Nous sommes ravis de retrouver Jérémy Lacoste, contributeur sur la Réclame. Jérémy est directeur général France de l’agence Eskimoz. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit dans son podcast Déclick, sur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou dans ses tribunes sur la Réclame.
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Lors du dernier Super Bowl, ChatGPT s’est payé le luxe d’un spot publicitaire d’une minute devant plus de 120 millions de téléspectateurs. Derrière ce dispositif, c’est tout le discours meta qui est intéressant : OpenAI s’inscrit comme un maillage de l’évolution de l’histoire humaine, au même titre que les premiers pas de l’Homme sur la Lune… et une grande partie de la production a été réalisée par Sora. Façon de montrer que nous sommes entrés dans une nouvelle ère créative.
À bon compte donc ! Car aujourd’hui, la créa connaît une double évolution inédite : accessible au plus grand nombre depuis l’avènement des moteurs de GenAI et multi-diffusée sur pléthores de plateformes qui en font l’alpha et l’oméga de leurs contenus.
Une opportunité pour les marketeurs ?
1. Les SERP, ce nouveau terrain créatif
La créa n’est plus qu’une affaire de brand manager. Un véhicule qui n’aurait que pour finalité de poser une identité de marque. Aujourd’hui, c’est un asset qui est à la fois de plus en plus consommé par les audiences web, et de mieux en mieux indexé sur les moteurs de recherche.
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Conséquence : finis donc les SERP Google trop verbeuses au profit d’expériences mutli-formats qui laissent toute latitude à des productions créatives protéiformes. À preuve, ce tableau de bord ci-dessous mis à disposition par Semrush qui nous renseigne sur plusieurs choses :
– Les SERP peuvent contenir jusqu’à une trentaine de features différentes
– Seules 2% des SERP n’intègrent aucune feature
– Le assets creatives bénéficient d’une présence forte sur les SERP : Image (54%), Image pack (44%), Video (31%)… et même stories (5%)
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(source : Semrush Sensor)
Mieux, en 3 ans, la présence des Images a progressé de 10 points et celle des vidéos de 24 points… montrant s’il le fallait le virage pris par Google.
Comment expliquer cette soudaine mise en avant créative ? Simple : si le géant de Mountain View n’a pas réussi sa percée dans les réseaux sociaux avec feu Google+, il n’hésite pas à en adopter les codes par capillarité. Et propose ainsi à son audience de plus en plus de contenus auto-porteurs sur ses SERP.
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(source)
Si cette décision va dans l’intérêt des internautes de plus en plus réticents au moindre clic, pour les marques, c’est l’assurance de voir leur trafic baisser, toutes choses égales par ailleurs, comme l’illustre l’étude plus haut avec des CTR décroissants à mesure que les SERP s’enrichissent.
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À position égale, le volume de clics sur une annonce est influencé négativement par la diversité des formats présents sur les SERP. Raison pour laquelle de plus en plus d’annonceurs prennent désormais en compte la position pixel dans leur pilotage.
Face à cette dynamique, deux attitudes possibles :
– Contrebalancer cette dynamique baissière de visibilité en investissant plus massivement en SEA par exemple ou sur d’autres canaux.
– Prendre le pli de cette évolution graphique et investir dans la production d’assets multi-formes et de plateformes tiers afin de maintenir un haut niveau de visibilité ? D’autant que c’est s’assurer des tops positions puisque comme le montre SEO Clarity, ces features trustent souvent le top 1.
Exemple avec l’Image Pack :
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Rappelons à toutes fins utiles que dorénavant les plateformes comme TikTok, X, LinkedIn ou les forums types Reddit sont de plus en plus indexés par Google et qu’il y a un vrai intérêt search à adresser ces réseaux sociaux.
La créa moteur des campagnes ads
50%, 70%… Toutes les régies publicitaires y vont de leur petit pourcentage pour justifier du poids écrasant de la créa dans l’efficacité des campagnes des annonceurs. C’est la revanche des creative content strategists !
Et tous les indicateurs vont dans le même sens.
Que l’on songe à l’étude Kantar de 2023 auprès de 1 300 marketeurs qui estiment à 80 % que c’est la créa qui drive les performances des campagnes. Quasi-unanimisme donc !
« L’analyse de notre base de données cross-média révèle que la créativité à elle seule contribue déjà pour 50 % à la visibilité de marque créée par une campagne », commente l’institut.
Que l’on relise l’étude Nielsen de 2023 aussi qui fait de l’axe créatif le facteur presque majoritaire du ROI d’une campagne. Bataille de chiffres, mais même constat.
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Autant de chiffres d’impact qui sont repris en boucle depuis des années par Google, Meta et consorts afin d’inviter les marques à investir massivement en production créative.
Si on fait un peu d’histoire du marketing, tout remonte à l’étude du projet Appolo de 2006 montrant que l’efficacité commerciale avait été impacté à 65% par les créas ! Et depuis, toute une littérature s’est construite autour de ce précédent. Un couloir de nage où l’étude de 2017 de Nielsen a trouvé toute sa place et a fait office de guideline pour toute une profession.
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(source)
C’est donc un fait établi depuis des années : la créa est éminemment centrale dans les dispositifs marketing. Seulement, j’aimerais y apporter deux nuances :
– Vaut-il mieux privilégier la qualité à la quantité des assets créatifs ? C’est la question à laquelle ne répondent pas ces études. Mon avis est que sur les médias non digitaux, qualité et ton de marque doivent primer pour rendre impactant le message. Sur les plateformes digitales, l’abondance créative doit dominer pour nourrir les algorithmes et trouver les bonnes combinaisons.
– Ce narratif des plateformes publicitaires me semble être aussi un bon moyen de se dédouaner de la responsabilité de l’atteinte ou non des performances. Car qui aujourd’hui produit ces assets, si ce n’est les agences ou les annonceurs directement ? Traduction : si vos campagnes Performance Max, Advantage+, YouTube et consorts ne fonctionnent pas… la faute est moins à chercher du côté de la plateforme, que des créas.
3. L’IA, une opportunité ?
La production créative à haute intensité a toujours été historiquement un pain point dans les organisations. Et les raisons sont nombreuses : process de production long avec des allers-retours avec le légal ; identification uniquement comme un centre de coût ; des brand books qui changent régulièrement et justifient de retravailler l’ensemble des assets…
Seulement, avec la démocratisation de l’IA générative, va-t-on assister à l’émergence d’un nouveau paradigme créatif ? Plusieurs signaux faibles sont intéressants :
– C’est déjà une bonne façon de casser les barrières à l’entrée, permettant aux petites structures de produire à peu de frais quelques assets avec en sous-main le risque d’aboutir à l’uniformisation créative. Avec des prompts qui se rassemblent et des livrables qui se confondent. Forrester révèle que 2/3 des marketeurs utilisent les moteurs LLM aujourd’hui pour de la production créative.
– C’est ensuite une opportunité pour les agences d’automatiser la production des briefs créatifs et la réalisation des premières pistes afin de concentrer l’intensité du travail sur les volets stratégie, pilotage et réalisation. L’IA est ici un outil, au même titre qu’un Excel facilite les calculs.
– C’est également une aubaine pour les régies publicitaires qui embarquent in-house de plus en plus d’outils de production d’assets visuels et vidéos à l’aide de prompts. Google s’est rapidement lancé dans la bataille, suivi par Meta. À la clé : faciliter l’adoption de leurs nouvelles campagnes multi-formats 100% automatisées à l’ensemble des annonceurs. Et ça fonctionne : aujourd’hui Performance Max a un taux d’adoption marché au-dessus de 80%. De quoi monétiser des inventaires qui ne l’étaient pas, autant par réticence sur leur qualité, que par absence d’assets créatifs. (Google vient d’ailleurs d’annoncer aujourd’hui l’intégration de son IA Imagen 3 dans Google Ads pour générer des images lifestyle avec des visages d’adultes réalistes, ndlr)
Et demain, avec la génération d’AI Overviews sur Google en Europe, le virage créatif a de beaux jours devant lui : c’est la sacralisation prochaine du modèle autoporteur de la position zéro.