Le dernier kilomètre est la clé d’une livraison durable et d’un commerce en ligne responsable – FredCavazza.net


Acheter en ligne est moins polluant que d’acheter en magasin. Soit, mais cet acte de consommation reste une source d’émission de gaz à effet de serre ainsi que de nuisances liées à l’acheminement des colis. Si l’on met de côté l’utopie de la livraison par drone, il existe des solutions pragmatiques pour limiter l’impact sur le dernier kilomètre de livraison, notamment en (ré)aménageant des espaces logistiques urbains et en privilégiant les mobilités douces.

D’après une étude de Oliver Wyman (Is e-commerce good for Europe?), les émissions de gaz à effet de serre du commerce en ligne sont 2,3 fois moins fortes que celles du commerce physique (879 grammes de CO2 pour un achat en ligne contre 4.052 grammes pour un achat en boutique).

Un très bon argument en faveur du commerce en ligne, mais qui n’est pas non plus sans reproche dans la mesure où le transport de marchandises dans les grandes villes françaises représente 20% des émissions de CO2 et 45% des émissions de particules fines.

Avec l’accroissement naturel de la population et le phénomène d’exode rural, la densité est toujours plus forte dans les grandes villes et la cohabitation devient tous les jours plus compliquée. Une situation qui préoccupe les pouvoirs publics qui font pression pour diminuer les différentes nuisances, comme par exemple les trottinettes partagées (Trottinettes en libre-service à Paris : 800 salariés craignent pour leur emploi) ou les services de livraison express (La descente aux enfers du quick commerce s’amplifie).

Ces préoccupations concernent bien évidemment le commerce en ligne et les livraisons qui ont fait l’objet d’un rapport d’information du Sénat dans le cadre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (Logistique urbaine durable : 14 propositions pour anticiper un défi majeur pour nos agglomérations).

Commerce en ligne = Expéditions de colis = Livraisons

Nous ne connaissons pas encore le bilan du commerce en ligne de l’année 2022, mais nous savons en revanche qu’il sera très bon et que l’activité est en croissance à deux chiffres depuis plus de 20 ans (cf. le dernier bilan de la FEVAD). Problème : le nombre de colis livrés augmente tous les ans, mais les rues ne sont pas plus larges et les boites aux lettres ne sont pas plus grandes.

Pour quantifier ce phénomène, il faut se référer à l’Observatoire du courrier et du colis de l’ARCEP : Les marchés du courrier, du colis et des activités connexes en France. Le dernier rapport publié nous apprend que la croissance de l’activité postale en France est essentiellement portée par les colis. En effet, le nombre de colis distribués en France a augmenté de près de 15% entre 2020 et 2021 pour atteindre quasiment les 1,7 milliard d’objets en un an.

Pour votre information, sachez qu’il y a environ 65.000 facteurs, dont l’activité concerne principalement les courriers (plus de 18 milliards de lettres distribuées en 2008 contre “seulement” 7 milliards en 2022 : La Poste va lancer en mars des expérimentations pour supprimer les tournées quotidiennes).

Pour les colis, c’est différent, car ils ne rentrent pas dans la sacoche des facteurs. D’où l’utilisation de véhicules électriques pour les livraisons “hors gabarit”. Une livraison (quasiment) à la porte qui arrange bien les clients, mais qui commence à prendre des proportions inquiétantes avec l’avènement du commerce en ligne, notamment stimulé par le confinement. Il en résulte une augmentation alarmante du nombre de véhicules de livraison à essence dans les grandes villes (surtout aux USA).

Le transport de marchandises est donc un sujet de préoccupation. Cette activité occupe d’ailleurs une place importante dans les réflexions de l’ADEME pour la simple et bonne raison que le secteur des transports est extrêmement dépendant du pétrole, qui représente plus de 90% de sa consommation d’énergie (La logistique au cœur de la stratégie 2050 de l’ADEME).

Les travaux de l’ADEME ont menés à l’élaboration de quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050 :

  • Génération frugale, avec une diminution du trafic de 45% (ex : limiter le recours aux véhicules routiers et interdire la livraison gratuite) ;
  • Coopération territoriale, pour favoriser la mobilité partagée ainsi que développer les déplacements à vélo (ex : cyclologistique) ;
  • Technologies vertes, avec la généralisation des véhicules à électricité, hydrogène ou biodiésel (notamment les VUL, véhicules utilitaires légers) ;
  • Pari réparateur, qui consiste à préserver les modes de vie du début du 21e siècle en misant sur l’électricité comme source d’énergie décarbonée (objectif = 65% des flux de poids lourds électrifiés et 90% des véhicules utilitaires).

Les réflexions de l’ADEME ne portent pas que sur la livraison urbaine, mais ce qui est certain, c’est que l’impact est non-négligeable, et que si nous ne faisons rien, la situation va vite devenir intenable.

Le dernier kilomètre est la pierre angulaire d’une logistique durable

Jusqu’à récemment, les préoccupations des consommateurs concernant le commerce en ligne étaient centrées sur le prix, les délais, la possibilité de retourner les produits, la facilité de remboursement… (cf. Services logistiques : les attentes des Français en 2021)

Mais les temps ont changé et nous constatons maintenant une plus forte préoccupation pour l’environnement : 6 attentes des consommateurs pour la livraison de colis. Parmi ces nouvelles attentes, nous trouvons le choix du mode de livraison (plus rapide vs. moins cher), le conditionnement des colis, le suivi de la livraison, les conditions de retour, mais également le souci de mieux consommer. Ainsi, 27% des consommateurs se disent préoccupés par l’impact environnemental des livraisons (source : Metapack) et 40% citent le respect des engagements environnementaux comme le principal critère pour évaluer une livraison (source : Ipsos).

N’allez pas croire que la livraison en vélo cargo est un délire de beatnik, car ce sujet est pris très au sérieux, notamment par le Ministère de l’Écologie à travers son programme d’Innovations territoriales en logistique urbaine durable (doté d’un budget de plus de 8 M€) qui bénéficie d’un site web dédié : InTerLUD.green. Un sujet également au coeur de la stratégie de La Poste qui définit la logistique urbaine comme “L’ensemble des activités qui optimisent les mouvements de marchandises dans les villes (transport et stockage)”.

Toujours selon InTerLUD, les enjeux d’une logistique urbaine durable sont les suivants :

  • Sociaux (conditions de travail des livreurs, gênes pour les utilisateurs de la voirie, maintien à domicile des seniors) ;
  • Économiques (la logistique urbaine représente près d’un emploi sur dix au sein d’une aire urbaine, dont de nombreux salariés faiblement ou moyennement diplômés, c’est également un levier développement économique des territoires) ;
  • Environnementaux (le transport de marchandises représente 10 à 20 % du trafic, mais il est responsable d’1/4 des émissions de CO2, d’1/3 des émissions d’oxydes d’azote) ;
  • Urbanistiques (aménagement de la voirie et des bâtiments, création de nouveaux espaces logistiques).

Tout ceci nous amène à parler des chantiers en cours.

Une obligation de faire évoluer les pratiques de livraison

Comme expliqué plus haut, la densification des villes et l’accroissement du trafic de véhicules poussent les municipalités à modifier les aménagements urbains et à limiter les déplacements de véhicules thermiques : La logistique du dernier kilomètre bousculée par les zones à faibles émissions. D’ici au 1er janvier 2025 des zones à faibles émissions seront implantées dans 45 agglomérations de plus de 150.000 habitants. Cette nouvelle règlementation force les transporteurs à adapter leur flotte de véhicules pour accéder aux centres-villes, et plus particulièrement l’acteur historique : La Poste investit massivement dans la livraison bas carbone des centres-villes.

La logistique urbaine à faibles émissions est maintenant la priorité du plan stratégique “La Poste 2030” qui a pour objectifs de :

  • Réduire l’impact environnemental des activités logistiques ;
  • Développer une logistique de proximité (notamment avec les entrepôts urbains) ;
  • Co-construire des solutions avec les territoires (ex : aires de livraison connectées) ;
  • Se mobiliser avec la filière logistique (innovations).

Par “adapter les flottes de véhicules”, nous pensons logiquement aux véhicules électriques, mais c’est oublier que s’ils polluent moins, les VE polluent quand même (de façon directe et indirecte). La clé réside plutôt dans un mode de transport réellement neutre en émissions : les vélos cargos qui peuvent embarquer jusqu’à 300 kg de marchandises (dans la configuration avec la grosse caisse à l’arrière).

Croyez-le ou non, mais l’histoire des triporteurs a démarré il y a plus de 150 ans, plus précisément en 1869, quand le maire de la ville de Marennes a décidé d’équiper le bureau de Poste de sa ville de deux vélocipèdes. Depuis, la cyclologistique a connu une forte croissance (+354 % pour les ventes de vélos cargos en 2020), surtout récemment avec l’initiative du gouvernement dotée d’un budget de 12 M€ dès 2021 : Plan national pour le développement de la cyclologistique.

Sur de courtes distances, l’intérêt de ces modes de transport / livraison est évident : selon les travaux du Ministère, un vélo triporteur possédant une caisse de 1.500 litres émet 85 % de CO2 en moins qu’un véhicule thermique de la même capacité. J’imagine qu’ils prennent en compte les émissions liées au système pédalage à assistance électrique, et peut-être également à la fabrication de la batterie.

Bref, tout ça pour dire que les triporteurs ont la côte, et pas que auprès des bobo-écolos, car il existe maintenant une fédération des livreurs (Fédération professionnelle de cyclologistique) ainsi qu’un Observatoire et une Charte d’engagement :

  • Défendre l’utilité environnementale de la cyclologistique ;
  • Valoriser la cyclologistique dans la chaîne logistique globale ;
  • Améliorer l’efficacité opérationnelle de la cyclologistique ;
  • Défendre un modèle social exemplaire ;
  • Travailler en concertation avec les partenaires du transport…

Pour plus d’infos sur les pratiques : Les enjeux de la cyclologistique.

La neutralité carbone de logistique urbaine en action

J’ai eu la chance la semaine dernière de visiter un des Espaces de Logistique Urbaine (ELU) de Colissimo. Situé dans le quartier du Louvre, cet entrepôt a été ouvert en septembre 2022 et assure les livraisons sur cinq arrondissements de la capitale. Pour le moment, il existe 4 ELU à Paris (dans les 1er, 5e, 11e et 15e arrondissements) qui assurent des livraisons 100% électriques.

En termes de volume, un centre comme celui du Louvre assure la livraison de 8.500 colis en moyenne par jour, avec des pics en période de Noël. Pour l’anecdote, sachez que ce sont des entrepôts en bout de chaine : le tri des colis est assuré par des plateformes logistiques beaucoup plus grosses implantées en banlieue parisienne. Sinon, la majeure partie des colis est acheminée en vélo cargo à trois roues, tandis que les colis “hors gabarits” sont livrés en véhicules électriques.

Visite guidée :

Même si matinale (RDV à 7h30), cette visite était très instructive, surtout pour un gros utilisateur du commerce en ligne comme moi. Maintenant, je sais à quoi ressemble le bout de la chaine logistique nécessaire à la livraison de mes achats !

Avec les dispositifs en cours, et les aménagements comme ceux réalisés par Colissimo, nous sommes très clairement sur la bonne voie pour réduire l’empreinte carbone, mais surtout pour améliorer le quotidien dans les grandes villes. Reste aux e-commerçants à valoriser la livraison douce dans leur tunnel de commande et aux consommateurs à faire un geste pour la planète, pour leur ville, pour leur quartier : accepter de payer un petit peu plus pour préserver l’environnement et surtout adopter des modes de consommation plus durables.



Source link