Le Grand Remplacement de l’homme par la machine est un sujet sensible, de longue date (depuis la Révolte des canuts en 1831). Si la robotisation des usines et des entrepôts n’émeut plus personne, car les robots épargnent aux ouvriers et manutentionnaires des tâches à la fois laborieuses et dangereuses, l’automatisation des services client est plus discutable : d’un côté, les consommateurs privilégient le contact humain ; mais de l’autre, ils apprécient grandement la rapidité de traitement. La résolution de ce dilemme, de même que l’optimisation des délais et de la qualité des réponses, ne repose pas sur des choix éthiques, mais sur une intégration des données et processus pour faciliter l’accès aux informations par les modèles génératifs et agents intelligents.

En synthèse :
- La relation-client combine une approche humaine et des solutions technologiques pour optimiser l’expérience client tout en optimisant l’utilisation des ressources ;
- La réponse aux questions et la résolution de problèmes dépendent de la facilité (ou difficulté) à identifier les bonnes informations et données qui sont éparpillées dans différents systèmes ;
- Le ressenti des consommateurs vis-à-vis des IA est en train d’évoluer avec l’avènement des chatbots reposant sur les modèles génératifs, mais il subsiste une méfiance liée à des facteurs culturels et émotionnels ;
- Les progrès récents des modèles génératifs vont augmenter les capacités des opérateurs humains, leur permettant de se concentrer sur les aspects émotionnels de la relation avec les clients ;
- Le travail d’automatisation des tâches à faible valeur ajoutée va s’intensifier grâce aux agents intelligents, sous réserve qu’ils aient accès aux bonnes ressources informatiques, d’où l’importance du travail préalable d’intégration technique.
La relation-client c’est un peu comme l’expérience utilisateur : tout le monde a son avis, mais très peu savent la définir et surtout l’évaluer (cf. Le B-A-BA de l’expérience client). En revanche, tout le monde est d’accord pour vous dire que c’est un sujet de première importance. D’ailleurs, cette semaine se tenait à Paris le grand RDV annuel de la relation-client : le salon All4Customer (tout est dans le titre !).
Ainsi, vous n’entendrez jamais un professionnel vous dire que la relation-client n’est pas sa priorité ou que le fait de placer le client au centre n’est pas dans l’ADN de son entreprise. Des assertions vides de sens qui sont pourtant emblématiques d’un domaine que tout le monde croit comprendre et maitriser, mais qui est en réalité bien plus complexe et subtile qu’on ne le pense, car la relation entre une marque et ses clients est subjective, c’est un sentiment aussi volatil qu’insaisissable, quoi que pas tout à fait, mais c’est justement l’objet de cet article.

Je vous propose donc de faire le point sur la notion de relation-client, et de voir dans quelle mesure l’intelligence artificielle impacte la relation entre les marques et leurs clients, ainsi que les outils et pratiques qui y sont associés.
Le B-A-BA de la relation-client
La relation client désigne l’ensemble des interactions, échanges et expériences entre une marque et ses clients, à travers l’intégralité du parcours client : avant, pendant et après l’achat. Une bonne relation client est un levier majeur de croissance, de différenciation et de compétitivité dans un environnement où les attentes des clients sont toujours plus élevées et changeantes (le fameux environnement VUCA).
La gestion de la relation client englobe l’ensemble des stratégies, processus et outils mis en œuvre par une marque ou un distributeur pour interagir avec ses clients, répondre à leurs besoins et construire une relation durable et profitable. Elle vise à placer le client au centre des préoccupations de l’entreprise, en optimisant la qualité des interactions à chaque point de contact (achat, support, communication…).

Les principaux objectifs de la gestion de la relation-client (« GRC » ou « CRM » pour les anglophones) sont de :
- Mieux comprendre les besoins et les comportements des clients ;
- Personnaliser les interactions et les offres ;
- Améliorer la satisfaction et la fidélisation des clients existants ;
- Augmenter la rentabilité en optimisant les ventes et le service ;
- Acquérir de nouveaux clients plus efficacement…
Pour faire simple, la relation-client est un levier stratégique qui combine une approche humaine (écoute, empathie…) et des solutions technologiques pour optimiser l’expérience client, tout en servant les objectifs économiques de l’entreprise.
Sur le papier, tout le monde est d’accord, mais c’est dans l’exécution que les choses se compliquent, car les entreprises sont organisées en silos d’informations, de données et même de fonctionnement (les business units). La fameuse « vision client à 360° » n’est ainsi possible qu’en faisant sauter les différentes cloisons d’une entreprise. Et c’est un chantier extrêmement complexe, car il y a un énorme travail d’intégration des informations, données et processus pour y parvenir.

Cette dispersion de l’information et des données imposée par des systèmes informatiques cloisonnés et disparates explique pourquoi les grands acteurs de la gestion relation-client sont principalement des sociétés technologiques dont l’essentiel du travail consiste en l’intégration de connecteurs et de systèmes de rapatriement / traitement des données (ex : Siebel / SAP, SalesForce, Oracle, Microsoft…).
J’ai récemment eu l’occasion de rencontrer les équipes de ServiceNow, une société fondée il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, qui a su se faire une place dans la cours des grands en misant sur l’automatisation et l’intelligence artificielle.
C’est justement de ce sujet, associé à la relation-client, dont il est question dans une étude très intéressante qu’ils viennent de publier.
Une relation ambiguë entre les clients et l’IA (mais pas tant que ça en fait)
L’intelligence artificielle et la relation-client sont isolément deux sujets complexes. Si vous mélangez les deux, vous obtenez des sentiments ambivalents, car l’IA est un terme qui veut tout et rien dire. Le problème est toujours le même : un gros déficit pédagogique (cf. Nous n’avons pas besoin de meilleures IA, mais d’une meilleure compréhension de l’IA).
Depuis quelques années, les professionnels de la relation-client sont en état d’alerte maximale, car ils font face à des clients devenus ultra-exigeants, extrêmement sensibles, qui veulent tout, tout le temps, mais n’acceptent pas d’en payer le prix. La meilleure illustration que je puisse vous fournir est celle des voyageurs qui souhaitent des billets d’avion moins chers, mais se plaignent de ne jamais avoir assez de place pour leurs jambes. Du moins c’est la perception que l’on peut avoir aujourd’hui : des clients capricieux, infidèles, avec des exigences contradictoires. Un parfait révélateur du monde VUCA dans lequel nous vivons (perturbé par de la volatilité, de l’incertitude, de la complexité et de l’ambiguïté).
La réalité est pourtant très différente, car l’étude commandée par ServiceNow révèle des comportements et attentes assez cohérents de la part des consommateurs français : EMEA Consumer Voice Report 2025 (2.000 personnes interrogées par Opinium Research en janvier 2025).
Voici en synthèse les principaux enseignements de l’étude « Consumer Voice Report« :
- Après des premières expériences décevantes avec les chatbots ou assistants vocaux, les consommateurs accordent une faible confiance aux IA ;
- Les consommateurs n’ont pas les mêmes attentes entre les IA et les opérateurs humains (efficacité et rapidité pour les premiers, empathie et souplesse pour les second) ;
- Les consommateurs sont conscients de l’antagonisme entre rapidité et souplesse pour le service client (impossible d’avoir les deux) ;
- Les marques devront s’appuyer sur un tandem entre IA et opérateurs humains pour faire face à toutes les situations et combler les nombreuses attentes des clients.

L’enseignement le plus notable de l’étude est selon moi le suivant : Les consommateurs n’attendent pas des IA qu’elles fassent réellement preuve d’empathie (elles ne le peuvent pas), mais qu’elles puissent détecter les émotions pour se désister et confier la résolution de situations émotionnellement chargées à un opérateur humain. Ainsi, 59 % des consommateurs interrogés disent reconnaitre une IA à son incapacité à comprendre les émotions. De façon surprenante, 72 % s’attendent à ce que les chatbots soient capables de percevoir les émotions dans les années à venir, mais la même part des consommateurs considère que la capacité à reconnaître les émotions doit rester une compétence clé des agents humains. Nous avons donc ici un premier bel exemple de dissonance cognitive. Vous noterez au passage que la détection d’émotions est quelque chose que les robots utilisés dans les centres d’appel font depuis plus de 25 ans.

Autre manifestation de l’ambiguïté du ressenti des consommateurs vis-à-vis de l’IA et des automates : une bonne part des consommateurs s’attend à ce que l’utilisation des chatbots pour prendre RDV se banalise dans le temps (la moitié des sondés vont s’y résoudre dans les 3 prochaines années), alors qu’ils utilisent déjà des caisses automatiques et des distributeurs de billets depuis plus de 20 ans !
Vraisemblablement, les consommateurs font le distinguo entre les automates mécaniques (caisses automatiques, DAB…) et les automates logiques (IA, chatbots…), alors que les deux sont des substituts aux opérateurs humains. Ceci étant dit, les IA s’installent petit à petit dans le quotidien des consommateurs par l’intermédiaire des assistants vocaux, déjà utilisés depuis presque 10 ans sur les enceintes connectées (qui je vous le rappelle, équipent 1/3 des foyers en France). Depuis tout ce temps, les habitudes et mentalités ont évolué, ou sont en train d’évoluer. Près de la moitié des consommateurs se déclarent ainsi prêts à utiliser les assistants vocaux dans 3 ans pour :
- Prendre un rendez-vous (45 %) ;
- Demander plus d’informations ou résoudre les problèmes liés à une facture (42 %) ;
- Demander de l’assistance ou le remboursement pour un produit défectueux (40 %).

Je sais bien qu’il ne faut pas abuser des raccourcis, mais cette étude nous montre que l’utilisation des IA divise les consommateurs : le compromis sur la souplesse au profit de la rapidité via le self-care ne séduit qu’un peu moins de la moitié des consommateurs. Ainsi, près de 47 % jugent que les options de libre-service numérique disponibles répondent à leurs attentes, voire les dépassent. Ce qui veut dire que la majorité ne le pense pas (53%). Il reste donc une grosse marge de progression avant de pouvoir généraliser dans de bonnes conditions l’utilisation d’IA dans le cadre de la relation-client. Ainsi, certaines tâches nécessiteront toujours une supervision humaine, d’ailleurs 43 % des sondés déclarent qu’ils ne feraient jamais confiance à l’IA pour contester une transaction suspecte.

Par « bonnes conditions », j’entends le déploiement de services qui apportent un bon niveau de satisfaction aux clients. Une satisfaction qui repose sur différents critères :
- Rapidité (disponibilité des services pour limiter le temps d’attente et de résolution, car 44 % des clients s’agacent d’un temps d’attente supérieur à 10 minutes) ;
- Précision (fournir des informations ou réponses correctes) ;
- Pro-activité (anticiper les situations problématiques) ;
- Fluidité / Continuité (éviter les répétition et les saisies multiples d’informations, car 45 % des clients citent le fait de devoir répéter leurs informations comme une source de frustration).
Le pré-requis pour ces 4 facteurs-clés de succès est une intégration des informations, données et services au sein d’une même plateforme. Sinon, il y a des délais de recherche d’informations ou de données, l’impossibilité de superviser les opérations (mesurer la qualité des interactions de façon globale), ainsi que des interruptions dans le parcours de résolution (basculement d’un système à l’autre). Autant de points de friction que vous devez régulièrement rencontrer dans vos échanges avec différentes marques, et auxquels vos interlocuteurs sont résignés, même s’ils veulent bien faire.
La relation-client est-elle uniquement une question de tuyauterie ? Je n’irai pas jusqu’à faire un raccourci aussi grossier, mais disons que c’est une condition nécessaire, même si pas suffisante.
Encore et toujours une question d’intégration et de disponibilité des informations et données
Cette étude met donc en lumière la méfiance persistante vis-à-vis de l’IA chez une part significative des consommateurs. Un sacré point bloquant dans la mesure où l’IA nous est présentée comme la solution miracle, le remède à tous nos problèmes, mais qui pourtant provoque un malaise chez plus de la moitié des clients. Oups !
La tentation est grande pour les marques d’exploiter l’IA pour baisser les coûts, notamment dans la gestion de la relation-client (en orientant les consommateurs vers du self-care), mais encore faut-il s’assurer que les opérations en libre-service apportent une réelle valeur ajoutée par rapport à des services opérés par des humains. Le principal argument mis en avant est le gain de temps, et il est tout à fait légitime, car notre rapport au temps a été bouleversé ces dernières années : nous ne supportons plus d’attendre.

Ceci étant dit, je reconnais volontiers que vous n’aviez pas besoin de moi pour savoir que les clients ont des attentes rehaussées. Je souligne néanmoins le fait qu’avec un contexte économique tendu, les marques sont dans l’impossibilité de recruter plus de salariés pour réduire le temps de traitement des demandes ou de résolution des conflits, car il y a une forte pression sur les marges (impossible d’augmenter la masse salariale). De ce fait, la seule marge de manoeuvre pour les marques est le recours aux nouvelles technologies (les IA génératives) pour faciliter et accélérer le recherche de la bonne information ou donnée.
La bonne nouvelle est que nous avons aujourd’hui la possibilité de combiner les big data (interconnexion de plateformes et data lakes), la recherche augmentée (systèmes de RAG, pour « Retrieval Augmented Generation« ) et des modèles de raisonnement pour optimiser l’identification des bonnes informations et leur utilisation pour formuler des solutions.
Pour vous convaincre des progrès réalisés par les modèles génératifs, il vous suffit de constater les scores moyens de test de QI qui sont réalisés sur les différents modèles : Tracking AI – IQ test.

Avec de tels systèmes, la charge de travail relative à la recherche d’informations et la résolution de problèmes est assumée par la machine (intelligence computationnelle), tandis que l’opérateur humain peut se concentrer sur la compréhension fine du problème à résoudre (intelligence situationnelle) ainsi que de trouver les bonnes paroles pour rassurer les clients (intelligence émotionnelle). Selon ce schéma, les opérateurs humains endossent le rôle de solutionneurs, ceux qui aident à débloquer les situations compliquées, ce qui est bien plus valorisant pour eux.
Ce que je décris là s’applique aux situations complexes. Mais pour des demandes et problèmes plus simples, ou plus prévisibles, il existe aujourd’hui des outils bien plus puissants pour créer des agents intelligents (l’évolution des automates logiques : Les agents intelligents sont les nouveaux chatbots). L’agentisation du traitement des cas client s’inscrit ainsi dans une quête perpétuelle d’efficacité pour les entreprises : automatiser toujours plus de processus et de tâches à faible valeur ajoutée.
C’est justement l’un des piliers de l’offre de ServiceNow qui a pris un virage vers l’IA générative il y a quelques années. L’intelligence artificielle est utilisée depuis longtemps dans leurs offres, mais elle a été renforcée avec le rachat de Element AI en janvier 2021 pour faire de l’automatisation avancée. Une trajectoire d’évolution autour de l’IA assumée et revendiquée, car elle s’appuie sur une bonne ancienneté dans l’utilisation de chatbots de premières générations et de scripts d’automatisation via une interface low/no-code.
Grâce aux dernières générations de modèles (modèles de recherche, modèles de raisonnement, modèles d’action) l’offre des éditeurs évolue de « simples » logiciels en ligne à une plateforme reposant sur de nombreux agents, passant de la logique de SaaS à celle de AaaS (« Agents as a Service« , cf. Les agents intelligents nous font rentrer dans l’ère de la GenAI-as-a-Service).
Tout ceci est donc rendu possible grâce à l’IA générative, mais n’allez pas non plus croire que c’est une solution miracle (comme essayent de nous le faire croire les éditeurs), car il y a des pré-requis à respecter.
« Y’à plus qu’à« , OK, mais à quoi au juste ?
Je pense que vous n’avez pas besoin que l’on vous explique que l’agilité est une compétence-clé pour les entreprises qui cherchent à optimiser leurs processus (réduire le nombre d’étapes et d’embranchements) ainsi qu’à fluidifier la circulation des documents et données (pour pouvoir fournir la bonne information à la bonne personne, au bon endroit et au bon moment).
Le challenge auquel sont confrontées les entreprises est de savoir par quoi et par où commencer avec cette IA générative qui nous est présentée comme la solution universelle. Je n’ai ainsi eu de cesse de vous répéter ces deux dernières années que les IA ne sont pas magiques, ce sont des systèmes informatiques qu’il faut alimenter avec les bonnes données, et qu’il faut intégrer aux outils métiers (De l’intérêt d’outils intégrés et maitrisés pour faciliter l’adoption de l’IA).

Voilà pourquoi j’insiste toujours dans mes articles sur ce principe d’intégration des nouveaux outils (pour ne pas perturber les routines de travail des collaborateurs) et de mutualisation des données. C’est vraisemblablement un des leviers de différenciation sur lequel s’appuie ServiceNow : une plateforme qui permet de gérer les processus de différents services (CRM, RH, finance, logistique…) et l’enrichissement des « systems of records » traditionnels avec des données externes (via des partenariats avec des éditeurs comme Snowflake, DataBricks…) pour pouvoir faciliter le travail des agents intelligents (puisque je vous le rappelle, la gestion de la relation-client s’applique à l’ensemble des interactions, sur l’intégralité du parcours client).

Ils en sont persuadés, et moi aussi : la clé d’un service-client de qualité est une expérience fluide et sans couture qui s’appuie sur des flux de données et de travail centralisés. Un point de vue facilement défendable (tout le monde est d’accord avec ça), mais qui est complexe à mettre en oeuvre, car les systèmes d’information sont généralement des agrégats de briques technologiques disparates cousus ensemble de façon plus ou moins rigoureuse. C’est ce que l’on désigne comme un système « Frankenstein ».

La conclusion de cet article est donc logiquement à contre-pied de ce que vous pouvez lire ou entendre à droite et à gauche : l’urgence pour les entreprises n’est pas d’adopter l’IA au plus vite (former les salariés au prompting) ou d’agentiser leurs processus (en souscrivant à une solution d’AI-as-a-Service), mais de réduire la dette technique et de lutter contre la dispersion des informations et données. C’est en quelque sorte une injonction à faire du business as usual, de se dépêcher de continuer à faire ce que l’on faisant avant…