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La crise de l’IT a des conséquences très graves et pas seulement dans la Silicon Valley. Mais s’agit-il d’une crise de l’informatique ou d’une crise de l’innovationL’innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l’environnement ? Pour Alain Lefebvre, auteur de « La Crise de l’IT et comment s’en sortir« , il convient d’abandonner les modes technologiques et les effets démo et de se concentrer sur une vision raisonnée de l’informatique où bon sens et pragmatisme règnent en maître. Voici la transcription d’un événement en direct réalisé avec Alain sur LinkedIn en fin d’année dernière. Notons, pour ce qui concerne l’effet démo, la référence à la mère de toutes les démos de Douglas Engelbart que vous pourrez revoir ici.
Crise de l’IT ou crise de l’innovation ? Et comment s’en sortir ?
Une grande crise qui rappelle la crise de l’informatique des années 90 ? Un hiver nucléaire de l’informatique ?
N’allons pas jusque là. En fait, la crise est bien plus profonde. Elle est multifactorielle. Certains parlent même de permacrise. On peut dire que c’est une crise permanente. Il y a aussi une crise morale et il y a aussi des éléments techniques.
D’abord le fait que la loi de Moore ne se vérifie plus même si certains contestent cette assertion, mais c’est la vérité. Or, cela fait plus de 40 ans que la loi de Moore était la locomotive qui tirait le train.
C’était elle qui amenait la croissance, d’abord une croissance technique puis une croissance économique. Tout d’un coup, ça s’arrête. Cela ne marque pas la fin des progrès techniques, mais une certaine automaticité du progrès.
On est donc entrés dans un mode panique, avec cette attente de la prochaine innovation qui va relancer toute la machine et nous sauver.
Car pour le moment, tous les candidats qui nous ont été proposés ne font pas l’affaire. Parfois, ce sont même des fraudes manifestes comme le Web3. Il y a déjà eu des modes techniques qui étaient discutables tout au long de l’histoire de l’informatique.
Je pense à Java à la fin des années 90 par exemple que j’ai beaucoup combattu. Mais même Java, il y avait quand même un fond ! On assiste néanmoins à un renouveau du web autour d’innovations et du web immersif. Oui, il y a des choses qui arriveront, un jour.
Pourquoi regarde-t-on ces innovations sans esprit critique? C’est qu’on aime les contes de fées ? Est-ce dû à l’effet démo ?
Dans le cas du Web3 ce n’est pas tellement là le facteur critique ni l’effet démo, car il n’y a pas de démo. C’est autre chose. C’est la ruée vers l’or qui aveugle. Mais revenons à l’effet démo.
L’effet démo est également une de nos plaies. Cela remonte à 1968 avec ce qu’on appelle la mère de toutes les démos où Douglas Engelbart a démontré un des systèmes distribués, des systèmes graphiques, une interface à base de souris, etc. C’était une démo absolument extraordinaire. Très en avance sur son temps et qui effectivement, après coup, s’est réalisée.
Et en quelque sorte l’émerveillement et la conviction qu’à partir du moment où on voit une démo convaincante, effectivement ça va arriver sur nos postes de travail. Or nous manquons de recul pour faire la différence entre l’effet démo et la réalité du terrain. Le meilleur exemple, mon préféré, ce sont les voitures autonomes.
Il y a une dizaine d’années, on nous disait que les voitures autonomes arriveraient dès 2016. 7 ans plus tard, il y a de plus en plus d’articles qui nous disent à mots couverts, comme ce billet de l’Usine Digitale, que rien ne se passera avant 2030, avant qu’une voiture de niveau 4 ou 5 soit homologuée par les assurances en Europe.
Le journal ajoute même que 2030 est un objectif inatteignable. 2030, c’est loin, mais il n’y a rien d’anormal à cela, rien de choquant.
On n’accorde jamais assez de temps pour laisser les innovations rentrer dans leur phase de maturité. Or elles ne sont utilisables que dans leur phase de maturité
Sommes-nous en train de revivre ça avec l’IA ?
Exactement. Pour l’IA, il y a de la ferveur et de l’hystérie. Cela s’était un peu calmé, et puis avec les applications d’OpenAI, Dall-E ou un GPT3, CHATGPT, etc. nous sommes repartis pour un tour avec l’effet démo. Et de dire que Google est fini, qu’ils sont “foutus”… Qu’on fera des recherches avec un chatbot qui nous répondra précisément au lieu de nous envoyer des dizaines de milliers de liens web.
Google, un jour, évidemment, basculera et sera remplacé, renversé, submergé, comme IBM a fini par l’être, comme Microsoft finira par l’être. Mais ce n’est pas pour demain.
Parce que même si les résultats de Google là sont plutôt en berne, c’est quand même un des géants du présent.
Alors, que proposes-tu comme vision de l’innovation, en opposition à ces réactions hystériques ?
Ce que je propose, c’est ce que j’appelle l’informatique raisonnée. Elle est basée sur trois principes.
- arrêter les projets trop longs
- être agile sans dogmatisme
- arrêter de s’arrimer aux modes techniques nocives.
L’idée est de revenir sur terre, d’utiliser le bon sens et de comprendre que puisque les grands projets ont un taux de mortalité important, il faut arrêter d’en faire. Deuxièmement, être agile ne veut pas dire adopter de façon rigide le vocabulaire et les rythmes des méthodes agiles. C’est comprendre qu’il faut faire des projets courts. Enfin il faut arrêter de croire aux modes miracles.
En guise de conclusion de notre entretien
Ce qui se passe avec ChatGPT, c’est une fois de plus l’attente de la nouvelle grande affaire et une attitude hystérique face à l’innovation. Il est vrai que c’est bluffant par certains aspects, mais il faut bien comprendre que ChatGPT n’est finalement que de la statistique appliquée au texte et qu’il va vous répondre ce qui lui paraît sensé sur un plan statistique.
C’est uniquement un travail de statistique sur des textes, donc il ne peut pas y avoir de fond. Pour le moment, on est “bluffés” quand on joue avec l’algorithme. Mais les applications concrètes de ces programmes sont faibles.
Google duplex (cf. la vidéo de la fameuse démo ci-dessous) n’a pas donné ce qu’on attendait et a été arrêté, mais on en parle peu. On ne parle que rarement des échecs. Récemment, IBM et Maersk ont arrêté leur système Tradelens de la logistique sur blockchain. Mais cet arrêt a eu peu d’écho également.
Précisons néanmoins qu’il n’y a pas forcément de mauvaises intentions derrière ça. Ce n’est pas une théorie du complot, c’est simplement que les gens ont envie de rêver.
Post-scriptum à ce billet sur la crise de l’IT : test Chatgpt3
Il est à noter que la version ChatGPT étant meilleure, c’est celle que j’ai choisie.
J’avais entendu cette histoire de porcelaine dans la nourriture pour bébés même si je n’ai pu en trouver trace dans les moteurs de recherche. Probablement une rumeur urbaine. Par contre, ce qui n’est pas une rumeur c’est que le robot va remplir la page bêtement en essayant de faire des phrases comme un étudiant idiot qui remplirait sa copie alors qu’il ne connaît pas son sujet.
La machine n’est pas capable — sauf si on lui apprend et ça arrivera sans doute plus vite qu’on croit — de « juger » la question. Elle ne fait qu’y répondre de manière statistique en racontant des histoires sans intérêt, mais justes (« la porcelaine est un matériau dur et cassant ») et se met à élucubrer sur une proposition idiote (« si votre bébé ingère accidentellement…).
Un humain aurait sans doute tapé en touche en entendant la question : « Question idiote, n’escomptez pas une réponse ! »
Par contre, croire que l’humain est systématiquement plus « intelligent » que la machine n’est pas vrai non plus. Nombre d’humains raisonnent comme des machines et ne voient pas bien plus loin que leur nez. Ce seront sans doute les premiers à disparaître au profit de ces robots statistiques.
Et si votre métier consiste juste à compiler des chiffres ou des données (et Dieu sait qu’il en existe de ces jobs d’OS du 21e siècle), vous pouvez commencer à trembler également. Même si, comme l’explique Alain, le changement n’arrivera pas demain mais au bout d’une longue période de maturation.