Présent dans les petites annonces en ligne et dans les médias, en Allemagne et aux États-Unis, grâce au soutien du fonds KKR, Axel Springer va se scinder en deux pour que KKR puisse récupérer les seules activités de marketing digital. Les médias reviendront à la famille Springer, associée à Mathias Döpfner.
En 2011, Mathias Döpfner, alors directeur général du groupe Axel Springer, offusquait une partie de sa rédaction en déclarant que son groupe de presse, créé en 1946 à Hambourg par Axel Springer, au lendemain de la défaite allemande, n’était plus, à proprement parler, un groupe de presse mais un producteur de contenu, et qu’il fallait en conséquence accélérer sa mue vers le numérique. La presse régionale allemande était cédée dès 2013 (voir La rem n°29, p.34) et les activités de presse magazine en France revendue à Reworld Media la même année. En même temps, Axel Springer débutait ses investissements dans le numérique pour se constituer progressivement une galaxie de sites de petites annonces. La presse n’était toutefois pas oubliée, mais il fallait désormais qu’elle s’inspire des canons de l’internet. En Allemagne, seules deux marques fortes ont été conservées, le Bild et le quotidien Die Welt ; les tentatives d’Axel Springer ont, depuis, été toutes entravées sur le marché allemand, où le groupe a cherché à s’emparer de chaînes de télévision pour faire émerger une rédaction plurimédia (voir La rem n°36, p.32). Axel Springer a alors parié sur le marché anglo-saxon en rachetant un ensemble de médias pure players et haut de gamme, avec un investissement dans Business Insider (88 % du capital pour 343 millions d’euros) et dans Politico Europe en 2015 (voir La rem n°34-35, p.24). Cette stratégie d’investissements dans le marketing digital et dans des pure players d’information à haute valeur ajoutée, essentiellement américains, s’est renforcée avec l’arrivée au capital du groupe du fonds KKR en 2019 (voir La rem n°52, p.45), suivie d’un retrait de la Bourse en 2020. En 2021, Axel Springer rachetait ainsi la totalité du capital de Politico, pour un montant estimé à 1 milliard de dollars, et s’imposait comme un acteur majeur de l’information en ligne aux États-Unis (voir La rem n°59, p.39).
Après une dizaine d’années d’investissements dans le marketing numérique et les pure players, le groupe a ainsi fait émerger deux activités bien identifiées et de plus en plus étrangères l’une à l’autre : une activité de marketing numérique correctement développée en Europe, rentable, mais qui s’est éloignée des activités médias depuis que celles-ci misent sur l’abonnement au détriment de la publicité numérique, captée pour l’essentiel par les plateformes ; une activité médias avec deux titres de référence en Allemagne, le Bild et Die Welt, et un ensemble de sites d’information aux États-Unis avec Politico en navire amiral. La branche média est la moins rentable et elle attire les polémiques parce que la nature de l’activité expose ses acteurs au moindre écart. Pour le fonds KKR, qui s’est associé au fonds de retraite canadien CPPIB pour contrôler 48,5 % d’Axel Springer, il a donc fallu imaginer les conditions d’une sortie qui permette de valoriser l’actif malgré les risques propres à l’activité médias. Après avoir renoncé à introduire en bourse le site de petites annonces d’emploi Stepstone, KKR et Mathias Döpfner ont finalement convenu d’une scission du groupe le 19 septembre 2024.
Après la scission, KKR et le fonds CPPIB récupèrent la branche de marketing numérique valorisée 10 milliards d’euros, Mathias Döpfner restant présent au capital de la nouvelle structure à hauteur de 15 %. En effet, Mathias Döpfner s’est imposé petit à petit aux côtés de la famille fondatrice puisqu’il détenait 21,9 % du capital d’Axel Springer avant la scission, en association avec Friede Springer, l’héritière d’Axel Springer, avec 22,5 % du capital, ce qui justifie leur présence au capital de la nouvelle structure contrôlée par KKR. Mathias Döpfner et Friede Springer récupèrent, en revanche, l’intégralité du capital de la nouvelle branche médias issue de la scission, qui conserve le nom d’Axel Springer et se retrouve valorisée 3,7 milliards d’euros pour ses sites américains et ses deux journaux allemands. Le groupe Axel Springer redevient « une entreprise médiatique familiale », fortement imprégnée de culture numérique : Mathias Döpfner a ainsi été l’un des premiers éditeurs de presse à investir dans l’IA générative et à conclure un accord avec OpenAI pour la reprise de ses articles (voir La rem n°69-70, p.55), de même qu’il a été à l’origine des investissements dans le marketing numérique quand il a tenté de capter une part du marché de la publicité numérique face aux plateformes comme Google ou Meta. Les médias du groupe Axel Springer exploreront à l’avenir les perspectives offertes par l’IA générative en même temps que ses journalistes seront attentifs à produire des informations à haute valeur ajoutée susceptibles d’attirer des abonnés, sur le modèle de Politico. Cette ligne directrice avait déjà conduit Mathias Döpfner à tenter de s’emparer du quotidien financier de référence au Royaume-Uni, le Financial Times, en 2015, et le positionne désormais comme un repreneur potentiel du Wall Street Journal dont News Corp. pourrait se séparer.
Pour KKR, l’opération est rentable au moins sur le papier. Entré au capital d’Axel Springer en 2019 pour une valorisation du groupe à 6,7 milliards d’euros, le fonds récupère la branche la plus rentable et la mieux valorisée, quand les deux activités représentent ensemble 13,5 milliards d’euros au moment de la scission. Le périmètre et la valorisation exacte des deux nouvelles entreprises seront connus quand la scission sera effective, cette dernière étant prévue au second semestre 2025.
Sources :
- Madelin Thibault, « Axel Springer envisage la cession de ses sites d’annonces, dont SeLoger », Les Échos, 16 août 2024.
- Alcaraz Marina, « Axel Springer proche d’un accord avec KKR pour scinder ses activités », Les Échos, 16 septembre 2024.
- Cohen Claudia, « Axel Springer révolutionne son modèle pour renforcer son empire », Le Figaro, 20 septembre 2024.
- Madelin Thibault, « Le Citizen Kane allemand fait le ménage à la tête d’Axel Springer », Les Échos, 20 septembre 2024.