Canal+ vs CNIL : Alliance Digitale rejoint la procédure


Condamné par la CNIL à l’automne 2023 à une amende de 600 000 euros pour démarchage publicitaire sans consentement valide, le groupe Canal+ vient de franchir une nouvelle étape dans la contestation de cette sanction. Saisi du recours, le Conseil d’État a choisi de surseoir à statuer et a renvoyé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), soulignant la complexité d’interprétation du RGPD sur la notion de partenaires commerciaux. Une affaire suivie de près par l’ensemble du secteur, comme en témoigne Alliance Digitale.

Le fond du litige : un désaccord sur la portée du consentement

L’affaire oppose Canal+ à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Cette dernière avait considéré que le groupe audiovisuel avait utilisé, à des fins de prospection commerciale par voie électronique, des données personnelles pour lesquelles le consentement préalable des utilisateurs n’était pas suffisamment explicite. Plus précisément, la CNIL reprochait à Canal+ de ne pas avoir identifié de manière individuelle l’ensemble de ses partenaires commerciaux au moment de la collecte du consentement sur des formulaires tiers, contrevenant ainsi à sa lecture stricte de l’article 7 du RGPD.

Canal+ avait argué que les pratiques mises en cause étaient conformes aux principes européens, estimant qu’il était impossible et irréaliste de fournir ex ante la liste exhaustive de tous les partenaires potentiels à venir, en particulier dans un contexte de campagnes marketing évolutives.

Le Conseil d’État renvoie la balle à l’Europe

Le Conseil d’État, dans sa décision du 5 mai 2025, n’a pas tranché directement sur le fond. Il a reconnu que l’interprétation du RGPD faite par la CNIL pouvait soulever une incertitude juridique importante. Il a ainsi saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour déterminer si, dans le cadre d’une collecte de données personnelles par l’intermédiaire d’un tiers (éditeur ou partenaire), le responsable du traitement est tenu de faire nommément figurer l’ensemble des destinataires de ces données ou si la mention de leur typologie suffit.

Une décision qui pourrait faire jurisprudence

Cette décision de sursis à statuer est perçue comme hautement stratégique par les acteurs du marketing digital, notamment Alliance Digitale, qui a rejoint la procédure aux côtés de Canal+.

« On ne soutient pas une entreprise en particulier, mais lorsqu’une décision menace de faire jurisprudence et de bouleverser l’écosystème dans son ensemble, on estime nécessaire d’intervenir », explique Nicolas Rieul, président de l’association, interrogé par The Media Leader.

D’après lui, la position de la CNIL est « beaucoup trop rigoriste » et méconnaît la logique du RGPD, qui permet d’informer les utilisateurs sur la typologie des partenaires (par exemple, “partenaires dans le secteur des médias et du divertissement”) sans avoir à nommer précisément chacun d’eux au moment de la collecte. À défaut, « cela rendrait pratiquement inopérante toute démarche marketing légitime et transparente », estime-t-il.

Des précédents dans le viseur

L’affaire Canal+ fait écho à d’autres procédures en cours ou récentes, concernant notamment des acteurs locaux ayant écopé de sanctions similaires pour défaut de consentement explicite sur leurs campagnes partenaires. Pour Alliance Digitale, le traitement réservé à Canal+ renforce la nécessité d’une harmonisation européenne, afin de ne pas laisser place à des interprétations divergentes entre régulateurs nationaux.

« Il est impossible, aujourd’hui, d’anticiper tous les futurs clients ou partenaires potentiels qu’un éditeur pourra activer demain. Si l’on suit la logique de la CNIL, un consentement donné aujourd’hui serait caduc dès qu’un nouveau partenaire, non listé initialement, est intégré dans une campagne. Cela n’a aucun sens », poursuit Nicolas Rieul.

En attendant, le statu quo

Tant que la CJUE ne se prononce pas, la sanction de la CNIL à l’encontre de Canal+ est suspendue. Le Conseil d’État attendra la réponse de la juridiction européenne avant de trancher définitivement sur la légalité de la décision française.

Pour l’écosystème, c’est un moment charnière. Si la CJUE valide la position de la CNIL, les pratiques de collecte du consentement devront être profondément revues. À l’inverse, une reconnaissance de la légitimité d’une information fondée sur les catégories de destinataires apporterait un soulagement majeur à l’ensemble du secteur de la publicité digitale.



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