Thomas et Manon, salariés d’une entreprise spécialisée dans le marketing digital, travaillaient ensemble sur un projet commun. Dès le début, Manon avait investi du temps et de l’énergie pour proposer des solutions innovantes. Mais à chaque réunion, Thomas présentait leurs idées comme s’il en était l’unique instigateur. Vous avez un air de déjà vu ? C’est normal, cette situation toxique est plutôt courante dans le milieu du travail, déplore Heidi K. Gardner, professeure à la Harvard Business School.
Si la réussite d’une entreprise repose en grande partie sur la collaboration et la confiance entre les collaborateurs, ce comportement fréquent peut compromettre cette dynamique. Le fait de s’approprier le mérite des idées d’autrui représente même un « énorme signal d’alarme » pour la spécialiste.
Ce comportement est l’un des pires obstacles en entreprise
Revenons à la situation vécue par Manon et Thomas. « J’ai d’abord été indulgente, raconte la jeune femme. J’espérais qu’il finirait par reconnaître mon implication. Mais lorsqu’il reçut les félicitations du directeur sans même mentionner mon rôle, j’ai senti une boule se former dans mon estomac. Comment pouvait-il s’attribuer les mérites de mon travail ? Au fil des jours, ma motivation s’est transformée en frustration, puis en épuisement. Cette situation d’injustice était au cœur de toutes mes conversations avec mes amis, ma famille et mon copain, jusqu’à ce que ma santé mentale finisse par être affectée. Un jour, j’ai décidé de démissionner malgré ma passion pour mon métier. Je ne regrette rien mais j’ai un goût amer. Je ne laisserai plus jamais quelqu’un s’approprier mon travail au détriment de ma santé mentale. »
Le témoignage de Manon est probant. Pour la spécialiste de Harvard, ce comportement est l’un des pires obstacles à la coopération en entreprise. Selon elle, il reflète soit un manque de fiabilité, soit un déficit de compétence. En d’autres termes, ce sont des incompétents qui savent se valoriser. Les reconnaître permet de s’en protéger.
Repérer ces « briseurs de confiance »
Ne pas reconnaître la contribution des autres fait écho à un manque d’éthique et sape la confiance au sein de l’équipe. « Ces briseurs de confiance ne réalisent pas à quel point leurs collègues contribuent à leur propre succès, alerte la spécialiste. Cette incapacité à reconnaître les efforts des autres est un signal d’alarme majeur ». Bien sûr, la réussite d’un projet ne repose jamais sur une seule personne. Elle est le fruit d’un travail collectif où chaque contribution compte. Pourtant, certains, volontairement ou non, oublient de reconnaître le rôle des autres. Cela peut créer un climat de méfiance et nuire à la cohésion d’équipe. En réalité, ces personnalités maîtrisent l’art de parler de ce qu’elles ne maîtrisent pas.
Cet excès de confiance est lié à un biais cognitif connu sous le nom d’effet Dunning-Kruger. Théorisé pour la première fois en 1999 par les psychologues David Dunning et Justin Kruger, ce mécanisme, également appelé effet de surconfiance, désigne les personnes les moins qualifiées qui savent se surestimer. « Ce sont des personnes qui ont toujours des pseudos-conseils ou des avis d’expert sur un sujet qu’ils ne maîtrisent pas. Cela peut s’expliquer par un manque de métacognition, c’est-à-dire une incapacité à prendre du recul et à se rendre compte de leur propre incompétence », affirme la psychologue Claire Petin. Il est parfois difficile de savoir si l’on adopte soi-même ce comportement. Par exemple, lorsqu’un supérieur vous félicite pour un projet réalisé en équipe, omettez-vous de mentionner la participation de vos collègues ? Ces situations, anodines en apparence, peuvent miner la confiance et nuire à la réputation de celui qui s’approprie indûment le mérite du travail des autres.