Quelques données chiffrées suffisent à cerner le “track record” assez exceptionnel de ces deux bourreaux de travail, passionnés d’innovation et d’entrepreneuriat. Entre 2010, année de leur première rencontre à Bruxelles, et 2025, Thibaud Elzière et Quentin Nickmans ont créé “from scratch”, comme on a coutume de dire dans le monde des start-up, plus de cinquante entreprises ! Certes, il y a eu quelques échecs (cinq ou six, ce qui est une proportion très faible en matière d’entrepreneuriat et de capital à risque). Au palmarès de Hexa, on trouve surtout trois “licornes” – Aircall, Spendesk et Front (chacune de ces sociétés est valorisée à plus d’1 milliard d’euros), plusieurs “centaures” (sociétés dont le chiffre d’affaires annuel récurrent atteint au moins 100 millions d’euros) et une série de boîtes qui, si elles ne cartonnent pas encore, tournent très bien.
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Dans un café de la rue du Bailli
Il est probable que, sans l’entremise de Jean Derély (fondateur du BetaGroup qui, de 2008 à 2011, organisa à Bruxelles des rencontres où on parlait de tech et de start-up), Hexa n’aurait pas vu le jour. À l’époque, Thibaud Elzière, jeune ingénieur et entrepreneur français installé à Bruxelles, venait de vendre une première “tranche” de Fotolia, start-up qu’il avait fondée six ans plus tôt (Fotolia sera totalement rachetée, quelques années plus tard, par Adobe pour 850 millions de dollars, montant dont Thibaud Elzière ne percevra qu’une toute petite partie). “J’avais l’idée de créer un studio pour lancer plusieurs boîtes en parallèle, raconte-t-il. Mais je ne voulais pas le faire seul. C’est Jean (Derély) qui m’a dit de rencontrer Quentin (Nickmans). On s’est vu dans un café de la rue du Bailli, à Ixelles. Il est arrivé avec son ordinateur et son PowerPoint. Ça m’a fait marrer ! C’était vraiment la caricature du consultant carré. Pourtant, il y a eu une espèce de coup de cœur. Très vite, on a senti qu’on pouvait bosser ensemble”.
On partageait aussi l’idée de créer différentes boîtes en parallèle. Mais on n’avait pas encore en tête un modèle de start-up studio bien défini. On s’est un peu lancé la fleur au fusil!”
Quentin Nickmans, francophone de Flandre et “Solvay Boy” ayant fait ses armes chez BCG (entre Bruxelles et Paris), venait de revendre son entreprise de livraison de repas à domicile, Eating Desk, au groupe Resto-In. “L’élément déclencheur, lors de ma première rencontre avec Thibaud, a été la complémentarité de nos profils, se souvient-il. On partageait aussi l’idée de créer différentes boîtes en parallèle. Mais on n’avait pas encore en tête un modèle de start-up studio bien défini. On s’est un peu lancé la fleur au fusil !”.
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Les rois du “Saas”
La sauce va prendre très rapidement entre les deux trentenaires. Dès 2011, eFounders voit le jour. “On voulait prendre le contre-pied de Rocket Internet (studio fondé en 2007, à Berlin, pour “dupliquer” en Europe des start-up américaines à succès, NdlR). Il s’agissait de créer des boîtes innovantes, from scratch, dans le domaine du SaaS (Software-as-a-Service, à savoir des logiciels disponibles en ligne, NdlR), pour les entreprises, et en les développant avec deux cofondateurs et des experts d’eFounders pendant 12 à 18 mois”. Une fois mises sur les rails, les start-up réalisaient une première levée de fonds – à laquelle eFounders prenait part – et quittaient le studio.
“Quand on allait voir des VCs, ils ne comprenaient pas que le SaaS allait devenir la norme pour les entreprises. Les mecs ne juraient que par l’e-commerce et les places de marché.”
Ce modèle, tout à fait disruptif en 2011 sur le marché européen, Thibaud Elzière et Quentin Nickmans vont le porter à bout de bras durant les premières années. “Quand on allait voir des VCs (fonds de capital-risque, NdlR), explique M.Elzière, ils ne comprenaient pas que le SaaS allait devenir la norme pour les entreprises. Les mecs ne juraient que par l’e-commerce et les places de marché. C’est pour ça qu’il a fallu pas mal de temps pour lever des fonds”. Pendant quatre ans, les deux fondateurs vont devoir y aller de leur poche pour faire tourner le studio et faire émerger des premières start-up susceptibles de séduire des investisseurs.
Premiers “exits”
En consacrant énormément d’énergie à recruter les meilleurs talents (à la fois pour l’équipe d’experts du studio, comprenant une quinzaine de personnes, et pour les entrepreneurs appelés à cofonder et gérer les start-up), Thibaud Elzière et Quentin Nickmans vont progressivement délivrer des premières pépites. À partir de 2018-2019, le duo réalise ses premiers “exits” (vente de participation) avec TextMaster, Mention et Mailjet. De quoi réinjecter du cash dans le studio pour accélérer le tempo des créations.
“On veut créer 30 start-up par an”
Depuis lors, eFounders s’est transformé en véritable “fabrique à start-up” (avec un pied à Bruxelles, où vivent MM.Elzière et Nickmans, et un autre à Paris). Le studio, longtemps centré sur le monde du travail et rebaptisé Hexa en 2022, a aussi élargi ses domaines de spécialisation à la santé, la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la finance, avec l’ambition de créer 30 start-up par an d’ici 2030. Il a aussi lancé une deuxième ligne d’activité, Hexa Scale, consistant à monter à bord de start-up existantes pour en faire des leaders de leur marché.
Un air de Muppet Show
Cette spectaculaire ascension n’a pas été sans répercussions sur le duo Elzière-Nickmans. Les relations se sont même un peu tendues, par moments. “On a parfois eu du mal à se parler, confesse Thibaud Elzière. C’est la raison pour laquelle Amaury Sepulchre nous a rejoints, en 2016, comme troisième cofondateur”.
Il peut arriver qu’on s’engueule. C’est un vrai Muppet Show, paraît-il! Mais, jusqu’ici, on a toujours fini par s’entendre. Il y a de la confiance et du respect entre nous.”
“Entre deux associés, c’est aussi compliqué que dans un couple, enchaîne, sourire aux lèvres, Quentin Nickmans. Il peut arriver qu’on s’engueule. C’est un vrai Muppet Show, paraît-il ! Mais, jusqu’ici, on a toujours fini par s’entendre. Il y a de la confiance et du respect entre nous”. Pour Thibaud Elzière, le succès de leur association vient, en partie, de “cette friction entre moi, qui veux avancer coûte que coûte, et Quentin, qui essaie que les choses se fassent proprement”.
Seront-ils toujours amis et associés dans 10 ou 15 ans ? “J’adore Quentin !, s’exclame Thibaud Elzière. Hexa, c’est notre bébé, notre vie ! Et j’entends bien que ça le reste pour les 20 prochaines années”. Avec un ton plus retenu mais tout aussi sincère (ses racines flamandes contrastent avec le tempérament provençal de Thibaud Elzière), Quentin Nickmans ne dit pas fondamentalement autre chose : “On le sera tant qu’on est sur la même longueur d’onde. Je pense qu’on a un ADN très similaire sur le type de projets qu’on aime lancer et développer”.
Et ils eurent encore beaucoup de licornes et de centaures…
Duos de choc
La Libre Éco clôture, ce vendredi, sa dernière série de l’été. Avec “Duos de choc”, nous sommes partis à la rencontre de fondateurs d’entreprises, belges et étrangers, qui ont connu ou connaissent le succès grâce à une conviction profonde : “seul, on va plus vite ; à deux, on va plus loin”. Les success stories sont en effet rarement le résultat d’un seul homme ou d’une seule femme. L’histoire récente, en particulier dans le monde de la tech, montre que la plupart de ces histoires sont le résultat de “duos de choc”.