«TUI, Lena et l’IA : entre innovation et controverse», Sébastien Brocandel (Dékuple)


Elle est blanche, blonde, et parfaitement photogénique. Pourrait-il en être autrement ? Lena, l’exploratrice virtuelle de TUI, premier voyagiste mondial, suscite autant d’intérêt que de polémique. Promue comme une création « unique » et personnalisée, dopée à l’intelligence artificielle et aux données, Lena représente un tournant dans le marketing des voyagistes. Mais en cherchant à s’ancrer dans l’innovation, TUI ouvre la porte à une critique féroce : peut-on vraiment défendre des expériences tangibles, émotionnelles, qui s’adressent à tous, comme celles liées au voyage, en les incarnant à travers une entité virtuelle à ce point stéréotypée ? Doit-elle forcément être aussi séductrice ? Est-elle compatible avec l’âme du voyage ?

Lena n’est pas n’importe quelle ambassadrice virtuelle : elle est le résultat d’un sondage, sûrement aussi honnête dans son intention qu’il est biaisé à l’arrivée. Sélectionnée parmi 5 prototypes par un panel de 2 000 personnes, elle incarne l’image consensuelle du voyage Instragrammable. Mais c’est justement cette recherche de consensus qui pose problème. Pourquoi une marque internationale se limite-t-elle à un stéréotype aussi cliché et genré ? Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes critiquent ce choix, y voyant une absence de diversité et une déconnexion avec les valeurs authentiques du voyage : la découverte, la surprise, et la richesse des différences culturelles.

Cette démarche soulève aussi une autre question essentielle : la création d’une identité virtuelle par une marque qui fait du « réel » son cœur de métier est-elle cohérente ? Le voyage est par excellence une expérience sensorielle, émotionnelle et tangible. Confier sa promotion à une entité immatérielle brouille le message et apparaît pour certains comme une contradiction fondamentale.

Vous me direz, ce n’est pas la première égérie stéréotypée dont une marque nous gratifie. BMW, Calvin Klein ou Prada ont par exemple fait appel à Lil Miquela, une « petite » influenceuse virtuelle aux 2,4 millions de followers sur Instagram. S’étonnera-t-on qu’elle soit si populaire avec son physique parfait, largement inspiré des canons de beauté occidentaux ?

Comment innover sans risquer le faux pas ?

Le secteur du tourisme a ceci de particulier qu’il tend à rechercher avant tout de l’authenticité. Qui n’a pas recherché la petite auberge connue seulement des locaux ou la rencontre avec des « vraies gens » du coin ? Or, Lena, bien que présentée comme une figure personnalisée et adaptée, symbolise davantage une uniformisation qu’une individualisation. Même s’il y avait une intention louable à l’origine du projet, l’idée que l’IA puisse refléter les attentes des consommateurs semble in fine s’opposer à la diversité et à la recherche d’authenticité.

Tout ceci met surtout en lumière un défi majeur pour les marques à l’ère de l’intelligence artificielle : comment exploiter ces outils sans déshumaniser leurs messages ? Comment éviter le malaise profond face à l’uniformisation induite par les biais de représentation des technologies génératives ?

L’exemple de Lena illustre bien les potentialités offertes par l’IA et les risques pour une marque qui doit mener une réflexion profonde sur ses valeurs et les attentes émotionnelles de ses clients.

Audience intelligence, social listening, data comportementale… si les données permettent aux agences de conseiller les marques dans leurs stratégies et actions de communication, la tâche n’en demeure pas moins d’une grande complexité. Et les agences, pour le compte de leurs clients, ne peuvent faire l’économie d’une approche à la fois stratégique et éthique.

Comment éviter un bad buzz et garantir un usage pertinent de l’IA ?

Tout d’abord, il est crucial de maîtriser les attentes des consommateurs grâce à une analyse fine des insights issus du social listening et de l’audience intelligence. Cela permet d’anticiper les sensibilités et d’éviter les maladresses. Ensuite, l’agence doit aligner les initiatives qu’elle conçoit avec l’ADN de la marque : l’IA ne doit pas être un gadget, mais bien un prolongement naturel de ses valeurs, de son ton et de son identité.

La transparence est fondamentale : l’agence doit accompagner la marque dans une communication claire sur l’usage de l’IA, dissipant les craintes liées à la protection des données ou à une déshumanisation.

Enfin, l’agence doit théoriquement effectuer des simulations pour tester en amont les scénarios d’usage de l’IA et ainsi réduire les risques tout en renforçant la confiance des consommateurs. Malheureusement force est de constater que cette étape est souvent négligée en raison des contraintes de timing et de budget.

Le lesson learned pour les décideurs marketing

La promesse de la data qui repose sur sa capacité à révéler des insights ultra-précis est bien devenue une arme à double tranchant dans la bataille du marketing digital. Au final, on doit se réjouir de l’initiative de TUI et je pense sincèrement qu’il vaut mieux créer la controverse en osant innover plutôt qu’en restant immobile. Pour les professionnels du marketing, le cas Lena nourrit une discussion nécessaire, passionnante et continue sur l’évolution des pratiques liées à la data. Cela nous promet de belles aventures, des voyages parsemés d’embûches mais exaltants. Attachez vos ceintures, bon vol !





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