Planter sa boîte en 3 leçons avec Hervé Kabla


Il y a quelques semaines, j’interviewais mon ancien compère Hervé Kabla dans le cadre de la sortie de son nouveau livre intitulé : Comment planter sa boîte en 50 leçons. De ces 50 leçons, j’en ai extrait trois pour lesquelles j’ai demandé à Hervé de nous prodiguer quelques conseils avec l’appui d’anecdotes bien senties. L’interview est quelque peu débridée, mais vous trouverez ci-après, et bien entendu dans le livre, trois de ces conseils précieux pour les créateurs d’entreprise soucieux de ne pas planter leur boîte.

Comment planter sa boîte en 3 leçons

Comment planter sa boite en 50 leçons est le nouvel opus d’Hervé Kabla, indispensable aux créateurs d’entreprise qui ne veulent pas descendre l’escalier et se retrouver au milieu des orties — image produite avec Midjourney et notre mode personnalisé.

Leçon numéro 1 : choisir ses associés

Créer sa structure seul est possible, bien sûr, mais c’est presque surhumain. Si je refaisais le chemin à l’envers, je ne me verrais pas diriger ma boîte sans associés. Quand on démarre, on ne sait pas tout faire. Il faut de la tech, du commercial, de la stratégie… Et, à moins d’être un super-héros, posséder toutes ces qualités est illusoire. J’en ai croisé, de ces profils ultra-compétents. J’en suis admiratif. Mais soyons honnêtes : la plupart des créateurs d’entreprise ont besoin de s’entourer. Créer à deux, trois ou quatre, ça marche, à condition que chacun apporte quelque chose de différent.

Comment s’assurer que l’association fonctionne ?

La clé, c’est la complémentarité. J’ai eu la chance d’être associé avec deux femmes remarquables, Deborah et Myriam. Elles étaient compétentes là où, moi, j’étais complètement perdu. Et inversement, je pouvais intervenir là où cela les aidait. Ça a fonctionné parce qu’on avait des compétences distinctes et qu’on s’entendait bien. Si on est trois à avoir le même profil, c’est une impasse. Si personne ne sait vendre, ou personne ne sait développer, ça ne marche pas. La complémentarité est aussi humaine : bien s’entendre, c’est indispensable. On partage des décisions, des tensions, des échecs. Il faut être solide.

Tu évoques Apple dans le livre…

Oui, j’ai découvert par hasard qu’Apple n’avait pas été fondée par deux personnes, mais par trois. Le troisième s’appelait Ronald Wayne. Son nom est incroyable, on dirait un mélange de Ronald Reagan et de John Wayne ! Il est resté deux semaines et est parti avec 1 500 dollars. Aujourd’hui, Apple est l’une des plus grosses capitalisations boursières du monde… C’est vertigineux quand on y pense. Mais c’est aussi révélateur : tout le monde n’est pas fait pour rester, ni pour suivre la croissance fulgurante d’une startup.

Et les associés passifs, qu’en penses-tu ?

Ce qu’on appelle les ‘sleeping partners’ peuvent avoir leur utilité. Ils peuvent apporter un réseau, une crédibilité, des conseils… Mais il faut savoir ce qu’ils attendent et ce qu’on attend d’eux. L’erreur, c’est de penser qu’un investisseur ou un cofondateur silencieux ne compte pas. Quand la boîte commence à marcher, certains reviennent pour réclamer leur part, même s’ils n’ont pas contribué à l’effort quotidien. Et parfois, cela crée des tensions énormes.

As-tu d’autres exemples frappants à nous citer ?

Oui, Tesla ! Peu de gens savent qu’Elon Musk n’en est pas le fondateur initial. Ce sont deux autres entrepreneurs qui ont lancé la boîte. Mais quand Musk a compris le potentiel de l’entreprise, il en a pris le contrôle. Sans émettre d’avis sur ses propres compétences, cela est typique de ce qui peut arriver quand les visions divergent ou que les ambitions ne sont pas partagées dès le départ.

Quand on crée une entreprise, on ne connaît jamais parfaitement les attentes de ses associés. Elles peuvent évoluer. Et très vite, on se demande : est-ce qu’on a fait le bon choix ? Est-ce qu’on continue ensemble ? Est-ce qu’on ouvre le capital à d’autres ?

Ces questions reviennent sans cesse. Il faut les poser, ne pas les éluder. Car un mauvais alignement peut tout faire exploser. J’ai vu des boîtes prometteuses partir en vrille au bout de deux ou trois ans, simplement parce que les associés n’étaient plus sur la même longueur d’onde.

Planter sa boîte
« J’ai vu des boîtes prometteuses partir en vrille au bout de deux ou trois ans, simplement parce que les associés n’étaient plus sur la même longueur d’onde » nous explique Hervé Kabla dans son livre « Comment planter sa boîte en 50 leçons » — image produite avec Midjourney que nous avons laissé délirer sur ce thème et qui nous a proposé cette image fort poétique et énigmatique. Une métaphore pour l’entrepreneur qui part « en vrille » selon les termes d’Hervé ?

Leçon numéro 2 : innover ou copier une idée : un vrai dilemme ?

C’est une question que je me suis souvent posée. J’ai eu une première expérience avec GolfWorld.fr en 1999, un portail dédié aux golfeurs. Ce qui est amusant, c’est que je n’y connaissais rien au golf. Ni moi ni mon associée ! Mais on voyait bien qu’il manquait quelque chose sur Internet pour cette communauté. Même la Fédération française de golf n’avait pas de site. Alors on a simplement copié un modèle de portail thématique, qui fonctionnait ailleurs, et on l’a adapté. Ce n’était pas une innovation radicale, mais cela représentait une vraie opportunité. Et je suis toujours propriétaire du nom de domaine, d’ailleurs.

À la même époque, j’ai participé à la création d’un projet beaucoup plus innovant : EasyGlider. Là, on entrait dans un autre monde. Des réseaux de neurones pour la classification d’images, un truc totalement à la pointe à l’époque. On était dans la science-fiction pour beaucoup de clients. Ceux-ci nous répondaient : ‘Mais à quoi ça sert ?’. Nous étions dotés d’une très bonne équipe d’ingénieurs, mais nous n’avons jamais vraiment su marketer le produit. Trois commerciaux en un an, aucun n’a eu le temps d’aller au fond des choses. Et on s’est vite rendu compte que l’innovation, seule, ne suffit pas.

2 millions d’euros n’ont pas suffi !

Planter sa boîte
Ce billet est tiré d’un webinaire qui a eu lieu il y a quelques semaines.

On avait pourtant levé 2 millions d’euros auprès de business-angels. Mais nous n’avons pas trouvé de grands investisseurs stratégiques, pas de relais pour ouvrir les bonnes portes. Et ça, ça change tout. Je suis convaincu que si on avait lancé EasyGlider à San Francisco, cette aventure aurait eu un tout autre destin. Le bon réseau, les bons relais, un écosystème adapté : tout cela joue énormément. Ce n’est pas seulement une question de technologie, c’est une question d’environnement.

En France, on avait les universités, les ingénieurs, parfois même les financements… mais pas toujours les synergies. J’ai visité Israël aussi, et là, tout fonctionne en clusters : universités, entreprises, financeurs, dans un rayon de 20 km. C’est simple, rapide, efficace. En France, on a Saclay, Grenoble, mais à la fin des années 90, les conditions n’étaient pas encore là pour porter une innovation à maturité.

Comment planter sa boîte ? une autre expérience 

Dix ans plus tard, j’ai vécu une autre expérience technologique avec EKOZ Technology. Une base de données ultra-performante, jusqu’à mille fois plus rapide qu’Oracle sur certains cas d’usage. Là encore, un projet brillant… mais pas le bon environnement pour qu’il prenne. Finalement, j’ai basculé vers la communication. C’est un business simple, que tout le monde comprend, et dans lequel on peut insérer une petite touche d’innovation sans avoir besoin d’évangéliser pendant des années.

Première de couverture

Innover en France, c’est possible. Mais il faut du temps, de l’endurance, des réseaux, et parfois se prendre deux ou trois murs. Et surtout, ne pas croire que parce qu’on a une bonne idée, le marché nous attend. Il faut parfois partir des frustrations et des manques exprimés par les utilisateurs. Steve Jobs l’avait bien compris. L’iPhone n’était pas une rupture technologique. C’était une combinaison brillante de produits existants – téléphone, appareil photo, iPod – assemblés intelligemment.

L’innovation, ce n’est pas seulement de la technologie. C’est une compréhension fine des usages, une capacité à répondre à des besoins que les gens ne savent pas encore formuler. Regardez la voiture électrique ! Elle existe depuis plus d’un siècle. Mais il a fallu attendre d’avoir un réseau, une logique de prix, un contexte environnemental… Bref, tout un écosystème. Innover, c’est long. Et parfois, c’est juste une question d’être au bon endroit, au bon moment.

Troisième leçon : le télétravail, à consommer avec modération

Le télétravail, comme toute innovation, peut être intéressant s’il est utilisé avec mesure. Je l’ai expérimenté très tôt dans ma boîte avec Yann, un collaborateur basé à Calais. Il venait à Paris deux jours par semaine, et le reste du temps, il travaillait à distance. Ça fonctionnait parfaitement. Yann était le patron de la prod, un pilier. On avait une confiance absolue en lui, et il a même monté une petite équipe de devs à Calais. C’était une vraie opportunité pour une boîte parisienne d’accéder à des talents hors de Paris.

Oui, c’est vrai, c’était aussi plus économique. Les salaires, les loyers, tout est moins cher à Calais qu’à Paris. On appelle ça du « near-shoring », un terme poli pour exprimer qu’on optimise les coûts. Mais attention : ce mode de fonctionnement ne s’improvise pas. Il faut de la rigueur, de la confiance et surtout que ce ne soit pas une obligation imposée. Quand la tendance s’est répandue, les autres salariés ont réclamé du télétravail. Au début, j’étais contre. Puis on a lâché du lest : un jour par mois… puis un jour par semaine. Et là, les complications ont commencé. Ce n’était jamais le même jour, il fallait tout organiser, tout formaliser. Ce n’est pas anodin.

Le télétravail ponctuel a du sens, mais…

Le télétravail ponctuel a du sens : pour changer une chaudière, aller chez le médecin… Mais il n’est pas censé devenir une routine. Travailler en équipe demande de la présence, des échanges spontanés, des regards, des gestes. On sous-estime à quel point la communication non verbale est essentielle dans une petite équipe.

J’ai vu aussi une petite boîte fonctionner très bien avec deux tiers de l’effectif en télétravail. Mais c’est rare. Il faut un niveau de professionnalisme très élevé. Pour certains métiers comme les commerciaux, ça s’adapte naturellement : ils sont nomades par définition. Mais pour les développeurs, ce n’est pas aussi évident. On a parfois besoin de se montrer des choses en direct, de se couper la parole… d’interagir. À distance, c’est plus compliqué.

Le télétravail, ce n’est pas ce qui plante une boîte à lui seul. Mais combiné à d’autres facteurs – un mauvais choix d’associé, une innovation mal portée – ça peut devenir un vrai frein. Surtout si on garde des locaux trop grands, des baux 3-6-9 coûteux, et que la moitié de l’équipe n’y met plus les pieds. Là, oui, on met l’entreprise en danger.

L’erreur, ce n’est pas le télétravail. L’erreur, c’est de ne pas anticiper ses conséquences. Mon livre ne donne pas de vérité absolue, il pousse à réfléchir. Ce qui paraît anodin peut avoir un effet domino dévastateur. D’où l’intérêt de poser les pour et les contre avant de trancher. Il ne s’agit pas d’interdire, mais de réfléchir. Entreprendre n’est pas un long fleuve tranquille.

Malgré tout, on expérimente… Et on apprend de ses erreurs ?

Oui… Mais on peut aussi apprendre des erreurs des autres. J’aurais aimé avoir des conseils, ou un coach, plus tôt sur certains sujets. J’ai rejoint un club de dirigeants. Certains échanges m’ont littéralement sauvé. C’est aussi pour ça que j’ai écrit ce livre. Il ne dit pas quoi faire, il alerte sur ce qui peut mal tourner. Surtout pour les jeunes entrepreneurs, qui n’ont pas encore vécu tout cela.

Un mot sur le titre : ‘Comment planter sa boîte en 50 leçons’… C’est volontairement provocateur ?

Oui ! Les plus de 50 ans me demandent toujours pourquoi je n’ai pas écrit ‘Comment ne pas planter sa boîte’. Les jeunes, eux, trouvent ça drôle. J’ai suivi les jeunes. Le livre est pratique, positif, même si le titre pique un peu. Il s’adresse à ceux qui se lancent, qui rêvent d’entreprendre sans toujours savoir ce que ça implique.

En résumé, il s’agit d’un ouvrage pratique et utile à tous ceux qui se lancent dans l’entrepreneuriat, et dont la valeur dépasse largement la provocation de son titre.

L’interview « 3 leçons pour planter sa boîte » avec Hervé Kabla du 6 mars 2025

Les apprentis entrepreneurs désireux d’approfondir le sujet pourront aussi consulter l’interview de Stéphane Degonde que nous avions réalisée il y a tout juste dix ans mais dont le contenu est plus que jamais valable.





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