Bluesky, la plateforme créée par Jack Dorsey en 2019 et ouverte au public en 2023, ambitionne d’être une alternative décentralisée aux réseaux sociaux traditionnels. Son design s’inspire du Twitter des débuts et attire particulièrement les nostalgiques d’un réseau axé sur des échanges experts plutôt que sur le divertissement ou les polémiques. Depuis janvier 2024, elle a connu une croissance notable avec des phases marquées par des pics liés à des événements comme la suspension de X au Brésil ou les élections américaines.
Alors qu’en est-il vraiment ? Est-ce que ce pic d’attention et cette croissance soudaine suggèrent l’arrivée d’une nouvelle puissance social media ? Cette progression ne repose-t-elle pas davantage sur des stimuli ponctuels que sur une dynamique continue ? Bluesky sera-t-il vraiment l’alternative à X ?
Bluesky est au centre de l’attention depuis quelques mois : la plateforme est passée de l’ombre à la lumière, multipliant son nombre d’abonné·es par 8 entre janvier et fin 2024. Et cette croissance s’est fortement accélérée depuis septembre : le 16 septembre, Bluesky annonce avoir atteint 10 millions d’utilisateurs. Deux mois plus tard, 10 millions d’utilisateurs supplémentaires sont annoncés, atteignant les 20 millions. Début janvier, la plateforme compte aux alentours des 26,5 millions d’abonné.es et atteint quasi 30 millions à la fin du mois, boostée par l’investiture de Donald Trump. Mais si Bluesky suscite un intérêt médiatique important, sa portée reste limitée. Depuis le 19 novembre, Bluesky n’a gagné « que » 9 millions d’utilisateurs contre 7 millions en 10 jours courant novembre. La dynamique, bien que toujours présente, diminue. Sa croissance aura été rapide certes, mais depuis, son volume de visite tend aussi à diminuer (4,6 M le 31/12 versus 6 M le 18/11). Un pic à 5,4 millions de visites est enregistré à la suite de l’investiture de Donald Trump, sans égaler le record de novembre. Au total sur le dernier mois de l’année 2024, Bluesky a enregistré 127 millions de visites soit moins que Threads (162 millions), ChatGPT (3,2 milliards) ou X/Twitter (4,2 milliards).
Des utilisateurs engagés, mais une popularité moindre
Aussi, Bluesky attire principalement des utilisateurs et utilisatrices spécialisé.es (scientifiques, journalistes, militant.es), plus engagé.es que la normale et génère donc plus d’engagements que X. Néanmoins, la majorité silencieuse des réseaux sociaux, qui consomme plus qu’elle ne participe, est peu présente sur la plateforme : seuls 20 % des utilisateurs et utilisatrices des réseaux sociaux dans le monde les utilisent pour publier du contenu à propos de leur vie et 22 % pour discuter (Global Web Index – We Are Social). Les recherches en ligne et les visites de Bluesky montrent une popularité bien en deçà de X ou de Threads, avec un ralentissement notable après le pic des élections.
Si on compare Bluesky à Threads, la dynamique de nouveaux utilisateurs de Threads dépasse largement celle de Bluesky : la plateforme a gagné 35 millions de nouveaux utilisateurs en novembre et tient un rythme d’1 million de nouveaux utilisateurs par jour depuis plusieurs mois. Bluesky n’a atteint ce rythme que sur une poignée de jours en novembre. À la fin de sa première année, la plateforme de Mark Zuckerberg enregistrait 175 millions d’utilisateurs, un chiffre bien supérieur à celui de Bluesky. En ce sens, la dynamique de Bluesky est donc plus proche de celle de Mastodon qui après plusieurs années a réussi à atteindre 2,5 millions d’utilisateurs en octobre/novembre 2022 suite au rachat de Twitter par Elon Musk. Néanmoins, la dynamique s’est vite essoufflée et, comme pour Bluesky, aura été nourri par un stimulus extérieur. Si Threads profite également du départ de certains utilisateurs de X, la plateforme a réussi au cours des derniers mois à séduire de nombreux utilisateurs sans avoir besoin de stimulus. La création de comptes Threads ne s’est pas faite « par réaction ».
Alors, que retenir de ces données et informations ? De par son origine et son design, Bluesky ressemble à X/Twitter. C’est Twitter façon 2006 mais en 2025. De ce point de vue, la plateforme est aujourd’hui considérée comme une alternative avec, comme cible principale, les nostalgiques d’une époque où les réseaux sociaux étaient une entrée vers des échanges entre experts et moins vers du divertissement ou du débat d’opinion. Mais en dépit de son potentiel pour s’imposer comme un espace d’échange de niche, Bluesky semble loin de pouvoir rivaliser avec X sur le long terme. « L’exode » n’est pour l’instant pas grand public, malgré certaines personnalités en capacité d’amener leur communauté avec elles. Sa croissance dépend fortement d’événements externes et de migrations d’utilisateurs en réaction aux décisions controversées de X.
Bluesky est une plateforme à potentiel mais elle n’est pas la seule à proposer une alternative cohérente par rapport à X. Discord et Reddit s’en rapprochent en proposant des échanges d’experts, moins polarisés que sur X. Telegram, de son côté, propose une liberté éditoriale proche de celle de X et la plateforme est de plus en plus utilisée pour parler d’actualités, segment très présent sur X. De plus, la plateforme de Pavel Durov a vu son usage s’accroître chez les utilisateurs de réseaux sociaux : 31 % d’entre eux utilisaient Telegram début 2021 contre 35.4 % fin 2024. Telegram est également un territoire fertile pour les marques : d’après Visibrain, Louis Vuitton est par exemple plus mentionné sur Telegram que sur TikTok ou LinkedIn. D’autres marques ou médias, comme le Washington Post, ont depuis longtemps investi cette plateforme avec des messages parfois vu par près du tiers de ses abonnés, bien au-dessus de la puissance estimée de Bluesky à date. Voir Bluesky comme le petit nouveau qui va prendre des parts de marché à X, c’est relativiser la pluralité des plateformes et options présentes sur le marché. Bluesky est une plateforme de niche. Pas une plateforme grand public comme le sont X ou Telegram qui, quoi qu’on en dise, comptent toujours des centaines de millions d’utilisateurs et utilisatrices à travers le monde.