Souvent montrée du doigt par les titulaires de droit et les organisations d’auteurs ou d’éditeurs, comme en atteste la récente assignation visant le groupe Meta, l’intelligence artificielle n’en demeure pas moins une alliée de poids pour traquer les violations sur Internet.
Les outils de reconnaissance visuelle ont connu ces dernières années des avancées spectaculaires. Fini le temps des simples comparaisons de pixels : les algorithmes détectent désormais en temps réel des œuvres originales modifiées, recadrées ou fragmentées, qu’elles circulent sur les réseaux sociaux, les plateformes de streaming ou les places de marché en ligne.
Une aubaine pour les titulaires de droits qui peinent à faire respecter leur propriété intellectuelle dans l’écosystème numérique, tandis que le partage d’œuvres non autorisé représente un manque à gagner considérable pour l’industrie de la culture et du divertissement.
Le copyright trolling, ou l’économie de la menace
Face à ces violations massives, certains acteurs ont fait le choix d’une riposte agressive en mandatant des sociétés spécialisées qui acquièrent des droits d’exploitation limités sur certaines œuvres dans un seul objectif : traquer les contrevenants.
Des demandes d’indemnités standardisées leur sont ensuite envoyées, sous menace de poursuites en justice. En pratique, ces actions judiciaires restent rares : le modèle économique repose sur les paiements « volontaires » des personnes mises en cause, souvent prêtes à s’exécuter pour éviter le risque d’un procès.
Cette pratique, connue sous le nom de copyright trolling, s’avère particulièrement lucrative.
Comme l’a relevé l’avocat général de la Cour de justice dans l’affaire Mircom (CJUE, 17 juin 2021, C‑597/19), même si seule une fraction des personnes contactées s’acquitte des sommes demandées, les revenus générés peuvent parfois dépasser ceux tirés de l’exploitation légale des œuvres.
Or, cette stratégie ne vise pas tant à faire respecter le droit d’auteur qu’à monétiser sa violation. Ce n’est plus alors la création qui génère de la valeur mais les infractions qu’elle suscite.
Une approche qui n’est pas sans soulever des questions juridiques de fond. Car pour la CJUE, le fait d’exercer des droits uniquement dans le but de réclamer des indemnités à des contrevenants présumés peut traduire un abus de droit.
Un phénomène ancien, une technologie nouvelle
Le procédé n’est certes pas nouveau. Dans les années 1870, Thomas Wall avait déjà eu l’idée de tirer parti de l’amende forfaitaire de deux livres sterling prévue par la législation britannique en cas de représentation non autorisée d’œuvres dramatiques ou musicales.
Contrairement aux sociétés de gestion collective modernes, qui agissent en amont comme mandataires pour négocier des licences, Wall intervenait a posteriori, une fois l’infraction consommée, non pour prévenir les atteintes mais pour en tirer profit.
Cette pratique, bien documentée aux Etats-Unis, ne se limite d’ailleurs pas au droit d’auteur : le droit des brevets connaît lui aussi ses trolls.
Le phénomène a depuis pris de l’ampleur, porté par des sociétés comme Picrights, Permission Machine, Rights Control ou Pixsy, qui se sont spécialisées dans la traque des usages non autorisés de photographies, ou encore Monotype Imaging, active dans le domaine des typographies.
Rappelons toutefois que la protection par le droit d’auteur n’a rien d’automatique : l’œuvre doit être originale, c’est-à-dire porter l’empreinte de la personnalité de son créateur.
Ainsi, une typographie dont la forme répondrait uniquement à des contraintes techniques sera exclue du champ de protection. Quant à la photographie, elle ne sera protégée que si une démarche personnelle peut être démontrée dans le choix du sujet, de l’instant, de l’angle, du cadrage, des contrastes ou de la lumière.
On le comprend, l’appréciation de l’originalité et de la contrefaçon en droit d’auteur suppose une approche casuistique et nuancée, qui cadre mal avec l’envoi massif de mises en demeure standardisées.
Un outil de protection… à manier avec précaution
L’intelligence artificielle offre aux titulaires de droits et à leurs relais un puissant outil de détection automatisée, particulièrement bienvenu à l’heure où les atteintes à la propriété intellectuelle se multiplient. Mais ce nouvel arsenal appelle une vigilance accrue.
Plus que jamais, l’enjeu est celui de l’équilibre. Bien encadrée, l’intelligence artificielle peut renforcer la création et sa protection légitime. Laissée aux mains d’acteurs opportunistes, elle risque de transformer le droit d’auteur en simple levier de pression économique, bien loin de sa vocation première : protéger l’œuvre et son auteur.