L’IA menace les emplois de la recherche et du marketing, sans compenser les pertes


L’intelligence artificielle (IA) bouleverse les métiers intellectuels. Selon un rapport de Goldman Sachs, jusqu’à 300 millions d’emplois pourraient être impactés à l’échelle mondiale. L’automatisation touche particulièrement les tâches répétitives, prévisibles ou basées sur des règles normées. Dans les secteurs de la recherche comme du marketing, des pans entiers de missions sont désormais confiés à des machines expérimentées et rapides.

Dans le marketing digital, par exemple, 60 % des postes débutants pourraient disparaître dans les cinq prochaines années. Les IA génératives synthétisent du contenu, optimisent les campagnes publicitaires et gèrent les réponses aux clients en temps réel. Ces outils traitent des volumes massifs de données et génèrent des rapports sophistiqués, remplaçant des tâches autrefois considérées comme créatives.

Cependant, l’impact n’est pas uniforme. Des études montrent que moins de 10 % des tâches essentielles sont entièrement automatisables. Reste que des professions comme la relecture, la codification basique ou la saisie de données sont déjà menacées. Et derrière le chiffre global, c’est la rapidité de cette transformation qui inquiète. Les technologies IA dans la recherche et le marketing progressent si vite que les cadres n’ont pas le temps de réagir. Là où l’automatisation classique s’étale sur des décennies, l’IA opère en quelques mois. Ce rythme intense aggrave les inquiétudes.

La précarité scientifique en première ligne

Le monde de la recherche n’est pas épargné. Les scientifiques, en particulier ceux en début de carrière, se retrouvent pris dans un viseur invisible : les universités et les centres de recherche externalisent des pans entiers du travail scientifique à des systèmes d’intelligence artificielle.

Les modèles de publication assistée, de rédaction de protocoles ou de traduction technique s’intègrent massivement dans la pratique académique. Les instituts privés recrutent davantage d’IA pour accélérer les revues bibliographiques, l’analyse statistique ou la génération de résumés scientifiques. Cette privatisation crée un aléa : les doctorants et post-doctorants remplacés voient disparaître des opportunités de travail, tandis que les institutions concentrent les financements sur des projets automatisés.

Le flux de chercheurs vers l’industrie privée accélère, emporté par les promesses salariales plus élevées mais souvent dissociés des missions fondamentales d’investigation publique. Cette tendance nourrit un appauvrissement des structures de recherche traditionnelles, tandis que les entreprises technologiques se renforcent dans un cercle vertueux : elles recrutent les savoir-faire, financent les laboratoires, contrôlent les avancées et les brevets. Les universités financées par l’IA perdent leur indépendance scientifique.

Les contrats précaires se multiplient. Les jeunes chercheurs survivent avec des missions ponctuelles, alternance doctorale ou contrats à durée déterminée, souvent financés par des industriels. L’absence d’une politique publique nationale ou européenne claire accentue cette précarité structurelle. L’IA vient s’inscrire dans une logique de sous-traitance, dévalorisant la recherche fondamentale.

Le marketing numérique sous contrôle algorithmique

Le marketing transformation par l’IA est devenu massivement intégré dans les stratégies commerciales. Selon un sondage réalisé auprès de près de 1900 professionnels, la majorité utilise déjà des outils d’intelligence artificielle pour la création de contenu, la segmentation client, le pilotage des campagnes et l’analyse de données. Les algorithmes optimisent au pixel près le budget publicitaire, les canaux de diffusion et le discours personnalisé.

Cependant, cette efficacité a un revers. Les métiers de rédacteurs de contenus, de chargés de veille ou de community managers sont fragilisés : les plateformes d’IA génèrent des visuels, des slogans, des études de marché et paramètrent des chatbots. Les employés sans compétences en IA sont évincés, tandis que les postes de coordinateurs accomplissent la même tâche… en gérant l’IA.

Avec l’essor des plateformes publicitaires automatisées, les agences marketing traditionnelles subissent une double pression : créer des contenus de qualité, tout en maîtrisant leur intégration algorithmique. Certaines agences réagissent en se transformant en intégrateurs d’IA, d’autres ferment. Sur le terrain, cette transition s’accompagne d’un sentiment d’obsolescence chez les professionnels et d’une précarisation des statuts, avec recours accru aux freelances IA-savvy.

Les agences d’IA réorganisent le marché du travail

Face à cette adoption, de nouvelles structures voient le jour : les agences spécialisées en solutions d’IA redéfinissent les contours du monde professionnel. Elles produisent des chatbots, des automates de service client, des assistants techniques et de production sans recruter de personnel supplémentaire ; elles opèrent un modèle basé sur la plateforme et l’automatisation maîtrisée.

D’après un rapport récent, la moitié des start-ups européennes intégrant l’IA annoncent que cette technologie permet d’embaucher plus, pas de licencier. Mais ces effectifs concernent surtout des ingénieurs, data scientists et experts de l’IA : les profils non technique ne sont plus au cœur du marché, sauf pour superviser les machines.

Dans le secteur de la programmation informatique, même les développeurs expérimentés sont surveillés : l’IA corrige jusqu’à 25 % des bugs avant intervention humaine. Les tâches fastidieuses sont confiées aux IA, tandis que les codeurs doivent devenir superviseurs de code. C’est un basculement de l’emploi vers plus de résilience face à l’IA, ou vers une précarité dissimulée, selon les profils.

Or, cette transformation s’opère sans filet de soutien politique. Aucune stratégie nationale ciblée n’accompagne cette reconfiguration. Les transitions se font au gré du budget des entreprises ou de la formation interne. Se former à l’IA devient un enjeu de survie, mais le dispositif public reste fragmenté.

Une transition sans politique publique

Jusqu’à présent, aucune politique volontaire n’a été mise en place pour réguler cette transformation du marché du travail. Les gouvernements limitent leur rôle à des incitatifs à la formation générale : quelques dizaines de milliers de bourses pour se former à l’IA, des modules en ligne gratuits.

Mais rien ne couvre la période de reconversion des salariés déplacés : pas de soutien financier direct, pas de dispositif structuré pour repenser une fonction professionnelle dès qu’elle devient automatisable. Certaines initiatives publiques explorent des “communautés de pratique IA”, mais elles restent marginales.

À l’échelle européenne, le cadre réglementaire est flou. L’AI Act cible surtout les systèmes “à risque élevé” (santé, justice…). Le volet emploi manque d’ambition : il n’intègre pas une stratégie de transition systématique. Le constat : le casse-tête du chômage dissimulé reste sans réponse, et risque de s’accentuer dans la décennie à venir.

Vers une société du travail sans travailleurs ?

Si l’automatisation continue à ce rythme, une partie significative du marché du travail pourrait fonctionner avec peu d’humains. Les robots vocaux remplacent les téléopérateurs. Les plateformes d’IA remplacent les assistants administratifs. L’écriture automatisée supprime les graphistes junior.

Certains économistes évoquent déjà la société d’“ultra-précariat” : peu de postes à haute valeur ajoutée, beaucoup à haute vulnérabilité. Les nouvelles générations, exposées à un marché du travail saturé, devront se former sans garantie de stabilité. Les emplois “IA collaborative” constituent l’exigence minimale.

Face à cette réalité, la redistribution des richesses générée par l’IA devient incontournable. Les gains de productivité doivent être partagés, via un revenu universel, une fiscalité adaptée, ou un partage du temps de travail. Mais ces concepts demeurent à l’état d’esquisse alors que l’éviction humaine avance à grand pas.

L’IA ne compense pas ce qu’elle remplace

Enfin, l’argument selon lequel l’IA compenserait les pertes par la création de nouveaux emplois ne tient pas totalement. Selon un rapport, un quart des fonctions administratives sont concernées, et 14 % des salariés ont déjà perdu leur poste. D’autres études estiment que 60 % des métiers de bureau nécessitent une adaptation lourde, fréquemment synonyme de remplacement pur et simple.

Si l’industrie de l’IA est censée générer de nouveaux métiers, comme data scientist ou éthicien de l’IA, ces postes restent peu nombreux comparativement aux massifs changements induits dans la chaîne de valeur. De plus, ces nouveaux postes demandent des compétences de haut niveau, réservées à une minorité. La majorité des travailleurs n’y a pas accès facilement.

Ainsi, l’IA apparaît moins comme un moteur d’emploi que comme un amplificateur d’inégalités professionnelles. Les hauts profils s’enrichissent. Les autres voient leur travail externalisé, fractionné, contrôlé à distance ou supprimé.



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