Les régies requièrent votre attention


Une audience fragmentée et une attention dispersée. La multiplication des canaux d’information et l’hyper connexion généralisée, avec son lot de notifications, ne sont pas sans conséquence sur la santé mentale. Alors que chaque citoyen a recours à 7,4 canaux pour s’informer, en moyenne, plus d’un Français sur deux dit souffrir de « fatigue informationnelle », d’après un rapport de la Fondation Jean-Jaurès, L’ObSoCo et Arte, publié en décembre 2024. « Pour nombre de nos concitoyens (51 %), cette fatigue informationnelle génère du stress », déplore Virginie Sappey, directrice marketing et études de FranceTV Publicité, la régie de France Télévisions, qui a construit tout son discours autour de l’attention publicitaire. Une saturation des consommateurs qui peut aussi impacter leur rapport à la publicité. « Depuis 2023, pour ne pas sur-solliciter nos audiences, FranceTV Publicité met un point d’honneur à appliquer le positionnement “Cultivons l’attention des publics”, via une étude qui identifie et quantifie les critères les plus contributifs à l’attention publicitaire en TV et en vidéo​​​​​ », expose Virginie Sappey. La régie publicitaire de la télévision publique a également mis en place un rendez-vous professionnel annuel qu’elle a baptisé « Attention Day ». « Contrairement à d’autres acteurs qui augmentent le volume publicitaire, nous prônons une préservation de l’attention publicitaire et une répartition optimisée des contacts. L’objectif est d’améliorer l’efficacité des campagnes publicitaires, en appliquant une logique de responsabilité, poursuit Virginie Sappey. L’attention répond aussi à des enjeux de réduction de CO2 », alors que les contenus vidéo consomment de la bande passante.

Des publicités inefficaces

Même son de cloche chez TF1. « Des millions de publicités ne génèrent pas d’attention, si ce n’est une focalisation sur le bouton “skipper la publicité”. Inonder le marché avec une multitude de publicités visibles mais inefficaces n’a aucun sens, ni d’un point de vue économique – des pubs peu coûteuses mais sans impact reviennent finalement trop cher pour leur rendement – ni d’un point de vue environnemental, en raison de leur empreinte carbone », abonde Philippe Boscher, directeur adjoint marketing digital de TF1 Pub. « Plusieurs grands annonceurs ont formulé la demande d’un CPM pondéré par niveau d’attention », fait-il savoir. En 2024, TF1 Pub a noué une collaboration avec l’adtech Xpln.ai (prononcer « explain ») sur la mesure de l’attention.

En effet, plusieurs solutions technologiques rendent désormais possible la mesure de l’attention. Et pour amorcer la création d’un standard français, FranceTV Publicité a lancé en 2023 son étude sur l’attention cross-video. Pour cela, la régie a fait appel à l’institut d’études Ipsos, au cabinet Eranos et à la société spécialisée dans l’eye-tracking Tobii, avec la participation de cinq grandes agences média : GroupM, Dentsu, Havas Media, Omnicom Media Group et Publicis Media. La méthodologie a été accompagnée par le CESP (Centre d’étude des supports de publicité). Réalisée en deux temps, l’étude a permis de récolter des données sur les comportements d’attention des publics exposés aux différents formats vidéo. Au total, 300 participants ont porté des lunettes d’eye-tracking (suivi oculaire), pendant deux heures, à leur domicile. Plus de 7 600 sessions publicitaires ont été analysées.

La télévision, un environnement premium

« L’écran TV est le device qui a obtenu le score d’attention le plus fort. Ce n’est pas surprenant, encore fallait-il le démontrer », se félicite Virginie Sappey. En effet, d’après l’étude de FranceTV Publicité, l’écran TV génère une attention de 84 % contre 74 % pour les écrans digitaux. Dans le détail, la BVOD (« broadcast video on demand », soit les plateformes de replay) enregistre le meilleur score d’attention (88 %). Elle est suivie de près par la télévision linéaire (85 %), tandis que la VOL (la « video on line », avec des plateformes comme YouTube) obtient un score d’attention moindre (60 %). De plus, 89 % des spots vidéo en TV linéaire ou BVOD sont vus en entier, contre 56 % pour la VOL et seulement 11 % pour les réseaux sociaux. Le format 20 secondes pour la TV linéaire ou la BVOD culmine à 94 % d’attention (soit 19 secondes attentives) : c’est 2,5 fois plus que la VOL.

« La télévision, avec son environnement premium, a une capacité inégalée dans le brandlift (c’est-à-dire le gain de notoriété) et la rémanence : même quand une campagne de publicité est finie, elle continue à performer d’un point de vue mémoriel », complète Isabelle Vignon, déléguée générale chargée du marketing et des études du SNPTV, le Syndicat national de la publicité télévisée. Le SNPTV a d’ailleurs réalisé une étude au printemps 2024 avec Mediamento et Xpln.ai qui démontre, là encore, que la télévision surpasse la VOL et les réseaux sociaux sur le critère de l’attention publicitaire. Si l’enjeu est de taille pour la télévision face aux géants du numérique, ce n’est pas le seul média à ériger ce nouvel indicateur pour capter les investissements publicitaires.

La presse et le cinéma en tête

Ces derniers mois, on a vu des données sur l’attention fuser de toutes parts. En juin, l’ACPM a présenté « ImPRESSion », son étude de mesure de l’attention publicitaire du média presse, réalisée avec Kantar, pour la mesure déclarative, et Mediamento, pour la mesure comportementale. L’attention publicitaire de 54 lecteurs, sur 13 titres de presse, a ainsi été testée grâce à une technologie d’eye-tracking. Parmi les enseignements de l’étude : la publicité diffusée en presse active « sept fixations oculaires » chez le lecteur. Et, en étude déclarative, la presse (version papier) obtient un niveau de concentration très élevé (73 %), juste derrière le cinéma (92 %) mais devant la télévision (63 %). Du côté de Mediavision, grande régie de réseaux de cinéma, on fait valoir un contexte de visionnage propice à l’attention publicitaire, avec une durée de concentration plus longue que d’autres supports, en particulier le social media, et une perception plus positive de la part des spectateurs. Du côté du Bureau de la radio, qui regroupe quatre grands groupes radiophoniques privés (Lagardère Radio, M6, NRJ, RMC/BFM), on indique que la radio et l’audio digital « amplifient les communications des marques grâce à la puissance de l’imagerie mentale et leur capacité à générer des émotions », dans une étude réalisée avec l’institut Impact Mémoire et présentée en décembre. « Grâce à l’émotion, les créations peuvent générer +17 points d’attention automatique et +11 points d’attention volontaire additionnels », énonce l’étude.

Une attention utile

Autre initiative remarquée : celle de JCDecaux, numéro un mondial de la communication extérieure, qui a réalisé un terrain d’enquête à Strasbourg, au printemps 2024, avec le concours d’Ipsos et Tobii. Une centaine d’individus, qui ne connaissaient pas l’objet de l’étude, ont été équipés de lunettes d’eye-tracking. Leurs comportements visuels, en interaction avec les cadres publicitaires de JCDecaux, ont été analysés sur des parcours prédéfinis qu’ils ont effectués à pied ou en voiture. Encore en phase d’analyse, l’étude livre déjà des enseignements. « Chaque individu a porté au moins un regard sur un cadre publicitaire au cours de son trajet », dévoile Alban Duron, directeur marketing chez JCDecaux. En moyenne, sur un trajet de seulement 30 minutes, 29 regards ont été enregistrés par utilisateur. Une donnée à mettre en regard avec la durée moyenne ​​​​​avec la durée moyenne d’une campagne (sept jours) et le niveau élevé de répétition du mobilier urbain JCDecaux. « C’est intéressant pour la récurrence », note Alban Duron. Et la durée moyenne d’attention par cadre publicitaire a été évaluée à 3,5 secondes, « un résultat supérieur à ce qu’on envisageait », commente-t-il. « Le média extérieur transforme donc une occasion de voir en attention utile. Cette attention utile, en plus d’être bénéfique pour les annonceurs, repose sur l’utilité intrinsèque des mobiliers urbains. Ces derniers incarnent des valeurs de proximité, de qualité et de confiance, renforçant la crédibilité et la perception positive des marques qui s’y associent », argumente le directeur marketing.

Que pense-t-on en agence de ce nouvel indicateur de performance ? Pour Anne-Sophie Cruque, CEO de Biggie Group en France, agence d’activation média et marketing, il ne faut pas perdre de vue que « l’efficacité publicitaire repose avant tout sur la qualité du message : 80 % des résultats sont liés à la création, indépendamment des canaux de diffusion, affirme-t-elle. Le véritable défi consiste à adapter le message au contexte de diffusion, qu’il s’agisse de télévision, de digital ou de médias extérieurs. » Ainsi, pour la spécialiste, les annonceurs devraient avant tout se concentrer sur « l’impact business » (ventes incrémentales, visites en points de vente, recherches en ligne…). « La mesure de l’attention doit être envisagée comme un levier d’optimisation, et non comme une finalité en soi », souligne-t-elle.

Il s’agit donc d’intégrer l’attention dans une réflexion plus large sur la pertinence et l’efficacité des campagnes. « L’attention est un indicateur complémentaire aux métriques traditionnelles telles que le reach, le GRP, l’audience, les impressions ou les contacts », confirme Virginie Sappey. Actuellement, les données d’attention ne sont pas monétisées (tradées) de manière garantie, contrairement à l’audience, qui repose sur le GRP en télévision ou le CPM en digital. Cependant, il est à prévoir qu’une « couverture attentive » sera prochainement intégrée aux outils de mediaplanning (comme Popcorn Media) et à ceux d’achat d’espace des régies publicitaires. Les bilans de campagnes incluront sans doute un score d’attention, permettant aux annonceurs de mieux comprendre comment capter leurs cibles, tout en préservant l’expérience utilisateur.



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