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En matière de formation des entrepreneurs, la France peut mieux faire. L’entrepreneuriat français traverse une période paradoxale. Jamais les créations d’entreprises n’ont été aussi nombreuses, pourtant leur pérennité ne cesse de décliner. Selon mon invité, cette équation troublante trouve ses racines dans notre approche de l’accompagnement entrepreneurial, trop souvent centrée sur les aspects techniques au détriment de la préparation humaine. Xavier Delaunay, président et cofondateur de la FNPAE (Fondation Nouvelle des Praticiens en Andragogie de Développement et d’Intelligence Entrepreneuriale), nous éclaire sur cette problématique à travers le prisme de l’andragogie – l’éducation des adultes – appliquée à l’entrepreneuriat.
Enjeux de la formation des adultes entrepreneurs

Qu’est-ce que l’andragogie et pourquoi l’appliquer à l’entrepreneuriat ?
L’andragogie, c’est l’éducation des adultes, tout simplement.
La formation des adultes entrepreneurs,
c’est la formation à un métier qui n’existe pas.
En effet, c’est un métier polysémique, c’est-à-dire qu’entreprendre peut se réaliser de plein de manières. On peut entreprendre dans un contexte associatif, on peut entreprendre de construire sa maison, on peut entreprendre de faire un voyage. Entreprendre relève d’une réalité humaine qui est anthropologique.

C’est notre capacité unique de nous projeter, de comprendre ce qu’il faut faire pour atteindre une destination, un objectif donné, et enfin prendre le risque de le faire. Ce n’est pas forcément un métier. Cela peut le devenir, mais c’est avant tout une dynamique humaine.
ANDRAGOGIE
nom féminin (du grec anêr, andros, homme, et pédagogie)
Science et pratique de l’éducation des adultes.
Larousse
Comment les institutions perçoivent-elles l’entrepreneuriat aujourd’hui ?
Le financement du bilan de compétences entrepreneuriales par le CPF est en sursis. La représentation juridique des autorités est de faire une équivalence entre entrepreneuriat et création d’un SIRET.
Mais il y a plein de gens qui sont entrepreneurs en portage salarial, qui sont minoritaires, qui sont associés d’une entreprise, etc. et qui n’ont pas forcément créé leur SIRET. Et il y a plein de gens qui ont des SIRET avec aucun chiffre d’affaires ou très peu, avec plein de dettes, avec plein de souffrances personnelles et sociales. Le SIRET n’est pas en soi l’indication d’une dynamique entrepreneuriale.
Pourquoi tant d’entrepreneurs se lancent-ils pour de mauvaises raisons ?
Il faut revenir aux sources de la création d’entreprise en France. On ne crée pas une entreprise parce qu’on a vu une mine d’or et qu’on a envie de l’exploiter. À 85 %, la création d’entreprise vient d’un problème lié au salariat. « Je suis déçu par mon chef, je suis viré par mon chef, mon chef m’a viré parce qu’il était obligé de le faire… ».
C’est parce qu’ils ont eu un accident de salariat que beaucoup veulent devenir entrepreneurs. Et comme il y a un marchéLa notion même de marché B2B ou B2C est au cœur de la démarche marketing. Un marché est la rencontre d’une offre et d’une demande pour ce type de personnes – le marché du rêve, de l’autonomie, parfois de la richesse, du sens dans son travail –, il y a précipitation vers la création d’entreprise. Ce que l’auto-entrepreneuriat a facilité.

Parfois, c’est une très bonne chose. Et à d’autres moments c’est particulièrement pervers parce qu’on pousse les gens à se lancer de la falaise en disant : « Regardez, c’est facile, c’est gratuit, c’est pour tous », en oubliant que quand on se jette de la falaise, avoir un deltaplane sur soi, ce n’est pas bête, et savoir s’en servir, c’est encore mieux.
Et s’être entraîné un tant soit peu avec quelqu’un d’autre, c’est idéal.
Formation des entrepreneurs : le coaching et ses dérives
Le coaching correspond à ces modèles de business où on vient vendre un outil à des personnes qui n’ont pas la compréhension de ce que c’est qu’un business.
Vous êtes cadre, vous avez été licencié, vous n’avez pas été bien managé, vous avez été en burn-out, en épuisement, vous n’en pouviez plus d’être entre le marteau et l’enclume… Et vous vous dites : « Puisqu’on n’a pas pris soin de moi, puisque je ne pouvais pas prendre soin de mes équipes, je vais quitter l’entreprise et je vais me mettre à être le sauveur ou l’aidant des salariés qui sont en difficulté ». Et je me fais financer une formation payée par le CPF. Mais ce n’est pas parce que j’ai une formation que je peux devenir coach. Être compétent dans un métier ne suffit pas pour devenir entrepreneur. Je peux être un excellent poissonnier et arriver au tribunal de commerce pour liquidation judiciaire. C’est deux choses différentes.
Les coachs ne se rendent pas forcément compte de la réalité du marché. D’abord, il y a très peu de gens qui acceptent de payer 150 euros de l’heure, voire parfois 250 pour une séance de coaching. Aujourd’hui, seules les grandes entreprises qui sont prêtes à payer ces prix-là. Un particulier ne paie pas ça.

Dans l’immense majorité, les coachs ont été obligés de reprendre des activités de conseil, de formation [NDLR « 89% des coachs exercent même une autre activité en proposant du bilan de compétences, de la formation ou du conseil… » ce qui est un signe que cela ne suffit pas pour vivre].
En règle générale, en France, l’accompagnant dans la sphère professionnelle est souvent plus précarisé que l’accompagné.
Que révèlent les rapports officiels sur l’écosystème entrepreneurial français ?
En décembre 2012, la Cour des comptes et l’Assemblée nationale ont analysé l’écosystème de la création d’entreprises en France, constatant que celle-ci augmente d’une part, et d’autre part, la pérennité et la durabilité des entreprises diminuent, et que le nombre de créations d’emplois additionnels à celui du créateur diminue.
Le constat a été fait qu’on met beaucoup d’argent pour aider les gens sur le plan technique, comptable, juridique, fiscal, bancaire, technologique. Mais on ne met pas assez d’argent pour aider la personne à grandir dans sa culture, dans sa posture et dans l’alignement de ses motivations.
Pour utiliser une métaphore bien connue, on donne du poisson mais on n’apprend pas à pêcher.
Quelles solutions préconise la FNPAE pour la formation des entrepreneurs ?
Ce qui avait été recommandé par la Cour des comptes, c’était de dire : premièrement, il faut qu’il y ait un référentiel métier pour l’accompagnement. Et deuxièmement, il faut qu’il y ait un tiers de confiance qui aide dans l’orientation. Pas un euro d’argent public ne doit être mis sur la tête d’une personne sans que l’on ait validé sa capacité à le faire fructifier. C’est du bon sens paysan.
Un des deux éléments sur lesquels nous travaillons, c’est de former les accompagnants sur les dimensions réflexives, les dimensions transformatives de la personne qui veut entreprendre.
Le deuxième point, c’est de faire émerger un métier d’orientation entrepreneuriale, c’est-à-dire un sas de décompression et de réflexion, de mise en lucidité, où on élève le niveau de lucidité et de conscience des personnes, de manière qu’elles sachent faire des choix et s’engager de manière libre.
Ainsi il faut inciter l’entrepreneur à choisir un modèle d’entrepreneuriat parmi plus de 20 modèles possibles, en connaissance de cause et le comprendre. Et si ça ne marche pas, il pourra en tirer une expérience, grandir, être en apprentissage.
Quelles sont les compétences fondamentales de l’entrepreneur ?
Nous travaillons sur un référentiel qui est celui de Loué et Laviolette [et en intégralité en fin de ce billet], des universitaires qui ont travaillé dans les années 2010. Ce référentiel a identifié trois types de savoir-être et cinq types de savoir-faire.
Dans les savoir-être, il y a la gestion de soi, l’intuition et la vision, puis le leadership, la capacité à entraîner les autres.
Dans les savoir-faire, il y a le business : comprendre et maîtriser les outils du business. Il y a la vente au sens large: commercial, communication, promotion. Il y a la gestion du chiffre d’affaires et la gestion de l’entreprise en elle-même. Et puis, il y a le pilotage des ressources humaines, qu’elles soient internes ou externes.
Ces cinq familles de savoir-être, avec tout un tas de sous-thèmes, peuvent être évaluées et peuvent donner lieu à un programme de développement des compétences. Quelles sont les compétences propres à mon modèle entrepreneurial ? Qu’est-ce que j’ai en magasin ? Qu’est-ce que je peux développer ? Et si je ne peux pas le développer, il va falloir que je trouve les compétences à l’extérieur. C’est parce que j’ai mobilisé les compétences que j’obtiens de l’efficacité. C’est parce que j’ai de l’efficacité que j’obtiens de la rentabilité. Et c’est parce que j’ai de la rentabilité que je suis pérenne.
Quel conseil donneriez-vous aux futurs entrepreneurs ?
Je dirais qu’il y a deux fables à lire. Il y a la fable du Lièvre et de la tortue. Le premier conseil, c’est de se poser, d’accepter d’être un peu confronté, d’être « chatouillé, d’être gratouillé » par quelqu’un qui est légitime pour le faire. C’est-à-dire quelqu’un qui a vécu ce que c’est que l’entrepreneuriat, qui n’en parle pas de l’extérieur, et qui, si possible, a quelques compétences pour l’art et la manière de « chatouiller et gratouiller ». Avant de se lancer, on réfléchit, et on réfléchit avec quelqu’un qui est légitime sur cette réflexivité.
Et puis, il y a une deuxième fable, c’est la fable du chien et du loup. Avec cette grande réflexion sur la liberté et la responsabilité. Parfois, il y a des moments de la vie où il vaut mieux rester avec sa bonne gamelle, il vaut mieux rester peut-être salarié plutôt que de s’échapper dans la montagne tout seul et ne plus avoir à manger.
Conclusion
L’andragogie appliquée à l’entrepreneuriat révèle les failles de notre système d’accompagnement. Tant que nous persisterons à confondre vitesse et précipitation, tant que nous privilégierons le nombre de créations sur leur qualité, nous continuerons à alimenter cette machine à broyer les aspirations entrepreneuriales.
Xavier Delaunay nous rappelle une vérité simple : l’entrepreneuriat n’est pas un sprint vers l’autonomie, mais un marathon qui exige préparation, lucidité et accompagnement professionnel.
La sagesse des fables de La Fontaine, et d’Ésope, n’a décidément pas pris une ride.