Shein et Temu dans le viseur : vers un déréférencement européen


Le 5 septembre 2025, la ministre déléguée au Commerce Olivia Grégoire a officiellement demandé à la Commission européenne la création d’un mécanisme de déréférencement visant Shein et Temu. Ces plateformes chinoises, devenues incontournables sur le marché français, sont accusées de fausser la concurrence en contournant les règles fiscales et réglementaires. L’affaire interroge la capacité de l’Europe à défendre ses propres standards face à des acteurs mondiaux ultra-compétitifs.

Un rapport de force entre géants du e-commerce et régulateurs

Shein et Temu incarnent une nouvelle génération de plateformes numériques, capables de conquérir un marché en quelques années. En 2024, Shein revendiquait déjà un million de clients actifs en France. Leur stratégie repose sur des prix cassés, une réactivité logistique redoutable et une maîtrise du marketing digital. Plus de 50 % des 15-25 ans ont déjà acheté sur l’une de ces plateformes.

Pour les fédérations françaises du commerce, ce modèle constitue une concurrence impossible à égaler. Les distributeurs installés en Europe doivent se conformer à des obligations fiscales, sociales et environnementales qui ne s’appliquent pas avec la même rigueur aux plateformes opérant depuis l’Asie. « Ces plateformes représentent une menace directe pour des milliers de commerces de proximité », rappellent les représentants des fédérations.

Le déréférencement, un outil de régulation inédit

Le mécanisme envisagé par Paris ne viserait pas à interdire directement Shein et Temu, mais à réduire leur visibilité dans les moteurs de recherche et sur les plateformes numériques. Cette technique est déjà utilisée pour des sites de jeux illégaux ou de contenus illicites. Transposée au e-commerce, elle deviendrait un instrument économique et politique.

La Fédération du commerce et de la distribution (FCD) souligne que « le déréférencement est aujourd’hui la seule mesure réellement applicable face à ces géants du e-commerce ». En pratique, les consommateurs pourraient toujours accéder aux sites via leurs applications ou en saisissant l’adresse web, mais le flux d’achats impulsifs générés par la visibilité algorithmique serait fortement réduit.

Une décision européenne au poids stratégique

La demande française s’inscrit dans un cadre communautaire. Seule la Commission européenne peut doter le marché unique d’un tel pouvoir, afin d’éviter des distorsions réglementaires entre États membres. Bruxelles devra examiner si le Digital Services Act offre une base légale pour cette mesure ou s’il faut une nouvelle directive.

Un tel précédent pourrait redéfinir le rapport de force entre l’Europe et les géants du numérique. En ciblant Shein et Temu, l’Union européenne enverrait un signal fort sur sa volonté de protéger ses règles fiscales et environnementales, mais aussi son tissu commercial. Comme l’a rappelé Olivia Grégoire sur Franceinfo : « Nous ne pouvons pas laisser prospérer des acteurs qui contournent les règles européennes. »

Quels impacts économiques ?

L’impact d’un déréférencement serait double. À court terme, Shein et Temu perdraient une partie de leur visibilité, ce qui pourrait ralentir leur croissance sur le marché français. Pour les commerçants européens, l’effet attendu est une respiration bienvenue dans un contexte de marges compressées. Toutefois, une partie des consommateurs fidèles continuerait probablement à passer commande via les applications, limitant l’efficacité immédiate de la mesure.

À moyen terme, cette initiative pourrait accélérer la réflexion sur une régulation plus globale du e-commerce international. Elle pose aussi la question des contre-mesures possibles : les plateformes pourraient investir davantage dans la fidélisation client ou contourner la mesure par des canaux alternatifs. Quoi qu’il en soit, la décision de Bruxelles pourrait constituer un tournant dans la manière dont l’Europe entend se protéger face à la mondialisation numérique.

Une onde de choc possible pour les marchés et les investisseurs

L’éventualité d’un déréférencement de Shein et Temu soulève aussi des interrogations financières. Les deux groupes, valorisés à plusieurs dizaines de milliards de dollars, préparaient des introductions en Bourse ou des levées de fonds massives. Une décision européenne négative pourrait refroidir les investisseurs, en réduisant les perspectives de croissance sur l’un des marchés les plus solvables du monde.

Inversement, pour les enseignes européennes cotées, une telle régulation pourrait être perçue comme une protection bienvenue. Des groupes comme Inditex ou H&M, confrontés à une pression tarifaire sans précédent, verraient dans cette décision une opportunité de stabiliser leurs marges et de regagner du terrain.



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