Statistiques 2023 sur la transformation numérique de l’Europe et de la France – FredCavazza.net


Les premières mentions du terme “digital transformation” remontent à 2011. Voilà donc plus de 10 ans que l’on parle de l’évolution des marchés et des entreprises sous l’influence des usages et technologies numériques. Vous pourriez penser que cette transformation est achevée, pourtant nous n’en sommes qu’au début, car ce que nous avons connu s’apparente plus à une phase transitoire qu’à une transformation. Il convient donc de se préparer à des changements majeurs (ex : intelligence artificielle, informatique spatiale…), mais pour cela il est important d’évaluer le chemin parcouru et le reste à faire. La bonne nouvelle est que nous avons tout un tas de statistiques pour y voir plus clair.

En 30 ans, le web et les smartphones ont radicalement changé notre quotidien personnel et professionnel. Des changements profonds qui trouvent un second souffle avec l’intelligence artificielle et l’informatique spatiale : Quels scénarios d’adoption pour les IA génératives ? et Quels scénarios d’adoption pour la réalité étendue ? Ces changements s’inscrivent dans le contexte plus général de la 4e révolution industrielle (cf. La transformation digitale accélère la quatrième révolution industrielle publié en 2016), mais participent à un basculement sociétal et culturel encore plus important : la fin de la civilisation de l’écrit (The Gutenberg Parenthesis by Jeff Jarvis review – how print shaped culture).

Un basculement sur le long terme dont l’opinion publique a du mal à percevoir les implications, car nous manquons de recul (La révolution numérique n’a pas changé que la manière de produire, elle a aussi changé nos attentes). Ce manque de recul peut très certainement être imputé à la culture de l’immédiateté et la prédominance dans les médias de Twitter et des chaines d’infos en continue, mais ce n’est pas sujet du jour…

Voilà donc plus de 10 ans que l’on parle de transformation digitale, avec tous les ans son lot d’innovations disruptives et autres technologies ou services révolutionnaires qui vont tout changer. Cette frénésie nous a petit à petit enfermés dans une vision court-termiste de la transformation, un biais qui nous empêche de relever la tête et d’aborder le sujet avec suffisamment de recul. Je vous propose ainsi cet étonnant reportage d’Arte pour prendre de la hauteur : Cybermonde, l’avenir c’est maintenant.

Maintenant que le décor est planté, essayons de faire le point sur l’état d’avancement de la transformation numérique en Europe et en France.

10 ans pour transformer l’Europe

En 2021, la Commission Européenne a lancé un vaste programme de transformation numérique : Europe’s Digital Decade.

La société numérique et les technologies numériques apportent de nouvelles façons d’apprendre, de divertir, de travailler, d’explorer et de réaliser des ambitions. Ils apportent également de nouvelles libertés et de nouveaux droits et donnent aux citoyens de l’UE la possibilité de s’étendre au-delà des communautés physiques, des lieux géographiques et des positions sociales.

Cependant, il existe encore de nombreux défis liés à la transformation numérique. Le monde numérique devrait être fondé sur les valeurs européennes — où personne n’est laissé pour compte, tout le monde jouit de la liberté, de la protection et de l’équité. […] La décennie numérique est un cadre global qui guidera toutes les actions liées au numérique. L’objectif de la décennie numérique est de veiller à ce que tous les aspects de la technologie et de l’innovation fonctionnent pour les personnes.

Le cadre de la décennie numérique comprend le programme politique de la décennie numérique, les cibles de la décennie numérique, les objectifs, les projets multinationaux et les droits et principes de la décennie numérique.

Les principaux objectifs de ce programme sont articulés autour de quatre axes d’amélioration :

  • Les infrastructures (pour des infrastructures numériques sûres et durables) ;
  • L’économie (pour une transformation numérique effective des entreprises) ;
  • Les compétences (pour une population qualifiée sur le plan numérique et des professionnels du numérique hautement qualifiés) ;
  • La gouvernance (pour la numérisation des services publics).

Plus d’infos ici : Europe’s Digital Decade: digital targets for 2030.

L’avancement de ce programme est mesuré à l’aide d’indicateurs qui viennent d’être publiés à travers la publication d’un rapport annuel la semaine dernière : First report on the State of the Digital Decade calls for collective action to shape the digital transition.

Ces indicateurs sont logiquement répartis en quatre catégories qui correspondent aux quatre axes d’amélioration cités précédemment :

  • Pour ce qui est des infrastructures, la couverture en téléphonie 5G et fibre haut-débit est très bonne (respectivement 81% et 73% des objectifs), en revanche c’est très moyen pour la capacité de production de semi-conducteurs (10% de la production mondiale), et c’est la catastrophe pour les centres de données de proximité (edge nodes) ainsi que l’informatique quantique ;
  • Concernant l’économie, ça se passe très bien pour les PME (77% des objectifs), un peu moins pour le basculement des SI des entreprises dans le cloud (45%), et beaucoup moins bien pour l’adoption de pratiques liées au big data ou à l’IA (respectivement 19% et 11%) ;
  • Les compétences numériques des individus et des citoyens sont globalement bonnes (68% et 47% des objectifs) ;
  • La numérisation des services publics est excellente (la moyenne des indicateurs est à 78% des objectifs).

D’un point de vue macro-économique, nous pouvons constater que les services liés aux infrastructures, aux solutions cloud et à la gestion de la donnée représentent 40% de la valeur générée par le numérique en Europe.

Je serai bien incapable de vous dire si au final ces indicateurs nous révèlent des bonnes nouvelles ou pas, mais le fait de les rendre publics est une excellente initiative. Ceci me permet notamment de rebondir sur un sujet qui me tient à coeur : la montée en compétences numériques.

Comme nous le montrent ces indicateurs, il y a encore des progrès à faire pour améliorer la maturité numérique des citoyens et des salariés européens, c’est manifeste. Pour nous faciliter la tâche, je vous rappelle qu’il existe un cadre de référence des compétences numériques : le DigComp framework.

Ce cadre européen est un excellent moyen de normaliser l’évaluation de la maturité numérique et de mesurer la montée en compétences numériques. De nombreux organismes soutiennent cette initiative dont All Digital au niveau européen et surtout Pix pour la France, lancé en 2016 qui est LA référence.

Vous noterez qu’il y a également des progrès à faire dans les services publics, même si le gouvernement pousse à une digitalisation : L’administration française veut encourager le développement des “start-up d’Etat”.

Améliorer les services publics grâce au numérique

Concernant les actions du Gouvernement, ou plutôt de l’Administration, plutôt que de critiquer, je mets un point d’honneur à mentionner les réussites des différentes initiatives menées par la DiNum, la Direction Interministérielle du Numérique, qui rivalisent avec l’Estonie, la référence en la matière avec son programme E-Residency.

Signalons ainsi le succès de FranceConnect, le système d’authentification unique utilisé par 40 M de Français qui leur permet d’accéder plus de 1.400 services en ligne, et qui intègre de plus en plus de services dont : la carte d’identité et le permis de conduire dématérialisé sur smartphone via l’application France Identité, ainsi que le justificatif d’identité à usage unique.

France Connect et France Identité sont les programmes les plus visibles, mais ils ne sont que la partie visible de l’iceberg avec un véritable choc de simplification des démarches administratives qui s’appuient sur les outils et supports numériques à travers Services Publics +, une initiative portée par le Ministère de la transformation et de la fonction publiques (il y a un “s” à publique, mais je ne sais pas pourquoi…).

Des services publics qui bénéficient dès aujourd’hui de l’apport des modèles génératifs grâce à un partenariat avec la société Anthropic qui édite le chatbot Claude : Le gouvernement planche sur “Albert”, une intelligence artificielle maison. De ce côté là, rien à redire, l’Administration n’est pas en retard. Les mauvaises langues pourraient dire que c’est un moyen pour Elle de réduire les coûts (qui ne cherche pas à le faire ?), mais je préfère me dire qu’ils cherchent avant tout à améliorer les délais de traitement et la qualité des services.

Je signale également que les régions ne sont pas en reste, grâce à une enveloppe de 40 M€ déjà attribués à des projets partout en France : Le Gouvernement soutient la transformation numérique des collectivités territoriales.

Nous n’avons donc pas à rougir de la transformation numérique de notre fonction publique et territoriale, car les réussites et projets sont nombreux. Ceux-ci nous permettent de placer la France en avance par rapport au reste des pays européens, ou d’une éventuelle initiative commune (cf. Shaping Europe’s digital future – Electronic Identification).

Intéressons-nous maintenant au secteur privé…

L’Europe et la France très bien placées dans le commerce en ligne

Pour ce qui est du commerce en ligne, c’est l’association Ecommerce Europe qui nous fournit des statistiques très encourageantes avec un marché global estimé à presque 1 T€ d’ici à la fin de l’année : European e-commerce continues to grow despite shifting economic environment.

Le rapport met ainsi en évidence la très bonne pénétration du commerce en ligne chez les internautes français (83%), supérieure de 7 points à la moyenne européenne (76%).

Une très bonne santé du commerce en ligne qui est confirmée par le rapport trimestriel de la FEVAD : Bilan du e-commerce au 2ème trimestre 2023 : 39,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires : +8%. Les chiffres sont toujours aussi bons :

  • 8,3% de croissance annuelle ;
  • 571 M de transactions (+5,3%) ;
  • un panier moyen à 69 € (+2,8%) ;
  • un nombre de sites marchands en augmentation de 7%.

Concernant les principaux acteurs du commerce en ligne, il n’y a malheureusement pas beaucoup de changements, car on retrouve toujours les mêmes en tête du classement (Baromètre de l’audience du e-commerce : 2ème trimestre 2023), avec cependant une progression notable de Shein, mais faut-il s’en réjouir ?

Des usages très encourageants donc, avec un réel savoir-faire en France (ex : VeePee, Prestashop…) ou en Allemagne (ex : Shopware, Zalando), mais qui restent en retrait par rapport au reste du monde (Global Retail Ecommerce Forecast 2023), notamment la Chine où le commerce en ligne représente 1/4 du commerce de détail (le double de la France), mais il faut reconnaitre que les conditions sont différentes (équipements, infrastructures…), donc difficilement comparables.

Intéressons-nous maintenant aux petites entreprises et aux commerçants.

Les PME et commerçants misent sur le numérique

Hasard du calendrier, nous bénéficions également de statistiques très récentes sur les plus petites entreprises. Et là encore, que des bonnes nouvelles : Baromètre France Num 2023 : où en sont les TPE PME (0 à 249 salariés) avec le numérique ?

Sur les 9.500 entreprises qui ont participé à ce baromètre, les 2/3 disposent d’un site internet, ou à défaut d’un compte sur les médias sociaux.

Pour les 3/4 des entreprises sondées, le numérique représente un réel bénéfice en termes d’apport de clientèle :

D’ailleurs, plus d’1/4 se sont lancées dans la vente en ligne :

Il reste néanmoins de grosses réticences liées à la cybersécurité :

En revanche, il y a un retard manifeste en ce qui concerne l’exploitation des données ou de l’IA :

Ci-dessous, une typologie des entreprises en fonction de leur maturité numérique et des projets en cours :

Ce baromètre de la mission France Numérique, est l’occasion pour moi de rappeler que le terme officiel est “transformation numérique” et non “transformation digitale” qui fait référence aux doigts (“digitus” en latin). 😠

Concernant la transformation digitale numérique des commerçants, nous disposons de la toute récente 7e édition du Baromètre Croissance & Digital de l’ACSEL réalisé sur la base de 700 interviews. Pour plus de la moitié des commerçants, le numérique est une opportunité qu’il faut saisir :

En termes de perception, la moitié des commerçants reconnaissent la contribution du numérique à leur chiffre d’affaires, mais ont du mal à l’évaluer de façon précise.

Quasiment les 2/3 des commerçants exploitent au moins un support numérique, dont 42% de sites marchands et autant de comptes sur les médias sociaux.

Dans la dernière version de ce baromètre, nous constatons une augmentation significative du nombre de commerçants déclarant disposer de compétences en interne pour gérer les activités numériques : + 7 points.

Dernière statistique particulièrement intéressante : presque 6 commerçants sur 10 pensent que l’IA peut leur faire gagner du temps et améliorer la recherche des produits.

Concernant les besoins, il est surtout question de rentabilité, et plus particulièrement d’évaluer le ROI des actions passées ou à venir pour optimiser au mieux les investissements.

De très bons résultats donc pour le secteur privé, quelle que soit la taille de l’entreprise.

De nombreuses questions en suspens pour l’accélération la transformation numérique de l’Europe

Comme précisé en début d’article, la transformation numérique de l’administration ou des entreprises s’inscrit dans le cadre général de la 4e révolution industrielle, un phénomène macro-économique, politique et social qui déborde largement des frontières de l’industrie, et qui n’en est qu’à ses débuts.

Le fait que le web, les smartphones ou l’IA transforment notre quotidien est acquis. La question que l’on se pose maintenant est la suivante : cette transformation est-elle durable et surtout viable à l’échelle européenne ?

Se posent ainsi de nombreuses questions relatives à la souveraineté ou au développement durable :

Comme vous pouvez le constater, les enjeux de la transformation numérique ne sont pas que techniques ou économiques, il y est aussi beaucoup question des aspects politiques et surtout sociaux, car la numérisation à marche forcée de notre société ne va pas se faire sans accroc. Il est donc essentiel de bien réfléchir aux implications à long terme (Les macro-tendances et grands enjeux qui vont façonner la civilisation numérique du 21e siècle) et aux contours de la civilisation numérique qui est en train d’être façonnée (pour le moment) par des géants numériques américains ou chinois. Posons-nous la question de savoir quelle nouvelle société nous voulons faire émerger : De la nécessité d’un nouveau contrat social pour homo numericus.



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