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Depuis quelques mois, nous observons une baisse des levées de fonds des startups technologiques B2B, et il s’agit d’un net retournement de tendance. Cette inflexion de la courbe intervient après l’extraordinaire année 2021 qui avait battu tous les records. Franck Lacombe analyse ici pour Visionary Marketing le tassement du volume des levées de fonds depuis cet été et ses conséquences.
Causes et conséquences de la baisse des levées de fonds dans les startups B2B
Le premier schéma ci-dessous montre l’évolution les levées de fonds de ces dernières années aux Etats-Unis.
Certes, ces chiffres auraient encore satisfait tout le monde en 2020. Mais n’oublions pas que 2020 représentait une très mauvaise année par rapport à 2019. 2020, c’est l’année des confinements aux États-Unis et en Europe, et à peu près partout ailleurs, d’un mois à l’autre.
Ensuite, voici les chiffres en France. Ce qui est intéressant ce sont les variations par typologie. Tout d’abord l’amorçage, puis les séries A, B et C… etc.
On observe une très nette baisse. Certes, par rapport à 2021 en amorçage, cela croît encore. Mais encore une fois, il faut se méfier des photographies instantanées.
- 13 % ou + 29 % ne traduisent qu’une croissance faible quand l’année dernière, celle-ci était à trois chiffres. Il s’agit donc bien à nouveau un tassement et tous les autres chiffres en rouge le montrent bien.
Pourquoi une baisse des levées de fonds en 2022-2023 ?
Ce qui se passe, tout d’abord, c’est que les fonds ont eux-mêmes de plus en plus de mal à lever de l’argent. Et deuxièmement, on va leur demander une rentabilité bien plus élevée. On peut donc s’attendre à une sélectivité de plus en plus importante sur les investissements.
Quelle en est la cause ?
On a mis un peu de temps à se rendre compte de la réalité de l’inflation. Au début de l’année 2022, on pensait que le retour de l’inflation était uniquement dû à la hausse des matières premières agricoles et énergétiques.
Or, c’est une vision trop étroite de la situation. Elle ne tient pas compte de l’effet d’enchaînement des économies.
La boucle prix-salaires
Par ailleurs, la boucle prix-salaires n’est pas encore totalement enclenchée, quoique cela commence dans certains secteurs. Bref, aujourd’hui, plus personne de sérieux ne nous dit que l’on va retomber à des taux d’inflation de 1 à 2 % comme on les a connus ces 20 dernières années.
Nous sommes entrés à nouveau dans une période durable d’inflation élevée. On parle au Royaume-Uni d’une inflation à deux chiffres, en Allemagne d’une hausse des prix de 9 %. Certes, chez nous, celle-ci est relativement contingentée par les mesures prises par le gouvernement. Mais est-ce durable ?
Les banques centrales ont dû également réagir. Puisque c’est leur vocation, et dans leurs statuts de contrecarrer l’inflation, elles l’ont donc fait. D’abord la Fed puis la BCE ont décrété une hausse des taux directeurs. La conclusion de cela est que la période de l’argent gratuit est révolue.
Une situation compliquée pour les fonds
Quelles sont les conséquences de cela ? Tout d’abord que la collecte devient plus compliquée pour les fonds. Et puis le fameux TRI va devoir être beaucoup plus élevé. Le taux de retour sur investissement que ces fonds, peu ou prou, garantissent à leurs investisseurs, même si ce n’est pas une garantie réelle, mais une promesse qui leur est faite.
Changement de règles
La logique d’hier était la suivante : « J’investis et je place le plus vite possible tout l’argent que j’ai collecté et je sais que je vais avoir un petit tiers de défauts très rapides, un gros 60 % de boîtes qui vont vivoter et 4 à 5 % qui vont exploser, qui vont amener à elles seules la rentabilité globale ».
Mais cette équation ne tient plus.
Désormais, il va falloir au contraire que le taux de défaillance dans lequel les fonds investissent soit beaucoup plus faible et que le taux des entreprises qui stagnent soit lui aussi en régression.
Il est indispensable que davantage de start-ups performent nettement et que les investisseurs, les gérants de fonds, soient beaucoup plus sélectifs dans les dossiers dans lesquels ils vont investir.
Et sélectivité implique rationalisation. Aucune surprise : il va être de plus en plus difficile de lever des fonds !
L’exception à la règle
Alors attention, je mets un bémol. Mettons à part quelques types de start-ups.
Celles qui ont déjà bouclé des levées, dont les fondamentaux sont sains et qui commencent à montrer un équilibre dans leur compte d’exploitation. Ou celles qui n’ont besoin d’argent que pour continuer à investir, par exemple pour ouvrir une nouvelle région.
Celles-là continueront à lever parce qu’elles sont rentables.
En revanche, les modèles du type « on perd de l’argent, mais on fera une deuxième puis une troisième levée avant d’entrevoir le point d’équilibre » vont avoir plus de mal.
Changer les habitudes des levées de fonds
Près de deux tiers des start-ups ont passé plus de temps à préparer et réaliser des levées qu’à s’occuper de développer leur entreprise. Il y a de bonnes et de mauvaises raisons à cela.
D’abord les bonnes raisons pour lever des fonds
Il y a indéniablement certains modèles de business qui réclament une haute intensité capitalistique. Prenons l’exemple que tout le monde va comprendre de la medtech. Quand il s’agit de développer de nouveaux produits, de nouvelles molécules, et de les mettre sur le marchéLa notion même de marché B2B ou B2C est au cœur de la démarche marketing. Un marché est la rencontre d’une offre et d’une demande, entre le temps de Recherche & Développement et celui des tests pour que les autorités sanitaires des différents pays autorisent la mise sur le marché, aucun chiffre d’affaires ne se fait.
Pendant tout ce temps, ce sont des coûts sans contrepartie de recettes, donc aucun point mort n’est possible à brève échéance.
Il y a aussi les business qui n’ont que très peu de valeur ajoutée différenciante. Dit autrement, les concurrents peuvent les copier très vite. Pour cela, il faut prendre des parts de marchéLa part de marché (PDM) peut être définie comme un pourcentage exprimant la place qu’occupe un producteur ou une marque donnée sur son marché très rapidement.
Et dans ce cas, ce n’est plus de la R&D qu’il faut financer par la levée. C’est du commerce et du marketing parce qu’il faut capter rapidement des clients.
Le cas particulier du SaaS
Troisième cas de figure, le SaaS pour lequel ce n’est pas forcément une bonne raison de lever. Pourquoi cela ?
Parce que le modèle même du SaaS fait que si l’on met à disposition d’un client un logiciel, il le paiera sur trois ans. Mais aujourd’hui, tous les organismes bancaires de financement, filiales de banques ou autres permettent aux éditeurs de se faire financer cash l’équivalent des trois ans, auquel cas c’est la banque qui perçoit les loyers. Donc il n’est pas si certain que le modèle du SaaS nécessite des levées de fonds successives.
Les mauvaises raisons des levées de fonds
Passons aux mauvaises raisons. Ces mauvaises raisons, hélas ! On les connaît.
La première, c’est que c’était facile. Il n’y a pas de motif valable pour s’arrêter quand on obtient si facilement une série A. Je me rappelle avoir rencontré des dirigeants à qui je demandais : « C’est pour quand le point mort ? » Ils me répondaient : « Je dois lever, de toute façon, j’ai une série B en préparation ». Voilà ce que j’appelle vraiment une mauvaise raison.
Il y a ensuite l’absence de visibilité sur le point mort, car quand on change tout ou partie de son modèle, tous les jours de la semaine ou en sortant de la douche parce qu’on a eu l’idée de génie, évidemment la notion même de point mort est quasiment impossible à modéliser. Donc comme je ne sais pas à quel moment je serai rentable, je continue à lever…
Et puis, il y a malheureusement les entreprises à mission ou engagées. Je dis malheureusement, car ces concepts-là me plaisaient bien.
Hélas ! Ce que j’ai constaté, c’est que pour ces entreprises gagner de l’argent est une sale affaire. Ce que j’entends ce sont des phrases du style : « De toute façon, il y a des fonds spécialisés qui vont nous financer ». Tout est dans l’affirmation.
Cela m’a beaucoup déçu, car je pensais qu’on pouvait être une entreprise à mission et rester indépendant.
En conclusion, la rentabilité est une obligation
En conséquence, pas d’autres choix que de devenir rentable !
Être rentable, finalement, ce n’est pas si facile, mais il va bien falloir le faire. Il va bien falloir y arriver, et même y arriver le plus vite possible.
Ce qu’on a constaté, avec mon équipe, en travaillant avec des start-ups, une bonne centaine depuis huit ans, c’est qu’il y a plusieurs causes de non-atteinte de la rentabilité.
Les causes de la non-atteinte de la rentabilité
1- La première des causes, c’est le chiffre d’affaires qui n’est pas assez conséquent, ou les coûts commerciaux sont trop élevés. Le plus souvent, les deux critères sont liés. Pourquoi ?
- Première raison : on a multiplié les cibles ou celles-ci sont mal définies. Donc on court plusieurs lièvres à la fois. Et bien sûr, quand on court plusieurs lièvres à la fois, on s’égare
- Deuxième raison : notre parcours client ou notre offre sont mal définis ou changent toutes les cinq minutes.
- Ensuite, l’équipe commerciale n’est pas en phase avec la cible. Ça, c’est ce que je constate le plus souvent. Pour des raisons quasi dogmatiques, on va partir du principe qu’il faut embaucher des jeunes parce qu’on vend de la techno. C’est normal, entend-on, « il n’y a que les jeunes qui comprennent la techno !». Alors, comment faire pour aller vendre à des décideursComportement de l’acheteur en B2B : Internet et réseaux sociaux ont bouleversé le comportement de l’acheteur en B2B qui se rapproche du B2C de 55 ans ? Erreur inverse, on va embaucher un sénior qui vient de chez IBM, Oracle, SAP ou équivalent. On l’enverra vendre à des geeks responsables de l’innovationL’innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l’environnement. Et cela ne marche pas non plus. C’est souvent ce que je constate, hélas. Quelle est la solution ? Les soft-skills ? Je ne le crois pas. Je constate avant tout un manque de rythme dans le management commercial. Dire que l’on challenge les commerciaux et que l’on surveille le pipe quand on a le temps, ce n’est pas manager. Ces actions doivent être réalisées à un rythme extrêmement régulier.
2 – La deuxième cause : un « delivery » peu performant. Quelles en sont les causes ?
- (Dans le domaine du service) des missions mal définies ou mal estimées, le taux d’activité des équipes « delivery » peu ou pas managé. Dans les métiers de service, le taux d’activité c’est comme le lait sur le feu, qu’il faut surveiller en permanence.
- Deuxième cause : on observe depuis deux ans un turnover pendant la phase de croissance parce qu’il ne suffit pas de mettre un baby-foot pour rendre les gens heureux dans leur vie professionnelle.
- Troisième cause : des choix de produits qui ne sont pas réalisés. Prenons une idée qui continue de faire rêver les responsables R&D, chez un éditeur de logiciels par exemple. On continue alors à dépenser de l’argent en R&D, mais sur des choses que les clients ne demandent pas. Juste parce que le patron de la R&D a dit : « Tiens ! Et si on faisait ça ? »
- Quatrième et dernière cause : le pilotage dans le rétroviseur, c’est à dire piloter sur des données comptables. Or, les données comptables n’aident en aucun cas ni le management ni le pilotage. Les comptables nous font constater d’abord du passé. Typiquement, un chiffre d’affaires et un résultat ne sont pas des variables qu’on peut surveiller, ce sont des résultantes. Ce qu’il nous faut surveiller par contre, c’est ce qui nous permet de construire le chiffre d’affaires et la profitabilité. Pour cela, il faut d’autres indicateurs.
Oubliez les levées de fonds : pour être libre, il faut être rentable !
Je trouve qu’il y a un certain paradoxe à ce que les start-uppers lèvent ou ne soient préoccupés que par la levée de fonds sans se rendre compte que chaque fois qu’ils y arrivent, ils sont un peu moins indépendants, un peu moins libres.
J’avais effectué quelques recherches pour écrire mon dernier ouvrage, paru au début de cette année 2022, sur le thème : « Quelles sont les motivations des entrepreneurs à entreprendre ? ». Parmi les réponses qui sortent en premier, il y a l’indépendance et la liberté. Or, être rentable, c’est être indépendant, être libre. C’est ne dépendre ni des banques, ni des investisseurs, ni des fonds. Bref, d’aucun des financiers.
Que faut-il faire pour être rentable, donc libre ?
Trois vecteurs sont à activer, et plus précisément trois vecteurs plus un.
Les trois vecteurs principaux sont la stratégie, le management et le pilotage. À cela il faut ajouter le rythme, certainement un des ingrédients que l’on oublie le plus souvent.
La stratégie, qu’est-ce que c’est ?
Une stratégie, c’est décider ce qu’on ne fera pas, ou en tout cas pas tout de suite. En premier lieu, définir sa cible. Nous pouvons avoir une, deux ou trois cibles.
Une cible, c’est un segment de marchéStricto sensu, segmenter signifie diviser son marché en sous-ensembles (segments) qui constituent des groupes homogènes et distincts, et pour chacun de ces segments, une offre claire ou un produit clair, une valeur ajoutée parfaitement définie et adaptée. Pour cela il faut résoudre un problème client. Sans problème client à résoudre, il n’y a pas de valeur.
Le management
Le management : puis viennent la politique tarifaire et un GO TO MARKET. Or, ce que je constate avec mon équipe depuis huit ans, à chaque fois qu’on rencontre des patrons de PME, c’est que ces choix ne sont pas ou peu faits, ou le plus souvent ils ne sont que partiellement faits.
Ensuite, ce qu’on voit souvent, ce sont des entreprises qui changent tout le temps de stratégie. On ne doit l’ajuster qu’une fois par an.
Enfin, il est essentiel, de séparer clairement le fonctionnement et les investissements. La marge brute qui va être dégagée par les activités et qui doit couvrir a minima les frais fixes.
Les investissements, eux, doivent être pilotés comme des projets. C’est-à-dire ? Un projet, c’est une liste de tâches, un planning, des ressources, des jalons, un budget.
Et si la trésorerie ne permet plus de le financer, si on ne lève pas ou si au-dessus, le fonctionnement ne dégage pas assez d’argent, ces investissements sont mis en sommeil, sont décalés dans le temps.
Le pilotage
Enfin, dernière chose, le pilotage. Piloter c’est surveiller les indicateurs qui fabriquent le chiffre d’affaires et le profit et non pas suivre le seul profit. Ça, tout le monde sait le faire, le comptable aussi. Mais celui-ci vous communique votre résultat, trois mois après la fin de la clôture de l’exercice. Et cela vous fait une belle jambe.
L’évolution du pipe
Donc, toutes choses égales par ailleurs, la première chose à mesurer, c’est l’évolution du pipe commercial et du prévisionnel de signature. C’est ce qui nous donnera une idée des prises de commandes en fonction de la durée du cycle de vente.
En résumé, il faut qu’on ait un pipe, il faut qu’on ait un prévisionnel. Il faut qu’on ait un cycle de vente qui soit modélisé. Si on n’a pas tout ça, on ne pilote rien.
Ensuite, si on a une activité de services, le taux d’activité, le TJM et la masse salariale sont les trois indicateurs forts.
C’est cela l’essentiel et rien d’autre.
Si l’on fait de l’édition de logiciels, je n’ai pris que le SaaS volontairement parce que je ne vois pas grand monde se lancer aujourd’hui sur un autre modèle. On va bien sûr suivre le MRR, les coûts d’hébergement et de monitoring des infrastructures d’hébergement, les services support et les projets clients.
Le plus souvent, on n’est pas en plug-and-play et la vente de logiciels n’est pas la fin de l’histoire. On a également développé des services autour.
Si en outre, la start-up s’adjoint un métier de distributeur, elle a également intégré une fonction achats. Donc il faut être capable de dégager une marge sur les achats et gérer un panier de fournisseurs de manière à ne pas se trouver dépendant d’un seul partenaire dépendant d’un Chinois par exemple, qui ferme ses frontières pour cause de COVID.
Le rythme de management
Et enfin, la dernière chose. La cerise sur le gâteau, c’est le rythme, le rythme du management. Toutes les semaines, ce sont les ventes, tous les mois, c’est le tableau de bord. Et tous les semestres, c’est la stratégie. Mais ça, ce n’est pas quand on a le temps. C’est toutes les semaines, c’est tous les mois et c’est tous les semestres.
Finalement, les start-ups doivent travailler comme tout le monde ?
La réponse est indéniablement oui !
Pourtant, dans les start-ups, je n’en ai pas vu beaucoup travailler de manière structurée. Ou plutôt je n’en ai jamais vraiment vu.
Toute cette discipline, on l’a apprise dans les grandes entreprises. Or, les start-uppers d’aujourd’hui sont rarement passés par les grandes entreprises.
Et le plus souvent, ils sortent de l’école, ou ont déjà travaillé dans une ou deux start-ups en tant que salariés ou associés minoritaires. Quand ils se lancent à leur compte, ils n’ont appris cela nulle part, et surtout pas dans les écoles de commerce.
En résumé, voici pourquoi on observe une baisse des levées de fonds dans les start-ups. Et la conséquence est que la fin de la récréation vient d’être sifflée.