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Les ETI en forte croissance doivent adopter l’agilité et elles n’ont pas le choix. On parle de méthode agile dans les projets IT depuis 25 ans, même si ses principes préexistaient dans quelques protométhodologies comme le RAD ou le modèle en spirale, mais pour les ETI c’est maintenant que ça se passe en face du grand saut que doivent réaliser ces entreprises de taille intermédiaire. Frédéric Charles, directeur de la stratégie digitale & innovationL’innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l’environnement de Suez Smart Solutions et Boris Pouderous, DSI du groupe Sterne ont partagé leurs meilleures pratiques avec les participants de Ready for IT Monaco le 20 mai 2025. Ce débat était animé par Mélanie Bénard Crozat, rédactrice en chef de S&D (sécurité et défense) magazine.
ETI et agilité : le grand saut vers « plus » de souplesse

On remarquera le « plus d’agilité » dans le titre de cette conférence. Et ce « plus » est justifié. Une ETI c’est un peu l’avantage de la grande entreprise combiné à celui de la start-up (ou l’inconvénient, selon le point de vue).
Bref, une ETI navigue à vue dans l’incertitude et l’agilité dans le SI est une obligation. C’est ce que nous ont expliqué les deux intervenants de la table ronde de Ready-for-IT 2025 dédiée à l’agilité dans la refonte des Systèmes d’information.
Boris Pouderous est DSI du groupe Sterne, un acteur majeur « de la logistique premium bas carbone en Europe dont l’offre de services urgents à forte valeur ajoutée, planifiés ou à la demande, s’adapte au métier et à la criticité de chaque situation ».
Le groupe a beaucoup crû ces dernières années (450 collaborateurs en 2017, 2300 aujourd’hui), à la fois organiquement et par croissance externe. « D’un point de vue de l’IT, cela a créé de gros enjeux, car il y a beaucoup d’obsolescence dans les logiciels métiers. Il a donc fallu digérer la croissance tout en pensant le SI brique par brique » a expliqué le DSI. Un challenge important, car les clients demandent du sur-mesure et que la société est fortement challengée sur les aspects cyber, a-t-il ajouté.

La Supply Chain a beaucoup été attaquée depuis la guerre en Ukraine et depuis, c’est un défi quasi quotidien.
Un groupe qui s’est aussi construit avec des LBO (Leverage Buy-Outs), avec « des actionnaires qui changent au fil du temps », ce qui a constitué un défi supplémentaire. Heureusement, le responsable IT a pu, « au début du LBO s’inspirer de la vision du patron et transposer cette vision business en IT », ce qui était plus facile.
On réussit mieux en découpant un grand projet en petit pas ambitieux.
Une ETI est une entreprise en croissance
Frédéric Charles, directeur de la stratégie digitale & innovation de SUEZ Smart Solutions est revenu sur les critères qui font une ETI. La caractéristique type d’une ETI est d’être en croissance. Si en grande entreprise l’activité est principalement stable, en ETI il faut changer sur des temps très courts.
Or, quand celles-ci doivent changer rapidement, l’agilité arrive tout naturellement explique Frédéric. Car « il n’est pas possible de changer tout d’un seul coup ». Dans le cas de groupe Sterne, la LBO et son business plan, qui ont été communiqués au DSI, ont agi comme un élément déclencheur du caractère stratégique du système d’information.
Dans le cas d’une entreprise de taille intermédiaire, si le déploiement ne se fait pas de manière agile, cela va déclencher tout un tas de problèmes SI. Même si la plupart d’entre eux sont en fait des problèmes de processus, nous explique Frédéric Charles.
Gifi, l’entreprise victime d’un changement de SI raté
Frédéric a illustré son propos d’un exemple. « GIFI a changé son SI et n’a pas réussi finalement à aboutir avec son projet de transformation. L’impact a été immédiat sur les ventes (-9 %, chiffre cité par Frédéric Charles) des ventes, car les produits n’étaient pas disponibles.
Si le SI éternue, le business tousse
Une phrase qu’il conviendrait de répéter souvent à ceux qui pensent que le système d’information est un élément du passé. En fait, il n’a jamais eu autant d’importance qu’aujourd’hui, car il est là-base sur laquelle tout le reste de l’entreprise s’appuie. Ceci n’est même pas nouveau, mais ce phénomène est encore renforcé par les transformations technologiques que nous sommes en train de vivre en ce moment.
Quant à l’agilité, Frédéric la voit partout : “en amont, et en aval du SI. Car il faut accepter les itérations”. Un des problèmes principaux que l’on rencontre dans les ETI, est le manque chronique de ressources. Le groupe Sterne est fort d’un effectif IT de 38 personnes, ce qui peut paraître beaucoup nous dit Frédéric, mais en croisant par domaine et par secteur, ce n’est pas le cas.
“Dans le cadre de mes interventions de management dans les écoles de commerce, je vois les directeurs métiers qui viennent prendre le vernis de l’agilité, car ils ne peuvent pas se permettre de passer à côté de cette compréhension”.
C’est en quelque sorte une forme de maturité, car quand les responsables métiers s’emparent des problématiques informatiques et cela a été mon métier pendant plus de 20 ans, on peut envisager une parfaite symbiose entre la maîtrise des processus métiers et l’automatisation informatique.
Mais dans les ETI, la question est bien différente. Du fait du manque de ressources et de disponibilité des responsables métier, la maîtrise d’ouvrage est située dans la direction informatique, ce qui du propre aveu de Boris Pouderous, “cause un problème puisqu’on rajoute un niveau supplémentaire”. En effet, dans ce cas, la DSI joue le rôle de traducteur des besoins métier, et ce n’est pas toujours facile quand on ne maîtrise pas la partie business.
Quoiqu’il en soit le SI, enfin, et on s’en réjouira, n’est plus un sujet techno, mais stratégique.
Étapes clés de la transformation de l’agilité chez Groupe Sterne
Boris Pouderous a décrit ainsi les différentes étapes de la mise en place de la transformation dans son entreprise :
- Consolider l’existant pour éviter qu’il s’écroule en préservant le business, ce qui est compliqué avec un SI obsolète ;
- Définir les points essentiels de la réussite du projet. En B2BEn réalisant ce glossaire Visionary Marketing s’est heurtée de front à un problème de taille : faut-il écrire BtoB ou B2B ?, cela correspond à gérer les flux qu’on opère. Livrer au point demandé représente seulement 50 % du travail, nous a-t-il dit. Il faut disposer de la data des transporteurs pour mieux comprendre les flux et gérer les approvisionnements et les temps de livraison.
- Le SI obsolète a été découpé en petits morceaux pour éviter de casser la production et le rendre plus agile. Boris Pouderous et son équipe ont identifié les compétences métier dans les différentes directions. Étant donné la culture de l’urgence, typique d’une ETI, “l’agilité s’est un peu arrêtée aux frontières de la DSI”. Les Product Owners sont donc dans la SI et ils vont interviewer les sachants métiers. “Cela met un frein au travail et cause de la déperdition”, a ajouté Boris Pouderous.
À cela, il faut ajouter de la “commitologie” [NDLR un néologisme que nous interprétons comme une obligation de mesurer le résultat »] afin de mesurer la conformité des résultats et l’avancement des travaux. “On découpe les projets sur des livrables courts pour s’adapter, car les métiers changent souvent d’avis. Mais cela est normal, ça fait partie du business et la DSI doit intégrer ces changements”.
Les métiers changent souvent d’avis, mais cela est normal. C’est à la DSI d’intégrer ces changements !
L’agilité pour naviguer dans un environnement incertain
Mais si on veut comprendre plus précisément l’importance de l’agilité dans un projet de transformation digital en ETI pour accompagner la croissance, il faut se rendre compte des défis que Boris Pouderous et son équipe ont trouvé sur leur chemin depuis le début du projet.
Cela a commencé avec le COVID qui a eu un impact fort sur la logistique [le métier des clients de groupe Sterne]. Dans la foulée, les industries clientes du groupe [fabricants automobiles et aéronautiques] ont commencé à souffrir. Il a donc fallu se diversifier. À cela est venue s’ajouter la guerre en Ukraine dès 2022. Puis la crise économique et énergétique en Allemagne, ce qui a eu un impact sur la santé financière de l’entreprise. Santé financière qu’il a fallu maintenir à tout prix pour continuer de financer la croissance. Puis sont venus les JO 2024 qui ont posé des défis à l’entreprise car “comment livrer à Paris en été quand la plupart des ponts sont fermés ? !”
Et ce n’est pas tout, avec ceci il faut ajouter le verdissement des flottes et les ZFE, les réglementations comme le passage de 90 à 80 km/h qui a eu un impact important sur les temps de livraison et qui a imposé d’adapter l’offre. Il faut ajouter à cela les réglementations comme le RGPD, Dora [Digital Operational Resilience Act] et Nis2. Sans oublier, pour finir, les enjeux de souveraineté numériqueDéfinition marketing digital, un terme utilisé en permanence et pourtant bien mal compris car mal défini cités par Gilles Babinet dans sa keynote de Ready for IT, dus à la guerre économique que nous subissons, avec quelques soubresauts, en ce moment.
En conclusion sur agilité et ETI
Face à ces enjeux, l’agilité joue un rôle prépondérant dans les projets de transformation des SI et encore plus dans ceux des ETI qui sont naturellement soumises à des enjeux de croissance plus aigus. Pour bien accompagner ces changements, une veille assidue et régulière doit être pratiquée, nous ont expliqué les deux intervenants. Anticiper les enjeux des clients et des réglementations, identifier les tendances, être impliqué dans les différentes équipes… sont quelques-uns des points clés cités dans ce débat.
L’IA , la grande absente
Une chose a été frappante dans ce débat toutefois, c’est l’absence de mention de l’évolution du code et de sa construction, qui sont pourtant au centre de toutes les discussions de l’autre côté de l’Atlantique. Pourtant, on imagine bien que des SI plus agiles dans leur construction peuvent avoir un impact sur la participation de représentants métier engagés, afin de renforcer encore l’agilité et la rapidité d’exécution. Interrogés sur ce sujet, les deux intervenants ont plaidé pour des “développeurs augmentés par l’IA” en écartant la possibilité qu’ils soient remplacés.
Ce qui n’empêche pas qu’il se puisse que les compétences évoluent et se transforment pour accompagner ces évolutions technologiques. Si nous sommes d’accord avec Frédéric Charles et Boris Pouderous pour dire que les remplacements ne seront pas massifs immédiatement, on ne peut nier le problème actuel qui touche les embauches de programmeurs aux USA. Entre l’exagération “révolutionnaire” et le statu quo, il y aura certainement une voie intermédiaire sinon médiane. Dans tous les cas, l’impact indéniable et majeur de l’agilité dans le fonctionnement des transformations des SI métiers ne fera que croître, nous ne sommes pas prêts de revenir en arrière.