Le e-commerce responsable passe par un changement des habitudes des consommateurs – FredCavazza.net


Avec la crise énergétique, le commerce en ligne est pointé du doigt, car il incite à la sur-consommation et participe à l’encombrement et la pollution des centres-villes. C’est pourtant une vision très manichéenne des usages numériques, car la réalité du terrain est tout autre : non seulement de gros efforts ont été réalisés depuis de nombreuses années par les transporteurs et acteurs de la logistique, mais également par des acteurs de pointe dans la robotique. De plus, sans tomber dans le solutionnisme technologique (oubliez les drones), il existe d’innombrables solutions pour améliorer le bilan RSE des e-commerçants. Reste encore à éduquer les acheteurs pour qu’ils adoptent ds réflexes de consommation éco-responsables.

Je poursuis ma série d’articles sur le développement numérique durable avec cette fois un focus sur le commerce en ligne (cf. Une transformation digitale vertueuse à travers la responsabilité numérique des entreprises). Un sujet que j’avais déjà évoqué dans un article publié en 2007 où je racontais l’achat d’un livre en promotion sur la marketplace d’Amazon qui avait été expédié depuis… la Nouvelle-Zélande : E-commerce et empreinte carbone. 15 ans plus tard, le sujet est carrément d’actualité, car nous sommes en pleine crise énergétique, et car l’échéance du point de non-retour approche (le moment où les conséquences du réchauffement climatique seront irréversibles).

Certes, l’achat en ligne ne représente qu’une toute petite partie de l’impact de nos usages numériques, surtout comparé à la vidéo en ligne (L’empreinte carbone de nos activités numériques), mais c’est tout ce qui se passe après le passage de commande dont il est question : la préparation et l’acheminement des marchandises jusqu’à chez vous. Autant le dire tout de suite : consommateurs et marchands font à la fois partie du problème et de la solution.

Je n’aborderais pas dans cet article la sur-consommation et les ravages de l’ultra-fast fashion (Shein responsable de 22 % des émissions CO2 des adolescentes françaises), car je ne suis pas légitime sur ces sujets. En revanche, je souhaite partager avec vous mes réflexions sur les enjeux du commerce en ligne responsable et les solutions existantes.

Une empreinte écologique largement inférieure au commerce traditionnel

Il ne vous aura pas échappé que le commerce en ligne a fait un bond avec les périodes de confinement. Une accélération des usages autour du e-commerce qui se traduit nécessairement par un mauvais bilan RSE, comme toutes les croissances trop rapides. Une problématique sur laquelle l’ADEME s’était penchée il y a deux ans : E-consommateur et responsable. Un sujet qui reste d’actualité, car il y a un appel à proposition de recherche afin de mieux comprendre les impacts environnementaux du e-commerce.

Est-ce bien pertinent de chercher à calculer l’impact du commerce en ligne alors que l’on ne connait pas celui du commerce traditionnel ? Oui, car si ce calcul est complexe à réaliser, il existe néanmoins des modèles : Bilan carbone du retail : définition, périmètre, calcul, solutions.

L’impact du commerce de détail est un sujet sur lequel planche l’ADEME depuis quelques années avec des axes d’amélioration déjà bien identifiés (éclairage, chauffage… cf. L’énergie des commerces) et pour lequel il existe une charte d’engagements soutenue par différentes organisations professionnelles : Plan de sobriété énergétique du commerce de détail.

Plusieurs fédérations de commerçants ont même été très promptes à annoncer des efforts dès le début de la crise énergétique : Un plan de sobriété énergétique adopté par de nombreux commerces.

Puisque les commerçants font bonne figure, les activistes ont dû se trouver de nouvelles némésis : les géants du commerce en ligne, qui sont des cibles beaucoup plus intéressantes à critiquer que les commerçants de quartier.

Une diabolisation du commerce en ligne qui profite à… à qui déjà ?

Le commerce en ligne est donc vu comme le fléau des temps modernes, celui qui assèche les centres-villes, asservit les livreurs et pousse les consommateurs à gâcher les ressources de la planète (« Keep or return » ? Ces vidéos qui incitent à la surconsommation) et à détruire des emplois. Ainsi, selon cette étude de l’association Les amis de la Terre, le commerce en ligne aurait détruit 85.000 emplois ces dix dernières années en France : Le e-commerce, meilleur ennemi de l’emploi en France. Pourtant, selon ces chiffres compilés par l’agence Kiss the Bride, le Covid n’a finalement pas tué le magasin. Je ne me lancerais pas dans une bataille des chiffres, car comme souvent, la réalité se trouve dans l’entre-deux : 61% des consommateurs seraient plus fidèles à un commerçant s’il leur permettait d’acheter en ligne et de rapporter en magasin.

Il y a donc un consensus sur le modèle hybride. Très bien, ce débat est clos. De toute façon, les consommateurs ont choisi et adoptés en masse le commerce en ligne, comme le prouve cette étude de l’INSEE : Une forte augmentation du commerce de détail en ligne entre 2009 et 2019, portée par le développement des ventes à distance des grands commerçants traditionnels. Et encore, les chiffres s’arrêtent en 2019, soit avant l’épisode des Gilets Jaunes et de la COVID !

Néanmoins, nombreux sont les détracteurs du commerce en ligne, car il serait la source de nombreuses nuisances. Effectivement, je vous confirme qu’il y a bien des nuisances engendrées par la livraison, mais que son appréhension par le grand public est biaisée, notamment par les camionnettes de livraison qui sont souvent stationnées en double file. Ceci étant dit, ne vous y trompez pas : L’empreinte carbone des magasins est 2 fois plus importante que celle du e-commerce.

Nous n’avions pas réellement besoin d’une étude précise pour savoir que le commerce en ligne pollue moins que le commerce traditionnel, mais la spécialité française est de s’attaquer au plus gros en les dénonçant, mais sans proposer de solutions, juste interdire (Moins de produits, moins d’Amazon !).

Sans tomber dans la rhétorique des techno-réfractaires, il est important de rappeler que le commerce en ligne représente en France plus de 14% des échanges marchands, de même que 185.000 emplois et presque 5% du PIB.

Ces précisions étant maintenant faites, intéressons-nous au coeur du sujet.

Deux activités à optimiser : l’emballage et la livraison du dernier kilomètre

Vous avez très certainement dû voir passer des articles très critiques ces deux dernières années (ex : Pollution : le bilan calamiteux de la vente en ligne ou Le e-commerce est-il respectueux de l’environnement ?). Le résultat de cette campagne de dénigrement est équivoque : 2/3 des français considèrent que le commerce en ligne a un effet négatif sur l’environnement (cf. Faisons de l’e-commerce un atout pour la durabilité). Comme nous venons de le voir plus haut, si le e-commerce a un impact sur l’environnement, il est moindre que celui du commerce traditionnel. Mais comme souvent, il faut se méfier de ces sondages et surtout savoir faire la part des choses,

Ainsi, certains plaident pour l’interdiction de la livraison gratuite à domicile : Interdire les livraisons gratuites, une solution pour la planète et l’emploi. Une mesure extrême, dans la mesure où l’on a tendance à vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain. Le graphique suivant nous permet ainsi de mieux comprendre la répartition de l’impact environnemental selon les différentes activités liées au commerce en ligne.

La livraison est sans surprises l’activité qui génère le plus de gaz à effet de serre, soit. Pourtant, elle reste largement inférieure aux émissions réalisées par les voitures des particuliers. Il est ainsi évident que la livraison par une camionnette de 10 produits issus de 10 commerçants référencés sur une place de marché va moins polluer que l’approvisionnement et la récupération de ces 10 produits dans 10 boutiques différentes. Mais je ne suis pas dogmatique, je me suis renseigné : d’après l’ADME, un achat en ligne serait égal à un trajet de 1 km en voiture en termes d’émission de CO2. Pourtant, selon le dernier rapport annuel de la FEVAD, 2/3 des acheteurs en ligne déclarent qu’ils auraient utilisé leur voiture s’ils avaient réalisé leurs achats non alimentaires en magasin plutôt qu’en ligne. Sachant qu’un consommateur doit en moyenne parcourir environ 2 km en région parisienne et 12,2 km en zone rurale pour se rendre dans un magasin, le bilan du commerce en ligne est encore une fois largement meilleur que celui du commerce traditionnel (sources : Asterop et INSEE). En réalité, le meilleur moyen de réduire l’impact environnemental du commerce en ligne n’est pas de l’interdire, mais de le faire différemment, de faire mieux avec moins.

Illustration avec l’emballage, pour lequel il existe des offres alternatives parfaitement maitrisées :

Comme vous pouvez le constater, les solutions ne manquent pas du côté des marchands. Reste maintenant à s’occuper des consommateurs et de leurs (mauvaises) habitudes.

Deux habitudes à faire évoluer : les retours produits et la livraison expresse

Le plus gros poste d’émission de CO2 du commerce en ligne est donc la livraison : E-commerce, pourquoi devrait-on informer les consommateurs de l’impact carbone de la livraison ? Avant même la crise énergétique, ce sujet avait déjà fait l’objet de recommandations par France Stratégie avec une initiative lancée en 2021 : Filières de commerce en ligne et de logistique responsables : premières signatures des chartes d’engagements. Cette charte a été visiblement un succès puisque l’opération est reconduite en 2022 : 18 nouvelles entreprises signent la charte d’engagements avec le gouvernement et la fédération du e-commerce et de la vente à distance.

En ce qui concerne l’analyse des différentes activités liées à la livraison, là encore, nous bénéficions d’un minimum de recul sur la question : Understanding the carbon footprint of e-commerce. Il apparait que les retours produits sont un gros problème, aussi bien pour l’environnement que pour la marge des commerçants : Expérience client, impact environnemental : optimiser le retour des achats en ligne.

Idem pour le quick commerce, une pratique extrême du commerce en ligne, qui pose de nombreuses questions, auquel les pouvoirs publics n’ont pas forcément les bonnes réponses (Régulation des « dark stores » : la mauvaise réponse des pouvoirs publics à de vrais problèmes), mais pour lesquelles il existe des réflexions très intéressantes chez les professionnels (La livraison du dernier kilomètre mise au défi par la transition écologique des villes), il suffit juste de leur demander !

De façon plus pragmatique, nous savons aujourd’hui quantifier le gaspillage lié à des livraisons non-optimisées (Impact écologique sur la livraison : comment réduire l’empreinte carbone ?) :

  • 24 % des colis sont retournés par des clients insatisfaits ;
  • 20 % des livraisons échouent, impliquant la programmation d’un second passage ;
  • 43 % du contenu dans les emballages de protection est vide.

Le problème ne vient donc pas réellement du commerce en ligne, mais des modes de consommation en ligne. Une attitude plus responsable permettrait de réduire drastiquement l’impact environnemental (émissions de GES), social (les rendements imposés aux livreurs) et sociétal (la gêne occasionnée par les livraisons en ville). Vous pouvez pointer du doigt les géants du commerce en ligne, ou vous pouvez aussi consommer de façon plus responsable : n’acheter que des produits dont vous avez réellement besoin (pas de sur-consommation, ni de retours), définir une plage et/ou un mode de livraison qui limitera les trajets (cf. Les leviers RSE en e-commerce).

Et puisque l’on parle des modes de livraison, il est largement temps d’affirmer que les livraisons à domicile sont largement sous-optimisées, surtout si elles sont réalisées par des semi-pros (ex : Comment devenir livreur Amazon auto-entrepreneur ?). C’est véritablement sur la livraison à domicile que l’on peut améliorer de façon significative l’impact environnemental, car ce mode de livraison génère logiquement plus d’émissions qu’une livraison en point de retrait (cf. Livrer des colis avec 30 % de CO2 en moins ? Yes, we can!).

Changer le mode de livraison nous ouvre ainsi les yeux sur des solutions concrètes qui sont quasi-indolore pour les consommateurs.

Commerce en ligne et développement durable sont compatibles

Comme abordé plus haut, on pointe du doigt les e-commerçants (Amazon, Shein…), mais on oublie d’éduquer leurs centaines de millions de clients. Il suffirait “juste” de leur faire prendre conscience des conséquences de leurs habitudes et choix de consommation. Ainsi, d’après cette étude récente, les consommateurs sont prêts à faire des compromis : 70% d’entre eux accepteraient d’attendre jusqu’à cinq jours pour une livraison plus verte (E-commerce retailers should put more value on green delivery options). Encore mieux, en un an, nous sommes passés de 55% des consommateurs prêts à payer jusqu’à 1€ supplémentaire pour une livraison verte à 70% pour 2022 (Comprendre l’empreinte carbone de l’e-commerce).

J’attire votre attention sur le fait que nous ne sommes ici en train de discuter d’un “Plan Marshal” du commerce en ligne issu d’une concertation citoyenne avec le nouvelles règlementations votées à l’Assemblée Nationale, mais plutôt d’incitations douces que n’importe quel e-commerçant peut mettre en oeuvre très facilement pour améliorer sont bilan RSE :

Pitié, ne me parlez pas des drones, car c’est vraiment un pansement sur une jambe de bois. Au pire, il suffirait simplement de correctement régler le carburateur des camionnettes de livraison ou de former les chauffeurs à l’éco-conduite.

Bref, tout ça pour dire qu’il est inutile d’attendre des mesures de la part des Pouvoirs Publics, il suffit de faire des petits gestes au quotidien, surtout pour les acheteurs, car les commerçants s’y sont mis depuis longtemps.

Un véritable savoir-faire français

En matière de livraison verte, il faut impérativement mentionner les engagements de La Poste dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas Carbone : La neutralité carbone, des engagements concrets pour lutter contre le changement climatique. Saviez-vous que les livraisons de Colissimo sont 100% neutres en carbone depuis 2012 ? Maintenant vous le savez !

Pour votre information, sachez également que Colissimo a diminué de 32% les émissions de CO2 par colis entre 2013 et 2021. Leur ambition pour 2025 est de décarbonner une livraison sur deux en France, dont 100% dans les Zones à Faibles Emissions mais aussi dans les principales agglomérations. Et ce n’est pas tout, car différentes actions sont en cours comme la construction de bâtiments et entrepôts aux derniers standards environnementaux (HQE) ainsi que le déploiement des caisses mobiles et l’optimisation des chargements grâce à la technique du vrac rangé, un système de rangement optimisé des colis qui assure moins de pénibilité au déchargement et une augmentation de 30% de la capacité d’emport dans les véhicules (de 1.500 colis à 4.000 colis, cf. Le vrac rangé, comment ça marche ?). À terme, ce sont 15.000 tonnes d’émission de CO2 qui seront évitées par an et 70.000 d’ici 2025.

Plu d’infos ici : La livraison décarbonée, La Poste s’engage pour une logistique urbaine responsable et Le site Colissimo du Thillay : performant, innovant et responsable. Je précise au passage qu’il y a une prise en compte de l’impact environnemental, mais également de l’impact social avec un gros travail sur la réduction de la pénibilité (QVT), le renforcement de la sécurité ainsi que de l’inclusion et la diversité.

Pour la construction et la gestion des entrepôts, c’est plus délicat, car la question est politisée et se transforme en débat de société (Amazon, Monoprix, Décathlon et les autres : comment les entrepôts remodèlent la France). Le sujet est bien évidemment sensible, mais heureusement, il y a des droits de réponse : Amazon veut faire bonne figure en se renforçant dans les énergies propres et “Les projets d’Amazon refusés sont plus médiatisés que ceux acceptés” (Frédéric Duval, DG Amazon France).

Le problème est que tous ne communiquent pas dans les mêmes conditions. Il y a ainsi des projets pharaoniques peut-être un peu trop médiatisés (ex : Green Dock, l’entrepôt urbain du futur qui sera ouvert en 2026) et d’autres dont on parle beaucoup moins comme le bâtiment de Brétigny-sur-Orge, une première en France avec un entrepôt ultra-moderne sur deux étages : Au cœur de l’entrepôt d’Amazon le plus robotisé de France.

Impossible de na pas mentionner enfin notre champion tricolore de la robotique : Exotec qui équipe notamment les entrepôts de CDiscount et de Decathlon.

Malgré tous ces efforts et ces flamboyantes réussites, il existe toujours une opposition très forte des activistes locaux et populistes en recherche d’exposition médiatique facile. Un débat réellement grotesque, car il y a tant à faire, contrairement au commerce local pour lequel il ne semble y avoir que très peu de solutions…



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