L’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres et en particulier sur celles des professionnels du marketing. Dans les feuilles de route stratégiques, les présentations de comités de direction, les débats professionnels, les communautés des CMO ou encore les événements marketing. Elle suscite fascination et appréhension en promettant rapidité, efficacité et performance. Mais dans ce tumulte d’outils et de discours, un décalage profond s’installe. Et si, collectivement, nous étions en train de nous égarer, en traitant l’IA comme une fin en soi plutôt que comme un levier au service d’objectifs stratégiques ?
La frénésie de l’IA, symptôme d’un marketing en perte de repères ?
Au sein des directions marketing, on assiste à une véritable frénésie. Il faut aller vite et cocher la case IA sous peine d’être taxé de has been. Ce comportement désordonné transforme les organisations en poulets sans tête, courant dans toutes les directions sans but précis. Mais cette obsession de la vitesse a un coût : une désillusion généralisée et une perte de temps, et parfois, une forme de décrédibilisation de la fonction marketing.
Nous constatons un décalage croissant entre le potentiel de l’IA et les véritables enjeux marketing : soutenir la croissance et le business, gagner en efficacité ou créer de la valeur. On veut son outil de génération de contenus pour publier des posts LinkedIn, sa personnalisation en temps réel pour des envois d’emails, son automatisation à grande échelle pour générer des campagnes en quelques clics, ses prompts et ses templates magiques prêts à l’emploi, sans oublier son starter pack… mais sans jamais se poser la seule question qui compte : pourquoi ? Dans quel but ?
Des outils sans stratégie restent des promesses sans résultats
Rappelons-nous : chaque grande révolution technologique a suscité les mêmes emballements. L’avènement d’Internet, au début des années 2000, a profondément changé nos manières de travailler et de faire du marketing. Les CRM, ensuite, ont été perçus comme des solutions miracles pour piloter la relation client. Plus récemment, les réseaux sociaux ont été adoptés avec l’espoir d’une portée organique sans limites.
Or, déconnectés d’une stratégie claire, ces outils deviennent des gadgets technologiques. Ils flottent au-dessus de l’organisation, sans jamais s’y intégrer de façon utile ou structurelle. L’IA suit le même chemin. Sa puissance est réelle et ses applications sont nombreuses. Mais son impact sera nul si elle reste envisagée comme un totem à brandir pour rassurer. Pour avoir un impact réel, l’IA doit être utilisée comme une brique supplémentaire dans une stratégie globale, sans négliger le temps qu’elle requiert en investissements et en ressources.
L’IA est un outil, pas une baguette magique
Alors, que faire ? Il faut d’abord ralentir, prendre le temps de poser les bonnes questions. Pourquoi souhaite-t-on intégrer l’IA ? Pour gagner du temps, réduire les coûts, améliorer la qualité ? Quels objectifs précis cherche-t-on à atteindre ? Ensuite, résister à l’injonction de l’immédiateté. Ce n’est pas parce qu’une direction demande où en est l’IA qu’il faut agir dans la précipitation. Le marketing doit être un espace de discernement, pas un réceptacle de tendances passagères. Il ne faut pas l’oublier, aujourd’hui, le plus grand luxe du marketing reste le temps.
L’IA n’est pas un miracle, c’est un outil. Et comme tout outil, elle exige du temps, de la formation et un véritable travail d’intégration. Elle ne peut être déléguée à un collaborateur enthousiaste, mais isolé, ni être traitée comme une simple fonctionnalité à expérimenter. Elle suppose une vision, un engagement et une réflexion sur le long terme. Elle a un coût, de développement, de mise en place et de conduite du changement. Et ce coût doit être envisagé comme un investissement.
Il faut également savoir s’entourer de façon stratégique : l’IA touche aux domaines techniques, juridiques et organisationnels. Sa mise en œuvre nécessite un pilotage transversal, des compétences variées, une rigueur d’exécution. Enfin, il faut assumer le temps long. L’IA transforme, elle ne remplace pas. Comme les CRM hier, elle suppose une acculturation progressive, une intégration soigneusement orchestrée.
Le digital, lui aussi, a d’abord été exploré à tâtons. Puis, il est devenu un chantier prioritaire, avant de se fondre dans le paysage. Aujourd’hui, plus personne ne parle de transformation digitale, elle a eu lieu. L’IA suit le même chemin. Elle infiltre nos outils, nos processus, nos habitudes. Il ne s’agit donc pas de chercher des solutions IA, mais de choisir un cap stratégique dans lequel l’IA infusera.
Tribune de Coralie Dussart, CEO de Spaag
