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Le secteur café-hôtellerie-restauration (CHR) français découvre enfin les enjeux de l’expérience clientLe marketing expérientiel consiste à faire vivre au prospect ou au client une expérience mémorable lors de chaque point de contact avec une marque. Mais cette prise de conscience arrive-t-elle trop tard ? Analyse d’un secteur en pleine mutation technologique. Le 19 mars dernier, au salon Food Hotel Tech de la Porte de Versailles, une conférence révélait l’ampleur d’un phénomène encore méconnu : l’irruption de l’expérience client dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. Sur 25 conférences organisées, 7 traitaient spécifiquement de cette thématique, témoignant d’une appétence croissante pour ces nouvelles approches. Alain Beauvieux nous explique les tenants et aboutissants de cette incursion de l’expérience client dans les professions de l’hôtellerie-restauration.
Hôtellerie-restauration : la France découvre l’expérience client

Un secteur à la traîne technologique
Contrairement à d’autres industries, le secteur CHR a longtemps privilégié l’informatisation de ses ressources physiques au détriment de ses clients. « Les hôtels et restaurants ont commencé par informatiser la gestion de leurs chambres, de leurs salles, de leurs tables », explique Alain Beauvieux, fondateur d’Acantech et éditeur du logiciel CHR365. « Une logique de planification parfaitement compréhensible : quand on a 20 chambres à louer, il vaut mieux savoir si elles sont occupées. »
Cette approche, renforcée par le développement des plateformes de réservation en ligne comme Booking, est à l’origine d’un paradoxe saisissant. Alors que le secteur vit de l’accueil et du service, « beaucoup d’hôtels et de restaurants n’ont toujours pas de fichier client digne de ce nom », constate l’expert. Quand il existe, ce fichier se limite souvent au « minimum légal pour raisons de conformité », sans vision marketing.

Le réveil tardif d’une industrie
Cette négligence peut surprendre dans un secteur théoriquement orienté vers l’hospitalité. Mais il faut distinguer les segments : l’hôtellerie de luxe (4-5 étoiles) maîtrise depuis longtemps l’art de l’accueil personnalisé, justifiant des tarifs de plusieurs centaines d’euros la nuit. En revanche, les établissements de catégorie inférieure peinent à dépasser le stade de simple commodité.
« En France, nous avons un vrai savoir-faire en matière d’accueil », a souligné lors de cette conférence Kevin Giraudeau, directeur de l’École française d’hôtellerie et de tourisme. « Les écoles savent former des serveurs et réceptionnistes parfaitement compétents », poursuit Alain, « le problème n’est pas la formation, mais la volonté de mettre en œuvre ces compétences. »
Autonomie et personnalisation : les deux piliers technologiques
Face à cette situation, la technologie propose deux axes d’amélioration majeurs. Le premier répond à une attente sociétale profonde : l’autonomie. « Je ne connais plus personne qui achète encore ses billets de train au guichet de la SNCF », illustre Alain Beauvieux. « L’application SNCF Connect me permet d’être autonome, même si je fais gratuitement le travail de l’employé. »
Cette soif d’autonomie se retrouve dans l’hôtellerie. Une étude menée par Acantech auprès de jeunes diplômés bac+5 a révélé que plus de 90 % d’entre eux préfèrent utiliser une application sur smartphone que d’appeler la réception. Les raisons ? Éviter l’attente, la disponibilité 24 h/24 et la possibilité de prendre son temps pour faire ses choix.
Le second pilier concerne la personnalisation. McKinsey révèle que 71 % des clients s’attendent à une expérience personnalisée, et les trois quarts sont frustrés quand ils ne l’obtiennent pas. « Ce n’est pas un épiphénomène lié à quelques geeks en avance sur leur temps », insiste Beauvieux. « C’est une tendance plus que générale. »
L’art de la personnalisation réussie
« Les palaces et les 5 étoiles ont compris depuis longtemps que leurs clients ne doivent jamais être pris pour des inconnus. » Dès la première visite, l’attention particulière donnée au client fait la différence. Pour les clients fidèles, les questions sur leur séjour précédent et les attentions personnalisées créent un lien émotionnel fort.
Dès la première visite, l’attention particulière donnée au client fait la différence.
L’informatique peut démultiplier ces pratiques. Un simple processus matinal permet au réceptionniste de consulter la liste des arrivées et les préférences clients. « Une corbeille de fruits pour quelqu’un qui les apprécie est un geste important. Ce n’est pas une pomme, une banane ni un kiwi qui vont changer la rentabilité de l’hôtel », note Alain Beauvieux. « Or, c’est une attention à laquelle le client sera très attaché. »

Ce sens de la personnalisation peut aller très loin. Un établissement normand développe ainsi des campagnes ciblées autour de produits de haut niveau gastronomique, en s’adressant aux clients dont il connaît les affinités. Pour la Saint-Valentin, les offres visent naturellement les couples, tandis que d’autres moments appellent d’autres segmentations.
Expérience client et hôtellerie : les écueils à éviter
Mais attention aux dérives.
L’expérience de Beauvieux avec une grande chaîne hôtelière américaine illustre parfaitement ce qu’il ne faut pas faire. Arrivé tard et sous la pluie à Massy-TGV, il découvre que l’hôtel prétendument « proche de la gare » nécessite 30 minutes de marche dans un quartier peu engageant. Comble de l’ironie : cette même chaîne lui avait envoyé un long questionnaireLe questionnaire quantitatif (ou enquête) est une méthode d’étude de marché qui fait partie des plus utilisées. « pour préparer son arrivée ».
« Plutôt que de m’envoyer un interrogatoire de police, ils auraient dû me communiquer la seule information d’importance, à savoir la meilleure manière de me rendre à l’hôtel le soir », s’agace-t-il. Car ce questionnaire ne visait qu’à « remplir leurs propres fichiers », pas à rendre service au client.
Cette dérive révèle une confusion fondamentale : confondre expérience client et expérience employé. Comme le disait, en substance, Aristide Boucicaut, fondateur du Bon Marché : « Ne perdez jamais de vue que le client, c’est celui qui est en face de vous, ce n’est pas vous », conclut Alain.
Un marché en mutation profonde
Le secteur traverse une crise structurelle majeure. Entre 2013 et 2024, 25 % des établissements de catégorie basse (0 à 2 étoiles) ont fermé leurs portes. Le grand gagnant ? Airbnb, qui a « siphonné complètement ce marché », selon Alain Beauvieux. Et contrairement aux idées reçues, le Covid n’explique pas tout : le phénomène était déjà bien enclenché avant 2019.
Pourtant, cette crise recèle une opportunité unique. En France, 81 % des hôtels et près de 90 % des restaurants sont tenus par des indépendants, contrairement aux États-Unis où les chaînes dominent. « C’est une chance », estime Beauvieux.
Les indépendants savent cuisiner, ils ont été bien formés. Avec leur créativité et leur savoir-faire, ils peuvent créer de vraies expériences clients.
L’enjeu patrimonial de l’expérience client en hôtellerie restauration
Au-delà des considérations économiques, l’enjeu dépasse le simple business. « Sans ses hôtels et ses restaurants, la France pourrait fermer ses musées et ses monuments historiques », provoque Alain Beauvieux. « Il doit y avoir peu de touristes qui se disent “Je vais passer une semaine en France pour faire tous les McDo de Paris” ».
La gastronomie française, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, constitue un élément constitutif de l’attractivité touristique nationale. Supprimer cette dimension humaine et artisanale reviendrait à « se couper une jambe ».
L’humain au cœur de la résistance
Face à la montée de l’intelligence artificielle et aux inquiétudes sur l’emploi, le secteur CHR offre une résistance naturelle. « Pour accueillir les clients dans un hôtel, nous aurons encore et toujours besoin des humains », du moins « jusqu’à un temps prévisible ». Même constat pour « faire un bon repas » : l’automatisation trouve ici ses limites.
En conclusion, la tradition et la modernité réconciliées
L’expérience client dans l’hôtellerie-restauration ne constitue pas une rupture avec la tradition française de l’accueil, mais son prolongement naturel à l’ère numériqueDéfinition marketing digital, un terme utilisé en permanence et pourtant bien mal compris car mal défini. Les outils technologiques permettent de systématiser et d’amplifier des pratiques que les meilleurs établissements maîtrisent depuis longtemps.
Pour les 17 000 hôtels français et leurs 179 000 homologues restaurateurs, l’enjeu dépasse la simple survie économique. Il s’agit de préserver et moderniser un art de vivre qui constitue l’une des richesses les plus authentiques du patrimoine national. Entre les excès de la standardisation et l’immobilisme nostalgique, la voie du succès passe par une personnalisation technologiquement assistée, mais humainement incarnée.
L’expérience client n’est finalement que l’expression moderne d’une vérité éternelle de l’hospitalité : faire de chaque séjour un souvenir mémorable.