Basée au Sénégal depuis près d’une décennie, la gabonaise Melba Orlie Nzang Meyo fait partie de cette génération de créateurs africains qui mettent la technologie au service de l’identité culturelle. Designer UX/UI de formation, elle est aujourd’hui à la tête d’un projet ambitieux et profondément enraciné : ‘Obone AI’, une intelligence artificielle capable de comprendre et de répondre en langue fang. À travers ce projet autofinancé, elle milite pour une inclusion numérique plus juste, où les langues locales ont enfin leur place dans les technologies de demain. Mais pour que son application voie le jour à grande échelle, elle cherche aujourd’hui des financements.

Melba Orlie Nzang Meyo dans les locaux de GabonReview, le 4 juillet 2025. © GabonReview
GabonReview : Quelle brève carte de visite pouvez-vous décliner ?
Melba Orlie Nzang Meyo : Je suis Nzang Meyo Melba Orlie, Product Manager avec un profil de designer UX/UI. Mon rôle, c’est vraiment de travailler sur le design local. Je vis au Sénégal depuis neuf ans. C’est là-bas qu’on a lancé la startup Andakia, qui a conçu Awa, la première intelligence artificielle sénégalaise à parler le wolof. En mars 2025, j’ai lancé Obone AI, une intelligence artificielle conçue par ZAIA Technologie, ma propre startup. Obone AI vise à favoriser l’inclusion numérique, notamment à travers les langues locales. Pour le moment, elle ne parle pas encore, mais elle écrit et répond en langue fang.
Comment devient-on Melba Orlie Nzang Meyo ? Comment est né votre attrait pour l’intelligence artificielle ?

Melba Orlie Nzang Meyo … avec son équipe d’Andakia. © D.R
J’ai grandi au Gabon. Après le bac, j’ai intégré l’Institut de gestion (INSG), où j’ai découvert le marketing digital. C’est devenu une vraie passion. En 2014, j’ai lancé ma première startup : Y-Infinity Consulting, qui animait des pages Facebook, gérait l’e-réputation, etc. Nous avons notamment travaillé avec le ministère de l’Enseignement supérieur. Puis je suis allée au Sénégal, où j’ai repris mes études : une licence en gestion d’entreprise, puis un master en marketing digital. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le UX design, ce qui m’a poussée à me spécialiser. J’ai obtenu un Master 2 en design.
Avez-vous mené des projets entrepreneuriaux ?
J’ai lancé au Sénégal une entreprise appelée La Cocotte Medi. Je m’y suis pleinement exprimée en tant que designer : j’ai conçu un site e-commerce pour vendre du poulet fumé. Ce projet m’a ouvert de nombreuses portes. J’ai commencé à enseigner le design dans des grandes écoles : je suis vacataire à l’ISM Dakar et j’interviens aussi à l’UCAD (Université Cheikh Anta Diop de Dakar). C’est d’ailleurs à cette époque qu’Alioune Badara Mbengue, CEO d’Andakia, m’a contactée. Il m’a proposé de rejoindre le projet Awa. C’est comme ça que je suis entrée dans le domaine de l’intelligence artificielle. En parallèle, je faisais aussi du freelance, en aidant des startups dans leur transformation digitale : ERP, applications, sites web, etc., notamment pour des fermes ou des PME souhaitant se digitaliser.
Comment êtes-vous entrée dans le domaine de l’intelligence artificielle ?
Au départ, je me posais beaucoup de questions. Mais dès que j’ai commencé à travailler dessus, j’ai découvert un nouvel univers, très différent du développement d’une application classique.
J’aime les défis, j’aime apprendre, et ça m’a tout de suite captivée. Puis je me suis dit : il faut que je fasse un retour au pays. J’utilise mes compétences ailleurs, mais pourquoi pas au Gabon ? Il y a un vrai besoin. C’est ce qui m’a motivée à lancer Obone AI.
Comment vous définiriez l’intelligence artificielle ?
Pour moi, l’intelligence artificielle, c’est l’imitation du fonctionnement du cerveau humain. Dit comme ça, ça peut faire peur, mais c’est surtout une tentative de reproduire certains mécanismes cognitifs. On va désormais beaucoup plus loin : dans les langues, les habitudes, les attitudes. C’est ce qui permet aujourd’hui de créer des humanoïdes au comportement ‘’humain’. Mais il faut comprendre que ce ne sont pas de vrais humains. Ce sont des réactions programmées, conçues par des designers et des développeurs.
Quel message portez-vous à travers Obone AI ?
Avec Obone AI, je veux faire comprendre aux jeunes d’Afrique centrale que, même avec des défis comme la connectivité ou l’électricité, on peut oser l’intelligence artificielle. Le Gabon a non seulement le droit, mais aussi le devoir d’entrer dans cette dynamique. Et il ne s’agit pas uniquement de coder : il y a tout un travail de recherche, de design, de collecte de données. Ce que je veux dire, c’est : ne vous limitez pas. Même avec des difficultés, d’autres régions comme l’Afrique de l’Ouest avancent. Il faut oser demander, interpeller les pouvoirs publics, proposer des lois ou des mesures pour soutenir l’écosystème.
Obone AI est-elle disponible ? Comment peut-on y accéder ?
Pour l’instant, elle n’est pas encore en ligne. Je fais des tests en local, avec des locuteurs fangs. Je me déplace avec mon matériel, mon ‘’gros sac’’, comme je dis ! Des experts en linguistique de l’UOB ont testé l’outil et validé les traductions. Mon objectif, c’est qu’à terme, chaque jeune puisse avoir Obone AI sur son téléphone. Mais pour cela, j’ai besoin de subventions. Jusqu’à présent, j’ai tout financé moi-même, pour prouver que c’était possible. Mais derrière, il y a l’inclusion numérique qui est très palpable. Surtout pour nos parents qui sont dans les villages.
Pourquoi cet engagement en faveur des langues locales ?
On ne le réalise pas encore, mais ceux qui parlent la langue française et anglais sont toujours avantagés par rapport à ceux qui parlent les langues locales. Et ça, c’est partout en Afrique. Aujourd’hui, on va voir qu’on fait des efforts, par exemple, pour avoir le journal en plusieurs langues mais c’est encore limite dans un pays (Gabon) où il y a 52 langues. Et ce n’est pas évident de prendre un quota d’heure pour traduire en 52 langues. Et pourtant, il y a nos parents qui ont du mal à être informés. Juste être informés. Ce sont nos parents, nos grands-parents, qui continuent de vivre dans les zones rurales. Ils ont aussi droit à l’information, à la banque, aux services numériques. Obone AI pourrait vraiment changer les choses.
Comment votre projet est-il perçu aujourd’hui ?
Quand j’ai lancé Obone AI, il y en a qui m’ont dit : «on n’en a pas besoin au Gabon». Mais aujourd’hui, je constate que l’écosystème se réveille. Il y a des innovations, des appels, des partenariats en cours. Je collabore actuellement avec des directions publiques qui souhaitent se digitaliser davantage, et qui reconnaissent l’intérêt d’intégrer une IA dans l’administration.