Si le « vieil » Internet donne de sérieux signes de fatigue, un nouveau marketing digitalDéfinition marketing digital, un terme utilisé en permanence et pourtant bien mal compris car mal défini est cependant possible. Ce 1er juillet 2025 je me rendrai à la journée Comundi dédié au sujet « zéro click, comment rester visible sur Internet. J’ai répondu aux questions des organisateurs sur ce sujet dans un long billet que je vous propose ci-dessous. Tout comme aux débuts de l’Internet, où il a fallu inventer de nouvelles stratégies à l’aube d’un monde qui changeait, cette période va inciter les marque à réinventer leurs pratiques. Ma thèse est que cette destruction peut être créatrice, à condition de faire preuve de créativité et d’imagination. Je livre ici mes réflexions sur ce sujet.
Le vieil Internet est mort, vive le nouveau marketing digital

Alors que les moteurs de recherche sont cassés depuis longtemps et que l’IA est en train de mettre un coup de grâce au SEO, et que par conséquence, l’inbound est cassé, les techniques traditionnelles du marketing digital doivent être remises en cause et laisser place à un nouveau marketing digital.
J’aurais pu parler de néo marketing digital, pour faire écho au célèbre livre de Badot et Cova.
On pourrait se lamenter, ou au contraire prendre cette contrainte comme un moyen de rebondir et d’inventer un nouveau marketing digital. Ma position est justement que tout est à réinventer et que cela va apporter un peu d’air frais dans un paysage qui s’était figé depuis longtemps et qui tournait un peu trop, c’est une euphémisme, autour de la planète Google. Enfin, un nouveau marketing digital est possible. Non, il est indispensable.
Voici mes réponses aux questions de Comundi.
Comment évaluez-vous l’impact de l’IA sur la stratégie de contenu des entreprises ?
J’ai commencé ma carrière informatique dans le champ de l’IA. À cette époque, les ricanements résonnaient dans les couloirs du grand constructeur où je travaillais. Quelques décennies plus tard, on a fini de rire. L’intelligence artificielle bouscule nos habitudes et elle est en passe de faire disparaître, à terme, le « vieil » Internet.
Ce bouleversement aura un effet perturbateur important et, en même temps, l’IA (et pas seulement générative) aura un impact fort sur l’innovation et la réinvention d’un secteur qui ronronnait depuis plus de 10 ans.
Une transformation des comportements en ligne profonde
La transformation des comportements en ligne des clients consommateurs et B2BEn réalisant ce glossaire Visionary Marketing s’est heurtée de front à un problème de taille : faut-il écrire BtoB ou B2B ? est profonde. Ainsi, un récent sondage réalisé par Bain & Company démontre que, pour 80 % des consommateurs, 40 % des recherches sur Internet sont dites « zéro clic ». La tendance, réelle, profonde et ancienne, est nettement accélérée par le déferlement prochain de la recherche sur IA.
Beaucoup de créateurs de contenus sont en mode panique, car certains ont vu leurs visites baisser de 60 % ces derniers mois. Beaucoup sont même en train d’abandonner la partie. Ainsi, les techniques d’inbound marketing, telles qu’on les a connues ces 30 dernières années, sont caduques.

Pour autant, ce n’est pas la fin du monde. Ce bouleversement nous offre une chance de faire évoluer les choses de manière fondamentale et positive, d’inventer de nouvelles stratégies et d’innover. C’est toujours quand les changements sont profonds et brutaux que l’innovateur brise l’attentisme et prend de l’avance.
Dans les années qui viennent, les marketeurs les plus avisés se tourneront vers les stratégies de marketing communautaire, les approches client innovantesL’innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l’environnement et se serviront de l’Internet non comme d’un piège à « leads », mais comme support à de véritables actions client.
Comment les méthodes de production de contenu doivent-elles s’adapter face à l’industrialisation permise par l’IA générative ?
L’IA générative a ouvert les vannes d’une production de contenu quasi illimitée. L’ère du contenu rare est révolue ; c’est désormais l’abondance qui pose problème. C’est ce que Mark Schaefer a nommé le « Content Shock » en 2014. 11 ans plus tard, nous atteignons des summums de saturation avec un moteur de recherche dominant qui n’a pas réussi à faire le tri entre contenus synthétiques et humains.
On assiste donc, comme nous le promettait Mark, à un véritable choc du contenu, puissance 1000 : le Web se retrouve inondé de textes et d’images générés automatiquement (la « soupe » de l’Internet ou « slop » en anglais), Suno crache 900 000 morceaux de musique chaque jour quand Jean-Sébastien Bach, le plus prolifique des compositeurs, n’en a écrit que 1 128 dans toute sa vie, les vidéos générées par IA inondent le Web et les faux articles synthétiques sont hébergés par des fermes à clics, pour les plus performants, au rythme de 1 500 articles par jour. Même certains journalistes s’y sont mis, comme ceux de Il Foglio en Italie, ne serait-ce que pour faire le buzzLes recommandations, le marketing du bouche à oreille et les réseaux sociaux pour être incontournable..
Une overdose de contenus formatés
Très vite, on frôle l’overdose de contenus formatés sur le même moule. J’avais d’ailleurs anticipé dès 2020, lors d’un webinaire organisé par PushEngage, ce pourrissement du Web, une prolifération de contenus SEO produits à la chaîne par des machines – plus rapides et même, hélas, plus efficaces (d’après les critères purement quantitatifs de certains experts SEO) que des armées de rédacteurs bon marchéLa notion même de marché B2B ou B2C est au cœur de la démarche marketing. Un marché est la rencontre d’une offre et d’une demande.
Et de fait, en l’espace de six ans, ces contenus au kilomètre ont envahi la toile à un rythme infernal. Et ce n’est qu’un début. Face à cette industrialisation, les méthodes des marketeurs et des marques doivent évoluer radicalement. Inonder le public de billets génériques n’a plus aucun effet, si ce n’est de saturer des serveurs qui ne sont plus sollicités par les lecteurs.
Il faut donc viser la qualité plutôt que la quantité et redonner du sens à chaque contenu produit, l’autorité et l’expertise, le conseil et la connaissance client. Le contenu exclusif et personnalisé plutôt que la masse. Ce retour de l’autorité (au sens où on « fait » autorité), je l’avais déclaré nécessaire dès 2020. J’ai senti l’incompréhension autour de moi à cette époque. Aujourd’hui, cette logique s’impose à nous.
Concrètement, pour les marketeurs, cela signifie réintroduire de la sélection et de la créativité dans les processus de création de contenus. Par exemple, après quelques mois d’engouement, nous avons constaté que beaucoup d’illustrations générées automatiquement par l’IA sur Visionary Marketing finissaient par lasser : à la longue, c’était répétitif, ennuyeux, visuellement stéréotypé. Ce constat vaut aussi pour les textes.
La parade, c’est de varier les sources, les formats, les approches humaines et automatisées. Il faut mélanger les apports de l’IA et de l’humain et ne pas se contenter de copier-coller ce que la machine propose. Ceux qui ne comprennent pas cela finiront, au mieux, comme correcteurs dans une usine à clics.

À l’inverse, en diversifiant les techniques et en travaillant finement ses prompts, plutôt que de générer tout et n’importe quoi, on peut obtenir des résultats bien plus originaux. En somme, nos méthodes doivent gagner en exigence éditoriale. Cela ne veut pas dire qu’il faut systématiquement rejeter les nouveaux outils, mais qu’il faut les utiliser avec prudence, modération et recul. Et ne pas hésiter à ne pas les utiliser quand cela s’impose.
L’industrialisation par l’IA oblige ainsi le marketeur à hausser le niveau de jeu : plus de vérifications et de recherches en amont, plus de créativité humaine, et une vraie valeur ajoutée dans chaque article ou visuel publié. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra faire exister ses stratégies de contenus à l’ère de l’IA.
Ainsi, cette question du futur des stratégies de contenu à l’ère de l’IA est davantage stratégique que technique. En clair, avant de s’emballer pour tel ou tel outil IA, il faut se demander pourquoi et pour qui on crée du contenu, et quelle est la place de l’humain dans le processus.
Nouveau marketing digital et IA générative
L’IA générative peut se montrer créative et ses apports peuvent dans certains cas se révéler très intéressants, j’en conviens, mais j’insiste : ne sous-traitez pas votre pensée à la machine. Gardez la maîtrise de votre ligne éditoriale et de vos messages ; laissez à l’IA les tâches d’exécution sans valeur ajoutée. En somme, l’IA doit être un adjoint mécanique – elle peut accélérer la recherche ou l’analyse, mais elle ne doit pas se substituer à nos cerveaux.
Je vois trop d’équipes fascinées par les prouesses techniques et qui en oublient pourquoi elles prennent la parole. La seule obsession est de produire pour le plaisir de produire. Or, une stratégie de contenu solide repose d’abord sur une vision claire de son audience et de ses objectifs, pas sur le dernier algorithme à la mode.
Mon évaluation est donc pragmatique : l’IA peut décupler l’efficacité à condition de rester au service d’une démarche éditoriale réfléchie, pilotée par l’humain, et non l’inverse. C’est là, à mon sens, le vrai impact : nous rappeler que la technologie n’a de sens que guidée par une stratégie éclairée.
Le vrai sujet du nouveau marketing digital est stratégique
En résumé, tout le monde est obsédé par les méthodes de production de contenus et l’automatisation, c’est votre question, mais le vrai sujet est stratégique et celui-là est rarement bien abordé. Or, si vous savez ce que vous devez écrire, il y a de fortes chances pour que la façon dont vous l’écrivez (ce texte a été dicté directement dans mon mobile) ait moins d’importance que le contenu que vous créez et que les audiences pour lesquelles vous le créez.

Vous avez souligné que l’IA peut automatiser la création de contenus à faible valeur ajoutée. Comment les marques peuvent-elles se différencier en produisant des contenus authentiques et engageants ?
C’est un enjeu crucial. Effectivement, tout ce qui est contenu générique, répétitif, sans âme – billets SEO basiques, descriptions produits passe-partout, etc. – peut aujourd’hui être pondu par une IA en quelques secondes. Mais justement, si tout le monde utilise les mêmes outils pour générer le même type de contenu insipide, la différence se fera sur l’authenticité et la personnalité.
Pour qu’une marque se distingue, elle doit remettre de l’humain dans la boucle, plus que jamais. Cela passe d’abord par l’éditorial : un ton, un point de vue, une expertise réelle que l’on ne peut pas simuler avec un simple prompt. J’aime dire que l’IA doit s’occuper des corvées et laisser la pensée à l’humain. Concrètement, aux machines les tâches laborieuses (compilations de données, reformulations de base, corrections grammaticales), et aux créateurs la vision, la créativité, l’émotion, l’expérience et l’expertise.
On imagine l’impact de la soupe IA sur la réputation d’une marque. Il s’agit d’un jeu dangereux et qui ne rapportera même pas quelques clics, comme nous l’avons vu ci-dessus.
Partagez des anecdotes vécues, des études de cas spécifiques, un regard vraiment original sur votre secteur – bref, tout ce qui révèle la substance humaine derrière la marque – au bénéfice de vos clients et prospectsUne activité incontournable car les entreprises B2B perdent entre 5% et 15% de leurs clients chaque année.
C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé humansubstance.com avec quelques amis créateurs de contenus. Une bande d’irréductibles blogueurs déterminés à penser et rédiger avec leurs mains et leurs cerveaux, pas avec des automates.
L’idée n’est pas d’être passéiste, car nous sommes tous des acteurs de l’IA à divers niveaux, mais de montrer que la richesse d’un contenu vient de l’intelligence humaine qu’il contient. Un article de 4 000 mots rédigé de la main de l’homme aura toujours plus de personnalité qu’un texte de même taille généré en trois secondes par ChatGPT – même si, techniquement, le résultat est correct. D’autant plus que le temps mis à vérifier ces 4 000 mots générés par L’IA sera probablement plus long que celui nécessaire à son écriture.
Alors, comment créer un contenu authentique et engageant ? D’abord, en étant honnête avec son audience : ne pas chercher à faire passer un contenu automatique pour une pensée originale. Ensuite, en étant exigeant : si vous utilisez l’IA, réservez-lui un rôle d’aide à la créativité (pour tester des idées, gagner du temps sur des tâches subalternes, rechercher de l’information, la croiser et enrichir vos réflexions à condition de lire les sources). Le style a pour moi beaucoup moins d’importance. Hervé Letellier l’a constaté à ses dépens. Les IA écrivent et imitent très bien.
Enfin, n’ayez pas peur de la singularité : prenez des angles que personne d’autre n’a choisis, quitte à aller à contre-courant des tendances. C’est ainsi que vous apporterez une valeur unique. En résumé, l’IA peut remplir Internet de textes et d’images sans saveur, mais c’est une bien mauvaise voie à suivre.
Utilisez donc l’IA pour ce qu’elle sait bien faire (ce que j’appelle « descendre les poubelles », chercher des sources, vérifier des faits, contrôler votre grammaire, compter les mots, corriger les virgules…), mais pas pour penser à votre place.
J’ai entendu des oppositions à ce discours, me disant que j’étais trop « bisounours » et que la messe était déjà dite, que tous les créateurs de contenu seraient remplacés par des machines. C’est effectivement déjà le cas pour le contenu SEO.
Dans ce dernier cas, s’il s’agit par exemple de définitions produits sur 3500 baskets toutes plus ou moins semblables sur un site e-commerce, l’IA fait assurément un bien meilleur travail que des humains. Celui-ci est répétitif et inintéressant et sans aucune valeur ajoutée. Générer des textes produits à partir d’une base de données est d’ailleurs un exercice assez ancien, notamment dans l’immobilier. Mais pour la plupart des marques, là n’est pas la question.
Quels clients, en effet, sont demandeurs de contenus de marques écrits par une machine ? Quant au B2B, c’est complètement inenvisageable : auriez-vous envie d’embaucher un ingénieur qui vous donne des conseils en cyber sécurité sur le blog de son entreprise, alors que ce texte a été produit par une IA ? S’il s’agit de la transcription d’une interview ou d’un enregistrement personnel, alors certes, la machine aura fait le sale travail et c’est tant mieux. D’ailleurs, les journalistes et créateurs de contenus travaillent avec des outils comme Trint ou Gladia depuis de nombreuses années. Sinon…
Si certains créateurs de contenus se découragent face à ces changements, cela est un signe qu’il y a de la place pour innover et les prendre de vitesse.
Les entreprises devraient entendre ce conseil.