Cet article est dédié à nos lecteurs les plus fidèles… et aux autres.
Nous sommes ravis de retrouver Jérémy Lacoste, contributeur sur la Réclame .mark&tech. Jérémy est directeur général France de l’agence Eskimoz. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit sur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou dans ses tribunes sur la Réclame.
Fin 2024, Brian Chesky, le CEO d’Airbnb a annoncé la couleur : « Nous voulons rapprocher les gens, donner aux hôtes et voyageurs le sentiment d’appartenir à une communauté mondiale et locale. ». Fini donc le positionnement mono-produit sur la réservation de logements, désormais l’application se veut expérientielle et catalyseur de liens.
Pourquoi un tel pivot ? Le constat est assez simple : « Community is moat », comprendre ainsi que s’appuyer sur des utilisateurs conquis pour défendre la marque est le meilleur moyen de créer des barrières à l’entrée. En parallèle et sans lien direct d’ailleurs, le développement des moteurs de GenAI semble redonner ses lettres de noblesse aux communautés et à leurs espaces de discussion ? Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder de près les sources qui trustent le haut du pavé : Reddit, Wikipedia… et plus globalement tout le contenu produit par des utilisateurs finaux.

À rebours donc avec l’idée d’un web universel, top-down, dont les contenus sont produits, diffusés et contrôlés par les marques. De quoi donner quelques sueurs froides aux départements juridiques. On assiste donc à une forme d’archipélisation des échanges comme l’a résumé Jérôme Fourquet.
Le r »amp-up » impressionnant de Reddit qui vient d’ailleurs de lancer une campagne offline en France.

Plus le choix donc pour les annonceurs que de miser sur les communautés pour émerger. Et c’est déjà une réalité pour près de 50 % des acteurs du B2B qui voient dans cette approche par communauté un levier de croissance majeur
Théorisée en 2021 par David Spinks, la Community-led growth part d’un postulat assez simple : « si vous construisez une communauté, pas besoin de payer pour avoir une audience » sous-entendu, cette approche est sûrement le levier de croissance le plus scalable pour une marque. Pour ce faire, il a défini le framework SPACES qui permet de mesurer la force de l’écosystème créé :
Support : La communauté répond aux difficultés des utilisateurs de manière spontanée. Modèle Microsoft.
Produit : Les utilisateurs les plus engagés sont sollicités pour participer à des programmes d’idéation ou de construction de fonctionnalités. Modèle Figma.
Acquisition : Les earlys adopters ont une forte capacité à convertir de nouveaux publics, évitant ainsi l’approche publicitaire trop statutaire. Modèle Hyrox.
Contenu : Les ambassadeurs produisent de manière pro-active du contenu qui fait rayonner la marque. Le contenu se doit d’être incarné. Modèle Google Maps.
Engagement : Les aficionados sur-investissent tous les espaces de discussion / rencontre renforçant le sentiment d’appartenance. Modèle Apple.
Succès : La communauté partage les meilleures pratiques marché ce qui aboutit à l’adoption massive du produit. Modèle Salesforce.
Une fois le modèle posé, quelle application ?
Et c’est évidemment là que cela se corse. Cette 3ᵉ ère de communication que représente l’approche par communautés doit réussir à renverser le rapport de force historique entre marques et consommateurs. L’acte d’achat n’est plus l’alpha et l’omega de la relation. Le client est avant tout un ambassadeur / un champion / un évangéliste / un super-user… c’est au choix.

Car comme le résume Scott Cook : « Une marque n’est plus ce que nous disons au consommateur : c’est ce que les consommateurs se disent entre eux. » C’est précisément le nœud gordien pour les organisations qui se lancent dans la Community-led growth : comment réussir à faire prospérer un produit sans intervention directe, tout en s’assurant qu’il reste dans le cadre défini ?
McKinsey a modélisé il y a quelques années les 5 phases à adresser dans le schéma ci-dessous pour réussir à prendre le virage de la Community-led growth. À la clé : un taux de fidélisation X3.

Des succès story ?
Le cas d’école reste évidemment Salesforce qui dès le début des années 2000 a mis sur pied l’écosystème Trailblazer, aujourd’hui une communauté de trainers volontaires de… 4,5 millions de membres ! Il faut aller aux World Tours pour voir la force de l’attachement : mis à l’honneur par la direction de Salesforce, accès à des événements privés ; tenue spécifique ; présence dans les clips de lancement… tout est fait par la marque pour survaloriser cet engagement et cela marche !
Toujours côté tech, on ne compte plus les SaaS qui ont structuré leur croissance sur l’approche par communauté. Pensons par exemple à Notion et ses dizaines de templates partagés par des utilisateurs ambassadeurs sur tous les forums possibles et imaginables. Un subreddit dédié et de l’UGC en pagaille.
Pensons aussi plus récemment à Lovable dont la croissance fulgurante s’appuie là aussi fortement sur la traction et la visibilité de ses membres les plus éminents.

WordPress est aussi un bon cas d’école dont les dizaines de milliers de plugins créés par une communauté engagée a sensiblement contribué à son développement. De là à penser que la Community-led growth reste une cartouche à la seule main des boites tech ? C’est évidemment faire fausse route.
Le cas Harley-Davidson avec son iconographie et ses rassemblements privés posait déjà les jalons de l’approche par communauté. Dernièrement, c’est Weber qui me semble exceller là-dedans : les clients les plus engagés sont de vrais ambassadeurs et profitent d’expériences premiums qu’ils s’empressent ensuite de relayer à la communauté comme pour créer de la traction. Dans la même veine, Nike ou Sephora ont créé des groupes d’utilisateurs avancés afin de les mobiliser lors d’initiatives locales.
Autant de succès qui ne doivent pas empêcher d’avoir en tête deux écueils majeurs :
– Jusqu’à quel point la communauté peut s’approprier l’orientation de l’entreprise ? Pensée aux Potterheads.
– Tout miser sur le levier Community-led growth, c’est aussi prendre le risque d’attendre très vite un plafond de verre. On ne parle plus à ses clients, mais plus qu’à une fraction de ceux-ci.