Sébastien Liebus (Le Gorafi) : L’humour, c’est du travail


Le Gorafi dévoile vient de sortir son  livre annuel : Le Meilleur du Gorafi, un recueil savoureux qui revisite avec son ton satirique unique les actualités marquantes de 2024.

Depuis 2012, Le Gorafi fait rire des millions de lecteurs avec son humour satirique et ses titres absurdes. 

Nous avons interviewé Sébastien Liebus, son fondateur et rédacteur en chef, qui revient sur la genèse du média, son succès et l’organisation (très sérieuse) derrière le Gorafi, racheté par DC company en 2021.

Quelques mots sur le livre ? 

Nous sommes conscients de l’attente des lecteurs. Le livre peut  leur servir à caler des portes, des meubles, surtout lire aux toilettes, c’est vraiment l’objet à emporter aux toilettes…

Plus sérieusement, nous sommes très contents de travailler avec Cherche Midi cette année pour la réalisation de ce livre. 

Nous publions un livre par an depuis 2014. Après avoir testé différents formats, nous sommes arrivés à la conclusion que ce qui intéresse vraiment le plus le lecteur est le recueil d’articles. Nous retenons les articles les plus emblématiques de l’année écoulée, ceux qui sont les plus lus ainsi que ceux qui vont garder leur pertinence au fil du temps. 

8 000 articles publiés en 13 ans, quels sont ceux qui ont marqué les esprits ?

Il y en a beaucoup ! Certains sont devenus emblématiques, comme “Le candidat oublié dans Fort Boyard”, ou encore “Trop souriant dans le métro, il finit en garde à vue” qui nous a fait connaître en 2012. D’autres, plus récents, comme “Emmanuel Macron : quand je serre la main d’un pauvre, je me sens sale toute la journée”, continuent de faire parler. Hier encore, on publiait un article sur le match France-Israël avec une satire sur les cris de singe et les insultes antisémites au Stade de France. 

Ce sont ces articles “universels” qui marquent, entrent dans le langage commun, et peuvent ressortir des années plus tard.

Comment est née l’idée du Gorafi ?

C’est un projet de longue haleine. Huit ans se sont écoulés entre l’idée initiale, en 2004, et la création du site. À l’époque, j’écrivais des parodies de dépêches sur des blogs et des forums. En 2008, lors d’un séjour à New York, j’ai découvert “The Onion”, un journal parodique américain. En le lisant, j’ai réalisé qu’on pouvait créer quelque chose de similaire en français. Mais il m’a fallu encore quatre ans avant d’avoir le déclic, pour que le nom Gorafi s’impose à moi, et l’idée de lancer un compte Twitter, en 2012. 

Twitter a donc été le point de départ ?

Oui, à l’époque, Twitter était peu utilisé en France, surtout par les médias. Pendant six mois, j’ai alimenté le compte seul, sans ambition d’en vivre. Je publiais plusieurs tweets par jour et un article par mois. Mais en septembre 2012, l’article “Trop souriant dans le métro, il finit en garde à vue” a pris une ampleur incroyable. Deux jours après, j’avais des propositions de collaboration, et j’ai constitué une équipe. Fin 2012, mon contrat avec la chaîne de télévision où je travaillais arrivait à son terme. Dès le 1ᵉʳ janvier 2013, je me suis lancé à plein temps sur Le Gorafi. 

Comment travaillez-vous aujourd’hui ? 

Nous employons une quinzaine d’auteurs qui travaillent à tour de rôle pour avoir une réactivité maximale. Car le Gorafi s’est créé sur cette réactivité, sur le fait que dès qu’un événement se produit, les lecteurs vont aller consulter le Figaro, le Monde et le Gorafi pour voir comment nous traitons l’information. Lors de la dernière élection américaine, nous étions en live toute la nuit sur le site avec un article et des brèves publiés toutes les heures de 22h à 10h du matin. Nous avons assuré le même suivi et la même veille qu’un média classique. 

Vous parlez d’un humour intérieur…

C’est un humour subtil, de clin d’œil et qui joue sur la composition et les références. Il ne s’agit pas de l’humour vachard ou rigolard, à la française, où l’on va se taper la cuisse pour rire, mais plutôt d’une forme introspective. Mes influences vont de Woody Allen, avec son livre “Destins tordus”, à Pierre Dac, en passant par les Monty Python. Ce type d’humour demande parfois un peu d’effort pour être saisi, mais c’est ce qui le rend unique.

Nos auteurs travaillent sur des guidelines. Il n’y a pas de gratuité, tout doit être un minimum recherché et approfondi. Je dis souvent que l’humour gratuit ne m’intéresse pas ; il doit être intelligent, nuancé et pertinent. En conférence de rédaction, les auteurs proposent avant tout des titres et non des idées seules. Il y a un travail important avec l’auteur en amont car nous voulons que nos articles apportent une vraie plus value, c’est-à-dire qu’en plus de rire en lisant le titre, la lecture de l’article ajoute un petit sourire en plus.  

Quel est le rôle du titre dans vos articles ?

Le titre est l’élément central d’un article du Gorafi, c’est grâce à lui que nous nous sommes fait connaître. Les lecteurs vont cliquer et partager à cause du titre, et parfois ils vont lire l’article. Le titre constitue 90% de la blague donc il doit être bien ciselé, décidé et construit.

Les titres du Gorafi ont une musicalité calquée sur ceux des revues de presse. Nous sommes devenus viraux sur les réseaux sociaux en reprenant cette musicalité et en jouant subtilement sur les mots ou l’ordre des phrases. Les titres chantent à l’oreille et déclenchent un questionnement : “Attends il y a quelque chose qui cloche là-dedans”.

Le Gorafi est-il politique  ?

La satire est par définition politique : c’est un coup de poing qui part de bas en haut, qui est là pour défendre les opprimés et pour s ‘en prendre à ceux qui ont le pouvoir. L’objectif est de provoquer une réflexion, parfois au prix d’un inconfort. La satire peut être politique ou sociétale, mais elle ne doit jamais sombrer dans le harcèlement ou la moquerie des plus vulnérables.

Comment est-ce que le modèle économique du Gorafi a évolué au fil du temps ? 

Au départ, il n’y avait pas de plan financier. Le Gorafi a commencé comme un projet pour m’amuser mais il est rapidement monté en puissance et des opportunités se sont présentées. Le modèle économique du Gorafi s’est construit progressivement. Au début, nous avons travaillé avec la publicité en display, qui était encore très rentable il y a une dizaine d’années. Ensuite, nous avons développé le brand content, en collaborant avec des marques dans le cadre de leurs thématiques et en les amenant dans l’univers de l’humour. Enfin, nous avons commencé à publier un livre annuel et lancé un partenariat avec Canal+ en 2014, cette dernière opération a permis de poser les bases du développement du site internet.

Quelle audience atteint aujourd’hui le Gorafi ?

Le site attire environ 500 000 lecteurs par mois, avec des pics atteignant le million selon l’actualité, surtout lors des élections présidentielles. Les réseaux sociaux, bien qu’importants dans le passé, ont vu leur impact fluctuer, notamment à cause de la baisse de visibilité sur Facebook.

Les réseaux sociaux restent-ils importants pour votre trafic ?

J’ai créé une page Facebook et dans les années 2010. Jusqu en 2017 elle drainait énormément de trafic. Aujourd’hui le reach sur Facebook a énormément baissé. Mais ce réseau reste intéressant, car des articles seront partagés 1500 fois, 2000 fois. Ils vont vraiment briser ce que j’appelle “l’étreinte de l’algorithme”. Ce phénomène se produit lorsque Facebook n’arrive plus à limiter le partage d’un article faisant qu’il lui échappe. Instagram s’impose désormais grâce à un taux d’engagement plus fort. Par exemple, un article partagé 50 fois sur Facebook peut récolter jusqu’à 15 000 likes sur Instagram. X reste un outil utile pour garder notre réactivité aux actualités.

Les fake news ont envahi les réseaux sociaux. Quel est votre point de vue ? 

Le Gorafi ne traite pas les fake news. Contrairement aux fake news, qui cherchent à intoxiquer et à empoisonner le débat, même lorsqu’ils sont pris au sérieux, nos articles n’ont pas de conséquences graves.

Notre mission est d’éduquer à la lecture critique d’internet et de différencier satire et information. À ce titre, nos articles sont utilisés dans des programmes pédagogiques scolaires pour apprendre aux élèves à différencier la satire de la réalité. Même si nous en sommes très heureux, nous refusons de nous positionner en donneurs de leçons. Notre rôle est de faire réagir les gens par l’humour. 

Comment voyez-vous l’avenir du Gorafi ?

L’objectif reste le même : faire rire et réfléchir, avec un humour intemporel. Chaque mois, nous cherchons à écrire des articles qui pourraient encore faire sourire dans dix ans. C’est cette capacité à créer quelque chose de durable qui me motive. 

Nous nous sommes développés sur de nouveaux réseaux sociaux, comme nous l’avons fait sur Instagram. Nous arrivons sur Tik Tok et YouTube. L’idée c’est de pouvoir toucher de nouvelles communautés et de ne pas vieillir en avec le lecteur. Nous renouvelons notre pool d’auteurs. Nous recrutons des auteurs plus jeunes, qui écrivent des blagues qui parlent aux jeunes lecteurs. Nous visons la longévité.

Le Gorafi a peut-être commencé comme un jeu, mais l’humour c’est du sérieux. 

Et vos ambitions personnelles ?

Mon ambition personnelle est de continuer à gravir les échelons au sein du Gorafi. J’ambitionne de devenir stagiaire sénior au sein de la rédaction, je devrais y arriver, on me l’a promis d’ici trois ans !





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