
Dans un contexte économique où la compétitivité se joue autant sur l’innovation que sur l’engagement sociétal, le digital s’impose comme un levier incontournable. Abir Jlassi Sdiri, experte internationale en digital marketing et e-business, observe depuis plus de vingt ans, entre la France et la Tunisie, comment les outils numériques peuvent transformer la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) en véritable moteur de performance et de différenciation sur les marchés.
La Presse — Au moment où le digital transforme en profondeur les modèles économiques, certaines voix expertes rappellent que son potentiel dépasse largement la simple optimisation des performances. Abir Jlassi Sdiri, experte internationale en digital marketing et e-business, met en lumière le rôle stratégique des outils numériques dans le déploiement et la valorisation de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE).
Elle a déclaré : «Depuis plus de deux décennies, j’accompagne des entreprises dans leur transformation digitale, entre la France et la Tunisie ». Pour elle, cette double expérience lui a permis de mesurer à quel point le digital peut devenir un levier stratégique pour structurer, déployer et valoriser une politique de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE).
Cependant, elle a souligné, qu’en Tunisie, cette dynamique reste freinée par des obstacles structurels, culturels et réglementaires. La RSE, bien qu’en progression, souffre d’un manque de clarté dans sa définition et son application. De nombreuses entreprises tunisiennes la réduisent encore à des actions ponctuelles, souvent caritatives ou événementielles : campagnes d’achat de fournitures scolaires avant la rentrée, distribution de couffins ou de colis alimentaires avant le mois saint…
Sans politique RSE efficace et durable !
Autant d’initiatives louables, mais rarement intégrées dans une stratégie globale. Peu d’entre elles mettent en place un département dédié pour élaborer une politique RSE efficace et durable, assortie de performances mesurables et d’une vision claire.
Elle a indiqué que ce déficit de vision est accentué par l’absence d’un cadre réglementaire contraignant, le manque de formation des équipes et la perception erronée de la RSE comme une charge financière plutôt qu’un investissement durable. « Selon une étude de l’Insee, seules 52 % des entreprises françaises de plus de 50 salariés mènent des actions RSE structurées. En Tunisie, ce taux est encore plus faible, notamment parmi les PME, sauf lorsqu’elles doivent se conformer à certaines normes de certification ou répondre aux exigences de bailleurs de fonds », a-t-elle fait savoir.
Face à ces freins, elle a expliqué que le digital offre des solutions concrètes et accessibles. Il permet d’automatiser le reporting extra-financier, de centraliser les indicateurs ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) et de faciliter la traçabilité des engagements. En France, le Portail RSE ou les standards européens de la Csrd (Corporate Sustainability Reporting Directive) encouragent les entreprises à structurer leur démarche et à la rendre visible. Le label RSE des agences digitales est même devenu un critère déterminant dans les appels d’offres et la sélection des partenaires.
Sdiri a précisé, qu’en Tunisie, l’adoption de plateformes collaboratives, de CRM éthiques ou de solutions cloud responsables pourrait accélérer cette transition, d’autant plus que l’intégration dans des programmes internationaux de subvention pour TPE et PME exige souvent une politique RSE solide et durable.
Des success stories à retenir
À l’international, elle a signalé que plusieurs entreprises prouvent que le digital peut être un moteur puissant pour la RSE. « « Patagonia », pionnière dans l’outdoor et le sport, a créé « Worn Wear », un programme de recyclage textile, soutenu par une stratégie digitale immersive qui valorise chaque détail de sa démarche écologique.
« Veja », marque française de sneakers éthiques, utilise les réseaux sociaux pour sensibiliser à la traçabilité des matières premières et au processus de production. « Infomaniak », hébergeur suisse, a investi dans des data centers écologiques et communique ses engagements via des tableaux de bord interactifs. Ces exemples montrent que, portée par le digital, la RSE devient un puissant vecteur de différenciation et de fidélisation, notamment auprès des consommateurs attachés aux causes environnementales.
L’experte a également insisté sur le rôle clé du marketing digital dans la vulgarisation et l’appropriation de la RSE : communication transparente sur les réseaux sociaux, campagnes participatives, contenus éducatifs, podcasts thématiques, ou encore valorisation d’un « User Generated Content » (UGC) spontané et de qualité.
Elle a cité l’exemple de « Monoprix », qui a supprimé ses catalogues papier pour réduire son empreinte écologique tout en renforçant sa présence en ligne, et celui de « Flunch », qui a mis en avant ses engagements pour le bien-être animal et la réduction du plastique via son site et ses applications. Selon elle, « ces gestes simples ont un impact concret sur la perception de la marque et son engagement sociétal ».
Pour les entreprises tunisiennes, Sdiri a expliqué qu’il serait essentiel de former les équipes aux outils numériques responsables : intégrer la RSE dans les stratégies de contenu ; mettre en place des KPIs clairs, dématérialiser les supports et passer à la documentation numérique.
La spécialiste a ajouté que des programmes comme le certificat « Stratégie RSE et digitalisation » de « Sciences Po » ou les modules de « Mandarine Academy » sur l’éthique numérique peuvent accompagner cette montée en compétences, et a conseillé la lecture de « L’entreprise contributive » d’Emmanuel Faber, « Marketing 5.0 » de Philip Kotler et « Digital for Good » de Richard Collin, qui offrent des perspectives éclairantes sur l’alliance entre technologie et responsabilité.
Des ressources et des talents pour relever le défi
Enfin, Sdiri a rappelé que la réglementation évolue rapidement. En Europe, le « Pacte Vert » et la Csrd imposent des obligations de transparence et de reporting ESG, tandis que la Loi Pacte en France invite les entreprises à inscrire une « raison d’être » dans leurs statuts.
Ces cadres pourraient inspirer la Tunisie à bâtir sa propre politique RSE, en s’appuyant sur le digital comme vecteur de conformité, de proximité, d’innovation et d’impact.Elle a conclu en affirmant que la convergence entre digital et RSE n’est pas une simple tendance, mais une transformation profonde, exigeant vision, cohérence et courage.
En tant que femme entrepreneure engagée entre deux rives, elle est convaincue que les entreprises tunisiennes disposent des ressources et des talents nécessaires pour relever ce défi. « Le digital est là ; il ne reste plus qu’à enclencher la volonté », a-t-elle résumé.