Rachat d’IPG par Omnicom, renforcement de Publicis dans le marketing en ligne et la donnée, entrée en Bourse d’Havas : le marché des agences de communication s’agite pour s’adapter en urgence à la mainmise des plateformes sur la publicité numérique.
La fin de l’année 2024 aura été celle des superlatifs pour les groupes de communication. Sur le marché de la publicité, Group M (WPP) a annoncé que le seuil des 1 000 milliards de dollars de dépenses publicitaires dans le monde allait être franchi en 2024, avec un an d’avance, grâce notamment au dynamisme des marchés américain et chinois. Cette performance est liée aussi à celle de la publicité numérique, renforcée par les plateformes – Google dans le search et la publicité programmatique pour des sites tiers, Amazon et Alibaba dans le retail media, Meta et ByteDance (TikTok) dans la publicité sociale. Ensemble, les plateformes représentent plus de la moitié du marché publicitaire mondial, le reste revenant aux régies des médias et aux agences de communication qui gèrent l’achat d’espaces.
Pour les agences de communication, les chiffres 2024 du marché mondial de la publicité soulignent l’impérative nécessité d’une diversification des sources de revenus, la gestion de la publicité pour les annonceurs leur échappant en grande partie. Certes, sur les 1 000 milliards de dollars du marché publicitaire mondial, une partie aurait de toute façon échappé aux grands groupes de communication, Meta comme Alphabet ayant développé un second marché où la publicité est automatisée et simplifiée au maximum afin d’attirer TPE et PME. Les grands groupes de communication concentrent, eux, les budgets des grands annonceurs mondiaux. Pour les conserver, ils doivent cependant remonter la chaîne de valeur de la commercialisation d’espaces vers les activités créatives, le conseil stratégique et le marketing de données.
Ces nouvelles activités expliquent la montée en puissance du groupe Publicis qui s’est imposé dès 2024 comme le premier groupe mondial de communication par le chiffre d’affaires, pour la première fois devant le britannique WPP. C’est que Publicis a diversifié très tôt son expertise. Alors qu’il avait misé sur la consolidation du marché en tentant un rapprochement avorté avec Omnicom en 2013-2014 (voir La rem n°28, p.47 et La rem n°30-31, p.64), le groupe français a ensuite réorienté sa stratégie en misant sur des fusions-acquisitions qui ont transformé son profil. En 2014, il a racheté Sapient pour 3,7 milliards de dollars afin de proposer aussi à ses clients un accompagnement sur la transformation numérique de leurs activités de communication ; en 2019, il a racheté Epsilon 4,4 milliards de dollars pour compléter son offre avec du marketing de précision, les données propriétaires d’Epsilon permettant de cibler efficacement les messages adressés aux consommateurs, ce qui autorise Publicis à se poser en alternative aux géants du numérique et à leurs régies intégrées (voir La rem n°52, p.82).
Ces activités de conseil et de marketing numérique font aujourd’hui la différence chez Publicis et expliquent la raison pour laquelle le groupe s’impose parmi les « Big Five », les cinq plus grandes agences de communication au monde : Publicis, WPP, Omnicom, IPG et Dentsu. Selon le classement établi par la banque JPMorgan, qui recense les pertes et les gains des contrats de communication dans le monde, Publicis a ainsi gagné le plus de nouveaux contrats au troisième trimestre 2024. Et le groupe français consolide son expertise en procédant de manière régulière à des rachats d’entreprises qui lui apportent de nouvelles compétences sur les marchés de la communication numérique.
En 2021, Publicis a acquis CitrusAd, une adtech spécialisée dans le retail media ; en 2022, Publicis s’est emparé de Profitero, qui a une expertise dans le marketing sur les sites d’e-commerce. Cet investissement dans l’e-commerce s’est traduit l’année suivante par un partenariat avec Carrefour, lequel apporte les données propriétaires dont il dispose sur ses clients. Enfin, en 2024, Publicis a encore investi plus de 1 milliard de dollars dans deux rachats stratégiques : en juillet, le groupe a racheté Influential pour 500 millions de dollars, la société étant spécialisée dans le marketing d’influence ; en septembre, Publicis a racheté Mars United Commerce pour un peu plus de 500 millions de dollars afin d’intégrer son expertise dans l’e-commerce et dans la distribution physique (activités de communication hors média). Ces rachats, qui ont transformé le profil de Publicis, se traduisent désormais dans le chiffre d’affaires, autour de 15 milliards d’euros par an, ce qui lui a permis de dépasser en 2024, pour la première fois, le leader historique WPP. Ce sont surtout ses perspectives futures de développement qui font la différence, ce qu’atteste son cours de Bourse, supérieur à 25 milliards d’euros mi-octobre 2024, loin devant Omnicom (19 milliards), IPG (11 milliards), WPP (10,2 milliards) et Dentsu (7,5 milliards). Cinq ans plus tôt, Publicis était le numéro 4 en Bourse, preuve de la pertinence de sa stratégie numérique pour les actionnaires.
Cette stratégie de transformation et de diversification est désormais suivie par tous les groupes de communication qui investissent dans la donnée et le marketing de précision, mais avec retard et sans les ambitions qui ont été celles de Publicis, ce qui traduit la différence entre leurs cours de Bourse respectifs. Ainsi, Omnicom a racheté en octobre 2023 l’agence de marketing Flywheel Digital, spécialisée dans l’e-commerce et le retail media, pour 835 millions de dollars. En 2018, IPG avait racheté Acxiom 2,3 milliards de dollars pour se renforcer dans le marketing de données. En 2016, Dentsu était devenu l’actionnaire majoritaire de Merkle avant d’en prendre définitivement le contrôle en 2020, pour 1,5 milliard de dollars, là encore afin de se renforcer dans le marketing digital. Le sixième acteur du secteur, Havas, qui vient de s’introduire en Bourse, a annoncé de son côté augmenter ses investissements dans la donnée et l’IA, qui vont passer de 60 à 100 millions d’euros par an entre 2024 et 2028. Toutes ces opérations trahissent la nécessité, pour le secteur de la communication, de se transformer en profondeur, le marché de la publicité stricto sensu n’étant déjà plus leur principale activité, qu’il s’agisse de l’achat d’espaces et de plus en plus des activités de création. À titre d’exemple, l’achat d’espaces ne représente plus qu’un tiers du chiffre d’affaires et des profits d’Havas, même si le deuxième groupe de communication français dépend encore de ses activités de création, plus que d’autres, ce qui le singularise sur le marché.
Quand la transformation des groupes de communication n’est pas assez rapide, la concentration du marché s’impose, d’autant qu’elle permet de rapprocher au sein d’une même structure des ensembles de données autrefois séparés, renforçant les capacités de ciblage des groupes. C’est d’ailleurs l’explication du succès de Publicis qui a intégré ses activités, comme celles des entreprises qu’il a rachetées, au sein d’un système unique, la plateforme Marcel et, pour les données et l’intelligence artificielle, CoreAI, lancée en 2024. Ce pari de l’intégration est désormais celui des deux plus grands groupes américains de communication, Omnicom et IPG (Interpublic Group), le premier ayant annoncé le rachat du second le 9 décembre 2024 pour 13,3 milliards de dollars. L’opération se fait par échange d’actions, ce qui laissera toute latitude aux actionnaires d’Omnicom pour contrôler 60,6 % du nouvel ensemble, qui deviendra le nouveau numéro 1 mondial avec un chiffre d’affaires annuel proche de 25 milliards de dollars.
Mais cette fusion ne réglera pas les problèmes d’Omnicom et d’IPG. Certes, des synergies sont attendues et les marchés des deux groupes sont plutôt complémentaires, mais seul Omnicom a su prendre le virage de la donnée quand IPG voit son chiffre d’affaires stagner depuis 2023 et perd des contrats. Le groupe est ainsi en train de se séparer de ses actifs dans la création publicitaire, désormais moins porteurs, pour se repositionner progressivement sur les activités de conseil et de marketing. Le 5 décembre 2024, IPG a ainsi cédé l’agence créative Huge et racheté, pour 100 millions de dollars, l’agence Node, installée à Mumbai et spécialisée dans l’analyse de données pour l’e-commerce. La fusion permettra toutefois à IPG de bénéficier plus rapidement de l’expertise numérique développée chez Omnicom qui, avec Publicis, fait partie des groupes de communication les plus engagés dans leur transformation. Reste que la Bourse n’a pas salué l’annonce du rachat d’IPG, voyant dans l’opération un moyen pour Omnicom de réaliser des synergies profitables, mais limitant, en revanche, son habileté pour se développer encore plus vite sur les activités numériques. Trois semaines après l’annonce du rachat, IPG avait perdu 8,5 % en Bourse et Omnicom 17 %. À cet égard, devenir numéro 1 mondial peut coûter paradoxalement très cher à Omnicom.
En effet, si l’on compare les performances des « Big Five » en 2023, Publicis voit son chiffre d’affaires croître de 6,3 %, Omnicom de 4,1 %, mais seulement 0,9 % pour WPP et -0,1 % pour IPG et -4,9 % pour Dentsu. Ces grands écarts témoignent à l’évidence de la bascule du marché qui donne une prime à ceux qui, les premiers, ont opéré leur transformation numérique.
Après Omnicom et IPG, WPP et Dentsu seront peut-être tentés à leur tour par le jeu de la consolidation du marché. Ils pourraient s’associer ou encore cibler Havas, dont l’introduction en Bourse a été peu concluante le 16 décembre 2024, notamment parce que Havas, la sixième agence de communication dans le monde, un cran en dessous des « Big Five », était présentée comme une cible parfaite pour Omnicom, désormais occupé à prendre le contrôle d’IPG. De son côté, Havas a une stratégie de croissance externe qui pourrait le conduire à reprendre une partie des activités d’IPG aux États-Unis, un marché où le groupe français est moins présent que ses concurrents. En effet, Omnicom devra à coup sûr se débarrasser de certains des actifs d’IPG si l’opération de rachat est accordée par les autorités de concurrence. D’autres agences de taille certaine, mais cette fois-ci plus petites que Havas, pourraient aussi entrer dans le jeu de la consolidation, ainsi de 4S au Royaume-Uni, l’agence fondée par sir Martin Sorrell après son éviction de WPP, ou encore M&C Saatchi.
Sources :
- Auffrey Christophe, « Publicis de plateforme à Système Intelligent grâce à l’IA », zdnet.fr, 26 janvier 2024.
- Cohen Claudia, « 2023, année historique pour les résultats du groupe Havas », Le Figaro, 8 mars 2024.
- Richaud Nicolas, « Publicis réalise une acquisition à un demi-milliard, sa plus grosse en cinq ans », Les Échos, 20 septembre 2024.
- Richaud Nicolas, « Publicis en passe de devenir le premier groupe mondial de publicité, devant WPP », Les Échos, 18 octobre 2024.
- Johnson Lauren, « IPG Just Splurged $100 Million on a Retail Data Firm – Here’s Exactly What It Gained », adweek.com, December 6, 2024.
- Woitier Chloé, « En rachetant IPG, Omnicom donne naissance au numéro un mondial de la publicité », Le Figaro, 10 décembre 2024.
- Boone Joséphine, Richaud Nicolas, « Omnicom rachète IPG pour devenir le nouveau leader mondial de la publicité », Les Échos, 10 décembre 2024.
- Richaud Nicolas, « IPG et Omnicom : la fusion XXL qui n’a pas bonne publicité à Wall Street », Les Échos, 2 janvier 2025.