la nouvelle équation commerciale de l’IA


L’intelligence artificielle s’invite partout, du marketing à la relation client. Mais, sur le terrain, elle redéfinit aussi la vente. Entre promesse d’automatisation et besoin de garanties, les cycles s’étirent, les objections se déplacent et la réputation des commerciaux devient un argument clé. Rencontre avec Michael Chaouat, VP Sales Europe du Sud chez Zendesk, pour comprendre ce qui change quand le terme « IA » arrive à la table des négociations.

L’IA, moteur de curiosité… et de lenteur décisionnelle

Le virage vers l’intelligence artificielle bouleverse les habitudes commerciales, mais pas toujours dans le sens qu’on imagine. Pour Michael Chaouat, vice-président des ventes de Zendesk pour la France, l’Espagne, l’Italie et plusieurs pays méditerranéens, la première difficulté n’est pas d’affronter un concurrent : « Notre plus gros concurrent, c’est toujours la même chose : ne rien faire. » Les cycles s’allongent, le nombre d’interlocuteurs grimpe et la décision ne tombe qu’une fois la preuve de valeur établie.

L’intelligence artificielle rend les prises de décision plus lentes.

Il insiste sur le paradoxe actuel : l’IA excite la curiosité tout en ralentissant les signatures. « L’intelligence artificielle rend les prises de décision plus lentes : c’est nouveau, le cercle de décision s’élargit, il faut plus d’évangélisation qu’avec un produit « métier » établi. » Signe qu’un discours purement technologique ne suffit plus, ses équipes commencent toujours par cadrer les limites : « La première question qu’on pose à un client, c’est : ‘Où est-ce que vous ne voulez surtout pas mettre d’IA ?’ » Trop souvent, dit-il, les organisations peuvent avoir tendance à vouloir « en mettre partout » sans déterminer l’enjeu à résoudre.

Du nice-to-have au must-have : la revanche du retour sur investissement

Cette exigence de retour sur investissement s’explique aussi par l’épuration opérée durant la pandémie. « Pendant le Covid, le marché a choisi les must-have et s’est débarrassé des nice-to-have », rappelle-t-il. Depuis, la rationalisation domine : « Les gens recherchent un retour sur investissement probant, rapide, avec des éléments de preuve. » Pour y répondre, Zendesk met en avant un modèle de facturation indexé sur la résolution de tickets plutôt que sur le nombre de licences : « Aujourd’hui, ce n’est plus un moyen, ce sont des résultats : il faut d’abord que ça marche. »

La taille et la maturité des marchés déterminent la tactique commerciale. Michael Chaouat parle volontiers de tiering : « On fonctionne sous forme de tiering, parce que ça nous permet de concentrer nos efforts et nos moyens en fonction du niveau de maturité d’un marché national. » Dans les économies moins avancées sur le sujet, le rôle du vendeur frise celui d’un conférencier : « Sur les marchés moins matures, tu as presque un rôle d’évangélisateur. Tu ne fais pas que vendre une solution, tu construis un marché. »

Vendre dans un monde hybride : recréer la proximité et attirer les A-players

Ce travail de conviction suppose de dénicher les bons relais en entreprise. « Notre métier est un métier d’agents du changement : on doit trouver, dans l’entreprise, ceux qui ne se contenteront pas du statu quo. » Le dirigeant admet que tout part souvent d’un DSI confronté à un « plat de spaghettis » : des années d’empilements applicatifs qu’il faut d’abord stabiliser avant d’ajouter une couche d’IA. C’est là qu’intervient la capacité à « simplifier la complexité ». Michael Chaouat compte sur ses ingénieurs avant-vente, présents pour vulgariser sans être vulgaires, et « adapter le discours au niveau de maturité de chaque interlocuteur ».

La relation humaine, elle, retrouve toute sa valeur après la généralisation forcée de la visioconférence. « Les moments les plus primordiaux pendant une réunion commerciale, c’est l’avant et l’après. C’est là que se glanent les informations qu’on ne dira jamais sur Zoom. » Selon lui, le Covid a certes « fait exploser la productivité, au détriment de la créativité », mais les clients réclament de nouveau des rencontres physiques : Athènes, Madrid, Milan, Lisbonne… « La notion de distance est relative : on se déplace, les clients sont très demandeurs. »

Ce que tu as de plus cher dans n’importe quel marché, c’est ta réputation.

Reste la question des talents commerciaux eux-mêmes. Au-delà de la technologie, tout se joue sur l’équipe : « Pour garder une équipe, il faut d’abord choisir les bons au départ : les A-players, exigeants, qui veulent qu’on les fasse évoluer. » La flambée salariale post-Covid s’est tassée, les « mercenaires » qui changeaient de poste pour 20 % de plus se raréfient, mais la réputation reste un actif clé : « Ce que tu as de plus cher dans n’importe quel marché, c’est ta réputation. »

Aux recrues qui débutent dans la vente de solutions de service et/ou d’IA, Michael Chaouat livre un conseil simple : « Être curieux. » La curiosité, dit-il, « rend humble » ; elle pousse à écouter plutôt qu’à dérouler un monologue, à ajuster sa liste de questions au fil des réponses et, finalement, à créer la confiance indispensable quand l’innovation effraie autant qu’elle séduit.



Source link