérique, les premières choses auxquelles on pense sont les outils et technologies numériques qui rendent possibles ces changements. Si la disponibilité de ces nouvelles technologies est une condition nécessaire au changement, elle n’est pas suffisante, car il y a généralement un cap d’adoption à franchir lié à la bonne appréciation de la finalité de ces transformations.
Au cours des 5 dernières années, nous avons ainsi pu assister à la maturation progressive de technologies dont nous commençons seulement à bien comprendre la finalité :

Comme vous pouvez le constater, les innovations numériques masquent des transformations beaucoup plus vastes dont nous ignorons l’impact, mais qui creusent la dette numérique : le déficit de connaissances et compétences dans les entreprises qui souffrent d’une défaillance de culture numérique (Les différentes facettes de la transformation digitale et l’importance de la culture numérique).
Intéressons-nous maintenant aux consommateurs et à l’évolution de leurs usages et attentes.
Évolution des usages
Toutes ces réflexions de haut niveau nous amènent à réfléchir à des choses plus pragmatiques comme l’évolution des usages. Il y a ainsi un impératif à prendre conscience de changements qui ont eu lieu et qu’on ne devrait pas remettre en question, mais qui devraient servir de point de départ. Si vous voulez être plus performant dans votre marketing, il faut acter cette série de changements :
- Nous sommes allés au bout des médias sociaux du type Facebook, Instagram… et qu’aujourd’hui les utilisateurs ont évolué vers des logiques communautaires avec des supports de proximité comme les applications de messagerie privée. Autant il est simple de faire la promotion de vos produits sur Instagram, autant il est très compliqué d’assurer leur promotion au sein de groupe WhatsApp).
- Nous sommes également allés au bout de ce qu’on peut faire avec les smartphones (plus de 9 adultes sur 10 ont des smartphones qui sont déjà saturés d’applications, donc ce n’est pas la peine d’en rajouter). Les nouveaux supports à conquérir sont les accessoires connectés (oreillettes connectées, montres connectées, enceintes connectées…). La difficulté est maintenant de savoir comment offrir de la visibilité à votre marque ou vos offres à travers ces accessoires connectés.
- Nous constatons également la faillite de l’information et plus précisément de la sur-information (emails, messages, tweets, articles, communiqués de presse, infographies, micro-vidéos…) qui génère un brouhaha terrifiant qui pousse les utilisateurs à se replier sur eux-mêmes et à adopter des supports d’information plus confidentiels comme les groupes WhatsApp publics ou les canaux Telegram privés. À partir du moment où les consommateurs s’informent à travers ces canaux, comment faire pour exister dans leur quotidien ?
- Nous nous intéressons également un peu moins aux digital nomads, ces jeunes qui habitent à l’autre bout de la planète, qui sont hyper connectés et travaillent à distance 24*7*365. Nous savons maintenant que ça ne représente que quelques milliers d’individus, une cohorte négligeable, d’autant plus que nous devons composer avec des millions d’utilisateurs éloignés du numérique, tous ces vieux de plus de 40 ans qui se débrouillent tant bien que mal avec les outils numériques (ils arrivent à acheter en ligne les produits dont ils ont absolument besoin et ne trouvent pas ailleurs, ils arrivent à payer leurs impôts, à faire tout ce qu’ils doivent faire par obligation, mais pas beaucoup plus). La question se pose de savoir comment parvenir à attirer leur attention et gagner leur confiance…
- Voilà bien longtemps également que la mode du casual gaming est derrière nous (les habitudes avec les joueurs occasionnels sont déjà prises). Le gros des utilisateurs sont des joueurs aguerris qui ne sont intéressés que par des jeux plus sophistiqués (ex : Pokémon Unite, CoD Warzone…). Comment faire pour attirer leur attention et leur vendre un produit en plein milieu d’une partie acharnée ?
- Et il y a enfin les moteurs de recherche, ou du moins LE moteur de recherche, celui sur lequel personne ne peut plus espérer des gains significatifs de visibilité ou d’acquisition de trafic tant la compétition est intense. Si de grands espoirs sont placés dans les assistants numériques comme alternatives aux moteurs de recherche, leur déploiement à grande échelle ne fait que commencer, et nous commençons tout juste à envisager e monétiser de l’exposition payante sur ces supports qui restent extrêmement instables et correspondent à des usages balbutiants (Chatbots et agents intelligents ne sont qu’une étape intermédiaire vers les assistants numériques).

Tous ces changements ne doivent pas être des sources de complaintes ou des sujets de discussion, mais des points de départ qui doivent vous servir à repenser votre marketing du point de vue des consommateurs et de leurs usages. Nous ne parlons pas ici de nouveaux consommateurs, mais des consommateurs habituels qui ont simplement adapté leurs usages et attentes aux nouveaux terminaux et supports numériques. Une adaptation plus ou moins rapide, donc une grande complexité pour modéliser et anticiper les comportements. Je pense ne pas me tromper en écrivant qu’il n’y a plus de consommateur-type (ex : la ménagère de moins de 50 ans), mais des clients protéiformes auxquelles ne correspondent que des offres fluides, celles qui savent s’adapter à leurs changements d’humeurs, d’habitudes, d’envies…
Plaçons-nous maintenant du côté des annonceurs pour étudier l’évolution de leurs pratiques et de leurs façons de travailler.
Évolution des pratiques
Si les habitudes et attentes des consommateurs ont évolué au fil des années, force est de constater que les pratiques des annonceurs ont également évolué, mais à des rythmes différents et selon des proportions différentes. La question n’est donc pas de savoir si vous devez prendre en compte ces évolutions ou non, mais plutôt quelle part de vos ressources doivent être affectées à ces nouvelles pratiques, avec toutes les difficultés qui leur sont associées.
Au cours de ces dernières années, nous avons ainsi pu assister à différents phénomènes :
- Le déclin des bannières (victimes des bloqueurs de bannières, mais surtout de taux de clics très faibles) au profit des contenus de marque. Si tout le monde est d’accord pour vanter les mérites du brand content, peu de marques ont internalisé le savoir-faire et les capacités de production de contenus à valeur ajoutée capables de compenser la baisse de trafic entrant lié à l’abandon des bannières.
- Les difficultés de recrutement des clubs clients qui poussent les annonceurs à développer les services de marque. Là encore, personne ne remet en cause l’intérêt des brand utilities, mais quelle est la légitimité d’une marque lambda à proposer des services sur un marché déjà saturé (ex : comparateur d’assurances) ?
- L’appétit sans limites des marketplaces qui prennent des commissions toujours plus élevées, poussant les marques sur la voie du Direct-to-Consumer, une internalisation d’un certain nombre d’activités (acquisition de trafic, conversion, livraison, satisfaction, fidélisation…) qui va bien au-delà de la vente en ligne. Se pose logiquement la question de la maturité des marques qui pratiquent le BtoBtoC depuis des décennies (réseau de grossistes et distributeurs) et n’ont jamais réellement eu à faire aux clients en direct (Le combat asymétrique entre marques traditionnelles et DNVB).
- Les supports de communication en 2D qui sont très bien maitrisés, mais finissent par lasser les utilisateurs qui leur préfèrent des médias en 3D où ils bénéficient d’une expérience plus immersive. Faire de la communication ou de la publicité en 3D ne se résume pas à ajouter une dimension à vos campagnes, ce sont des compétences qu’il faut acquérir (modélisation, squelettage, texturage…) et c’est surtout toute une culture qu’il faut appréhender : celle des jeux vidéo, un univers que les marques ont consciencieusement esquivé depuis des décennies.
- Les pratiques de growth hacking qui sont proscrites depuis l’entrée en vigueur du RGPD en 2018, qui laissent maintenant la place au marketing agile, un terme prometteur, mais dont personne ne sait à quoi il correspond au juste tant la culture de l’agilité est faible (Mythes et réalités de l’entreprise agile).
- Les contenus générés par les utilisateurs qui se font de plus en plus rares (difficultés à recruter et motiver les utilisateurs), que l’on espère compenser avec des contenus synthétiques. La promesse est belle, mais la qualité est-elle au rendez-vous ? Les clients et prospects sont-ils réellement intéressés par des contenus générés par une IA (sans parler des risques de dé-référencement par Google) ? Et surtout les marques ont-elles le droit d’exploiter commercialement des contenus générés par des services en ligne qui ne sont pas agréés par l’IA Act ?

Comme vous pouvez le constater, les questions sont nombreuses et les marques et organisations ont bien du mal à trouver des réponses formelles, car le terrain est instable. Il y a donc une double difficulté à surmonter pour les entreprises historiques : repenser son marketing pour donner la priorité aux canaux numériques (Les quatre facettes du marketing numérique), et s’adapter de façon continue aux aléas du marché (du « new normal » au « no normal »).
De l’intelligence artificielle à l’intelligence marketing
Tout ceci nous amène immanquablement à aborder le sujet de l’intelligence artificielle, non pas sous l’angle des dernières techniques de prompting, mais sur la question de savoir comment exploiter l’IA pour faire du marketing autrement. Gardez bien en tête que l’objectif n’est pas la quantité (faire plus avec moins), mais la qualité (faire mieux avec moins).
Le problème auquel sont confrontées les entreprises est qu‘elles ne peuvent espérer faire gagner du temps à leurs collaborateurs en les forçant à adopter de nouveaux outils qui reposent sur des modalités d’interactions auxquelles personne n’est formé (les prompts). Il est donc essentiel de prendre du recul par rapport au raz-de-marrée médiatique autour de ChatGPT pour comprendre d’où l’on part et vers quoi on se dirige : Si l’IA générative est le futur du travail, quel est son présent ?
Au cours de ce cheminement, les entreprises vont passer par différentes étapes de compréhension :
C’est donc un long travail de réflexion et d’introspection qui attend les entreprises, avec en priorité l’urgence de… ne pas céder à l’urgence de former les collaborateurs à ChatGPT pour privilégier une approche plus durable centrée sur la question de savoir où est-ce que l’on va et pourquoi (Quels problèmes essayons-nous de résoudre avec les IA génératives ?).
Une nouvelle étape de votre transformation numérique
Nombreuses sont les entreprises qui pensent qu’elles ont accompli leur transformation numérique an adoptant la visioconférence. La dure réalité est que la phase de numérisation de l’existant est maintenant complétée, et que les transformations majeures restent à venir : L’IA n’est qu’un moyen d’achever votre transformation numérique.
Nous ne parlons pas ici d’organiser un IAkathon ou de déployer une CDP, mais plutôt de réaliser que notre quotidien professionnel repose sur des outils informatiques, des méthodes et des modèles marketing conçus au XXe siècle, dans un environnement de marché qui n’existe plus.
Les ERP, logiciels bureautiques et 4P ont ainsi gagnés en popularité à une époque où il y avait de la croissance, où les consommateurs s’équipaient (fort pouvoir d’achat avec la mondialisation), et où les ressources étaient abondantes (énergie, matières premières…). Nous sommes maintenant pleinement rentrés dans le XXIe siècle, la page des 30 glorieuses étant tournée depuis bien longtemps, nous commençons à réaliser qu’il n’y aura plus de croissance en Europe, que les consommateurs sont déjà sur-équipés et que les ressources vont commencer à manquer. Dans ce contexte, tout est à revoir. Et c’est justement le but de la transformation numérique : exploiter les outils numériques pour travailler et vivre différemment.

Se projeter dans le XXIe siècle, c’est revoir les habitudes de travail, refondre son offre, repenser les modèles marketing, définir de nouveaux modèles d’entreprise, et même un nouveau modèle de société. Encore une fois : tout est à revoir, car il y a urgence (Les macro-tendances et grands enjeux qui vont façonner la civilisation numérique du 21e siècle).
Et n’attendez pas de votre patron ou du Gouvernement qu’il le fasse à votre place, car vous faites autant partie du problème que de la solution.
Qu’est-ce que vous pouvez concrètement faire ?
Maintenant que nous avons bien cerné les enjeux et identifié les tendances, il ne vous reste plus qu’à vous y mettre en définissant votre propre plan d’action personnel.
Voilà celui que je vous propose :
Oui je sais, ce plan d’action est très générique, mais il a le mérite de vous donner quelques pistes pour commencer à apprendre à travailler différemment (sur la base d’un binôme homme/machine) et à vous préparer pour les défis à venir une fois que la 4e révolution industrielle sera achevée : Du Web4 à la Société 5.0.