Le digital et l’IA sont des opportunités pour l’édition


Le secteur de l’édition est en crise. Primento se transforme et développe une offre plus large que ses e-books traditionnels pour intégrer l’ensemble des mutations: marketing digital, intelligence artificielle… L’occasion, aussi, d’un changement de CEO.

Thibault Léonard était CEO de Primento, un partenaire des éditeurs pour créer des e-books, en plus de diriger Mardaga ou de reprendre la Renaissance du Livre ou les éditions du Perron. Désormais, il se recentre sur ses activités éditoriales et devient administrateur d’une entreprise Primento en pleine mutation. Pierre Busana, ancien de chez VOO et spécialiste du digital, a pris la tête de la société en mars. Sa mission: élargir la palette de services pour accompagner les éditeurs dans leur transformation.

“L’édition, comme beaucoup d’industries, fait face à des défis gigantesques et certains acteurs sont dans une situation catastrophique, souligne Thibault Léonard. Historiquement, Primento était un diffuseur de livres numériques, qui travaille avec 200 maisons d’éditions belges, françaises, suisses ou canadiennes. Nous avons bâti une expertise et nous étions attendu sur d’autres évolutions qui peuvent être vues comme des opportunités ou des menaces pour le secteur. D’où cette évolution.”
Une façon de répondre à la crise du secteur, aussi.

“Il faut se réinventer”

“Les changements d’habitudes du lectorat sont importantes, constate Pierre Busana. De même, il y a un nombre sans cesse croissant d’auteurs auto-proclamés, qui choisissent l’auto-édition. L’intelligence artificielle intervient de plus en plus. L’utilisation de l’audio et les podcasts sont de plus en plus fréquents. Ce sont des tendances de fond qui transforment en profondeur le monde de l’édition.”

Ce monde est en souffrance, ce dont témoignent les chutes de maisons connues ou les PRJ, la disparition de librairies ou leur reprise. “L’indexation des salaires a fait croître nos coûts de 25% ces deux dernières années, résume Thibault Léonard. L’augmentation du coût du papier, à tirage égal, fait augmenter le coût de 40% par rapport à il y a quatre ans. Dans le même temps, le prix moyen du livre n’a pratiquement pas changé car dès que cela bouge, il y a un impact sur le volume.”

Quelles sont les options face à cela? “Les grosses maisons rachètent des plus petites avec leur catalogue, souligne celui qui a lui-même repris des éditeurs belges en passe de disparaître. Les plus petites doivent faire des gains en productivité, ce qui n’est pas évident. Ou alors, elles doivent compter sur un succès important de librairie, comme ce fut le cas avec Philippe Boxho pour Kennes, mais c’est imprévisible. Ou encore, il faut se réinventer. Il y a de grandes attentes en ce sens, mais les maisons n’ont pas la possibilité de faire la courbe d’apprentissage elles-mêmes. Elles ont besoin d’une rampe de lancement ou d’un accélérateur. Pierre était l’homme de la situation pour accomplir ce chemin pour lequel j’étais moins préparé.”

Primento veut devenir un “partenaire numérique” pour accompagner le changement. “Les petites structures indépendantes, à taille familiale, qui voient davantage les défis comme une opportunité, là où les grosses maisons voient le raz-de-marée arriver”, constate Thibault Léonard. “Elles sont plus agiles que les paquebots avec des structures de décision plus complexes”, acquiesce Pierre Busana.

“Sortir de la jungle numérique”

Le champ d’action du Primento 2.0 est bien plus large que ce qu’il n’était auparavant. “L’optimalisation du référencement sur les plateformes comme Amazon est devenue une priorité pour la vente en ligne, qui représente entre 30% et 50% des ventes totales, illustre Thibault Léonard. C’est devenu un vrai enjeu. Or, la plupart des éditeurs sont à ce point le nez dans le guidon qu’ils font un argumentaire commercial tous usages.”

L’équipe, d’une dizaine de personnes aujourd’hui, ne vient pas prioritairement de l’édition, mais bien de chez VOO, IBM ou du Boston Consulting Group. “Ce sont des profils business et digitaux, qui visent à augmenter les ventes et à se focaliser sur le numérique, explique son nouveau CEO. Nous offrons trois grands types d’aides.”

Premièrement, face à une prolifération de contenus et un marché à saturation, il est important de se distinguer grâce au marketing digital. “Tout le monde peut écrire son livre. Mais il est vital de communiquer de façon juste, au bon endroit, pour toucher la bonne audience, précise Pierre Busana. Nous travaillons sur les métadonnées, les SEO, les algorithmes et nous pouvons créer des visuels captivants. Nous aidons les éditeurs à sortir de la jungle numérique!”

Tout le monde peut écrire son livre. Mais il est vital de communiquer de façon juste, au bon endroit, pour toucher la bonne audience.

Pierre Busana

Pierre Busana

CEO de Primento

Le deuxième axe de travail est le développement de l’audio. “C’est d’autant plus stratégique que Spotify est arrivé sur les marchés belge, français et luxembourgeois avec sa propre offre de 12 heures d’audiolivres”, argumente le CEO. “Nous sommes là pour conseiller les éditeurs en ce sens, mais vu leur santé fébrile, on ne peut pas non plus leur dire de foncer tête baissée, complète Thibault Léonard. Nous les accompagnons pour voir s’il y a un marché, adapter leur business model et utiliser l’intelligence artificielle s’il le faut.” Les deux hommes en sont conscients: c’est une tendance d’avenir lourde, mais “ce n’est pas la ruée vers l’or”.

Le troisième volet, c’est l’intelligence artificielle au sens large. “C’est un raz-de-marée qui arrive, insiste Pierre Busana. Il vaut mieux apprendre le surf pour accompagner la vague plutôt que de la prendre frontalement. C’est le message que nous portons aux éditeurs.” L’IA permet, notamment, de traduire ses titres dans d’autres langues ou d’optimiser la communication en ligne. Mais la démarche pourrait consister, aussi, à nouer des accords pour vendre du contenu à des intelligences artificielles pour les entraîner, comme l’ont fait plusieurs éditeurs de presse écrite.

Nous sommes là pour conseiller les éditeurs sur l’audio, mais vu leur santé fébrile, on ne peut pas non plus leur dire de foncer tête baissée.

Thibault Léonard

Thibault Léonard

administrateur de Primento

La “pause éditoriale” de Mardaga

Parmi les 200 éditeurs faisant appel aux services de Primento, on retrouve une diversité importante. “Nous travaillons autant avec des éditions universitaires, comme celles de l’ULB, qu’avec des éditeurs de polars bretons comme Palémon, des éditeurs de voyages comme Nevicata ou encore des maisons juridiques comme Larcier.” Chaque maison a besoin de conseils adaptés à son public, à ses enjeux ou à sa diffusion.

Pour tous, cela permet de faire vivre le catalogue. “Cela offre des opportunités de croissance, incontestablement, mais qui dit transformation dit capacité de changement. C’est un énorme défi, insiste Pierre Busana. L’agilité est indispensable et nous pouvons la nourrir avec nos expériences. Nous sommes une sorte de hors-bord qui peut surfer sur la vague.”

Avec ses éditions Mardaga, Thibault Léonard sera forcément partenaire de Primento. Il a surpris tout le monde en affirmant, en début d’année, qu’il mettrait sur pause ses nouvelles productions. Il assume: “Ce qui m’a amené à cette décision, c’est la reprise du catalogue de la Renaissance du Livre. Nous avons 800 références en stock, je n’ose même pas dire combien d’exemplaires dans un entrepôt en France. C’est ce que je dis à mes collègues éditeurs: nous devons d’abord écouler notre stock, arrêtons de publier un énième livre similaire. En appuyant sur pause, une nouvelle dynamique s’est mise en place.” Elle peut, désormais, profiter des services de Primento.



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