Anonymat sur les réseaux sociaux : faut-il légiférer ?


Harcèlement, diffamation, apologie du terrorisme, désinformation et déstabilisation politique… C’est souvent sous couvert d’anonymat – et en raison du sentiment d’impunité que celui-ci engendre – que les discours haineux se propagent sur les réseaux sociaux. Le moment est-il venu de réglementer cet espace de liberté qu’est le web ?

L’idée de remettre en cause l’anonymat sur Internet resurgit régulièrement dans le débat public. Mais le sujet est clivant : entre les défenseurs acharnés des libertés numériques et les pourfendeurs de l’anonymisation à tout-va, le torchon brûle. Pour les premiers, la dissimulation de l’identité en ligne doit rester un principe intouchable.

L’anonymat en ligne : un point clivant

pour la plupart des pays occidentaux, l’anonymat est un droit légal garanti par la Charte des droits de l’homme de 1948. Il contribue de manière significative à la liberté d’expression en favorisant les échanges sur des sujets sensibles et en protégeant les voix dissidentes qui craignent les répercussions politiques, en particulier dans des pays oppressifs. L’anonymat peut certes s’avérer crucial pour protéger les militants et les lanceurs d’alertes contre des représailles ou des poursuites judiciaires. C’est aussi une manière de préserver les données personnelles des utilisateurs.

Le fléau de l’anonymat sur les réseaux sociaux

Pour autant, l’anonymat revêt aussi des risques, qui découlent tous d’une même question clé : quelles sont les conséquences du manque de responsabilité induit par la dissimulation de l’identité ? Celle-ci est propice au harcèlement en ligne, à la cyberintimidation, à la désinformation, voire à la déstabilisation politique. Elle constitue un terrain fertile pour les faux comptes et les bots, et in fine, pour la création d’un écosystème informatif peu fiable.

Avec des conséquences concrètes sur le monde réel : une étude du CNRS montre les effets de l’ingérence russe dans les affaires politiques françaises et américaines, par l’intermédiaire des médias sociaux et d’un soutien indéfectible aux partis antisystème. Une perturbation qui passe notamment par l’astroturfing, le fait d’utiliser des armées de bots sur les réseaux pour diffuser ou amplifier des messages factices, mais aussi par le financement de légions de trolls (des individus payés pour mettre de l’huile sur le feu).

Faut-il lever l’anonymat sur les réseaux ?

Pour un nombre grandissant de leaders d’opinion, ce qui est interdit dans le monde réel devrait l’être aussi dans le monde numérique. Selon ce principe, le fait de publier un post sur un réseau social relève de la publication, au sens strict de rendre public. Or, publier, c’est être responsable de ses propos. Cette responsabilisation existe dans la presse papier depuis la loi du 29 juillet 1881, qui rend responsable des écrits (et des délits afférents) l’auteur des propos et, à défaut, l’éditeur du titre qui les a diffusés. Cette même approche pourrait s’appliquer aux réseaux.

Un premier pas a été fait en ce sens le 17 février 2024 avec la mise en application du règlement sur les services numériques (Digital Services Act) qui encadre les activités des plateformes web, en vertu du principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne est aussi illégal en ligne.

Mais la réponse législative ne constitue qu’une partie de la solution. D’abord, parce que le respect de la vie privée se doit de rester un absolu – c’est l’ingrédient d’une démocratie en bonne santé. Ensuite, parce que la levée de l’anonymat ne répond pas à tous les problèmes : la recherche académique a largement remis en cause l’idée que la révélation de l’identité d’un auteur suffit à gommer les propos haineux. Enfin, parce que le risque de glissement vers une société de contrôle et de surveillance n’est pas anodin. Couper le noeud gordien, au lieu de s’évertuer à le défaire, n’est donc pas nécessairement la bonne option. Mais l’anonymisation aveugle non plus.

Andréa Bensaid est un entrepreneur de la French Tech, un touche-à-tout du digital et un investisseur français. Il est le fondateur et CEO de la société de conseil Eskimoz, spécialisée dans l’acquisition de trafic en ligne. Il est à l’origine de plusieurs marketplaces et applications mobiles innovantes, et plus récemment hôte du podcast sur l’entrepreneuriat et le digital LITTLE BIG THINGS.

 



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