Humairaa Mosaheb, consultante en marketing durable : «Plus de 60 % des vêtements contiennent du plastique»


La fast fashion vend du rêve à bas prix, mais alimente un désastre écologique. Complice de cette frénésie consumériste, le marketing peut pourtant devenir un outil de rupture. Humairaa Mosaheb, qui est Digital & Sustainability Marketing Consultant, livre sa vision d’un marketing qui réconcilie performance, impact et conscience dans cet entretien accordé à Le Dimanche/L’Hebdo.

Comment définiriez-vous la fast fashion ? 

La fast fashion, c’est une course effrénée à la nouveauté textile, notamment des vêtements produits à grande vitesse et vendus à très bas prix. Ce modèle repose sur une logique de volume et de rapidité souvent au détriment des conditions de travail dans les chaînes de production et de l’environnement.

Quelle est son empreinte écologique ? 

Lourde et multiforme, la fast fashion cause la pollution massive des ressources en eau, disproportionne les émissions de CO2 et augmente les déchets textiles non recyclés. Elle a aussi une forte dépendance aux fibres synthétiques issues du plastique comme le polyester. Selon les Nations unies, l’industrie de la mode est responsable d’environ 10 % des émissions mondiales de CO2, soit davantage que l’aviation et le transport maritime réunis.

Les marques comme Shein et Temu semblent aller encore plus loin. En quoi leur modèle est-il préoccupant ? 

Ces plateformes incarnent l’ultra fast fashion. Elles s’appuient sur l’intelligence artificielle pour analyser les tendances en temps réel, lancent des cycles de production ultra courts et proposent des prix toujours plus bas. Le chiffre est vertigineux. Par exemple, Shein met en ligne jusqu’à 10 000 nouveaux produits par jour, selon le rapport 2023 de Business of Fashion. Ce rythme industriel alimente une consommation compulsive et rend toute forme de durabilité impossible.

Quels risques cela représente-t-il pour l’environnement ? 

Multiples, les dangers sont une culture d’hyperconsommation qui banalise le jetable, une opacité totale sur les conditions de fabrication et une pollution plastique massive et invisible.

Le plastique dans nos vêtements : une réalité méconnue ?

Il est omniprésent. Plus de 60 % des vêtements produits aujourd’hui contiennent du plastique sous forme de polyester, nylon, acrylique ou élasthanne. Des pièces courantes comme les jeans stretch, les leggings ou les robes bon marché sont autant d’exemples de textiles synthétiques que nous portons directement sur la peau, souvent sans en avoir conscience.

Microplastiques : une pollution invisible mais omniprésente ?

Les tissus synthétiques, notamment le polyester, sont une source majeure de pollution aux microplastiques. Chaque lavage libère des microfibres plastiques dans les eaux usées. Non filtrées, elles se dispersent dans les rivières, les océans et finissent dans la chaîne alimentaire. Une étude révèle que 35 % des microplastiques présents dans les océans proviennent des textiles synthétiques.

Quelles sont les matières les plus problématiques ?

Les fibres comme le polyester et le nylon sont issus du pétrole. Leur fabrication est énergivore, leur dégradation quasi-inexistante et leur impact environnemental considérable. À l’inverse, des alternatives plus durables existent à condition d’être cultivées et transformées de manière responsable. Par exemple, le coton biologique, le lin, le chanvre et le Tencel. Ces matières offrent une voie plus respectueuse de la planète sans sacrifier la qualité ni le confort.

Les consommateurs savent-ils qu’ils portent du plastique ? 

Très peu en ont conscience. Et lorsqu’ils le découvrent, la surprise est souvent de taille. Une étude menée par Changing Markets en 2021 révèle que plus de 70 % des consommateurs ignoraient que leurs vêtements contenaient du polyester.

Fast fashion : un système bien huilé ?

La fast fashion est avant tout un problème systémique. L’industrie crée une offre séduisante, pousse à la consommation rapide et rend les alternatives durables moins accessibles. Mais les consommateurs ont un rôle à jouer. En questionnant leurs habitudes, en ralentissant le rythme et en privilégiant des choix plus conscients, ils peuvent contribuer à une transformation profonde du secteur.

Greenwashing : une illusion qui freine le changement ?

De nombreuses marques recourent au greenwashing pour minimiser leur impact environnemental. Elles utilisent des termes vagues, des visuels verdoyants ou lancent des collections dites « conscious » qui ne changent rien au modèle global : une stratégie qui rassure sans transformer !

Est-ce dangereux ? 

Absolument. Le greenwashing désinforme les consommateurs, crée une illusion de choix éthique et ralentit la transition écologique réelle du secteur. Il donne l’apparence du progrès sans en incarner les fondements.

Comment prévenir ces dérives ?

La solution passe par une régulation plus rigoureuse, notamment une transparence obligatoire sur les matériaux et les processus, des audits indépendants pour vérifier les engagements et l’encadrement strict des allégations environnementales. Il est également impératif d’éduquer les consommateurs dès le plus jeune âge pour développer un regard critique.

la mode est responsable d’environ 10 % des émissions mondiales de CO2, soit davantage que l’aviation et le transport maritime réunis»

Quel est le rôle du marketing dans la perception de la durabilité ?

Le marketing a longtemps simplifié, enjolivé, voire détourné la réalité. Il masque les impacts réels derrière des visuels séduisants et des slogans creux. Il est temps d’aller au-delà de l’image et de reconnecter le discours à des engagements concrets.

Les termes comme « écoresponsable » ou « vert » sont-ils trompeurs ? 

Souvent, oui. Ces mots ne sont pas encadrés par une réglementation précise, ce qui permet aux marques de les utiliser librement, parfois abusivement. Cela résulte ensuite en une confusion généralisée qui ralentit le véritable changement.

plasticExiste-t-il des marques qui réduisent réellement leur usage du plastique ? 

Oui, certaines entreprises prennent des engagements clairs et mesurables pour limiter leur dépendance au plastique dans la mode comme dans d’autres secteurs. Dans l’univers textile, des marques comme Patagonia ou Veja font figure de pionnières. Elles privilégient les matériaux recyclés, adoptent des modèles circulaires et publient des bilans d’impact détaillés.

Un autre exemple est Lipton, qui remplace ses sachets de thé par des versions compostables à base de plantes, réduisant ainsi l’usage de plastique non biodégradable dans un produit du quotidien. Quant à Danone, elle s’est fixée pour objectif que 100 % de ses emballages soient réutilisables, recyclables ou compostables d’ici 2030, notamment pour ses marques d’eau et ses produits laitiers.

Jeans stretch, leggings ou robes bon marché sont autant d’exemples de textiles synthétiques que nous portons directement sur la peau, souvent sans en avoir conscience»

Quelles stratégies adopter pour limiter la pollution plastique liée à la mode ? 

Le changement commence dans nos placards. Des gestes simples sont d’acheter moins mais mieux, de privilégier les matières naturelles et d’opter pour l’occasion, la location ou l’échange. Surtout de résister à l’achat impulsif !

Les échanges ou la location de vêtements peuvent-ils vraiment faire la différence ? 

Oui, surtout pour les pièces à usage ponctuel comme les tenues d’événements. En prolongeant la durée de vie des vêtements et en réduisant la demande de neuf, la mode circulaire offre une alternative durable et intelligente.

35 % des microplastiques présents dans les océans proviennent des textiles synthétiques»

Comment accompagnez-vous les marques vers une communication plus durable ? 

Mon rôle consiste à aider les marques à passer du simple storytelling à une transformation stratégique profonde. Cela commence par une remise en question de leur modèle économique, de leur chaîne de valeur et de leurs produits, mais aussi de leur rôle dans la société.

Je co-construis avec elles des récits authentiques, inclusifs et porteurs de sens qui ne vendent pas seulement un produit mais un engagement envers le bien-être des communautés, des collaborateurs, des consommateurs et de la planète, sans sacrifier la désirabilité ni la créativité. 

Pour moi, un marketing durable ne se résume pas à cocher des cases CSR. C’est bâtir un modèle où performance économique rime avec justice sociale et régénération écologique. Et surtout, c’est inclure les voix trop souvent oubliées – producteurs, employés et clients – dans la conversation.

Est-il possible de promouvoir la mode tout en respectant l’environnement ? 

C’est précisément le défi à relever. Il est temps de revaloriser la durabilité, l’artisanat et la qualité comme de nouveaux symboles de style et de statut. Une mode responsable peut être tout aussi désirable à condition de redéfinir ce que nous valorisons.

Quelles actions les autorités peuvent-elles entreprendre ?

Les pouvoirs publics ont un rôle essentiel à jouer pour accélérer la transition vers une mode durable. Cela passe par imposer la transparence sur les matériaux, les origines, le cycle de vie, l’empreinte carbone et la libération de microplastiques via un éco-score clair et réglementé à l’image de l’initiative française. Aussi, de soutenir l’innovation locale et circulaire par des subventions, des incitations fiscales et des labels crédibles comme GOTS, OEKO-TEX ou Fair Trade, et d’inclure les plus vulnérables, notamment producteurs, artisans et petites marques, en protégeant leurs emplois et en renforçant les filières locales. 

La solidarité communautaire peut être stimulée en finançant les filières de seconde main, les plateformes d’échange, les ateliers de réparation et en valorisant les initiatives qui prolongent la vie des vêtements au sein des communautés.

Pour clore cet entretien, que doivent retenir les consommateurs sur l’impact de la fast fashion ?

Le pouvoir est entre nos mains. Derrière chaque vêtement se cache une histoire : celle de ses matières, de ses fabricants et de son impact. Donc, choisissons des histoires qui respectent la planète et les êtres humains. La révolution textile ne viendra pas uniquement des stylistes. La mode est le miroir de notre époque. Il est temps qu’elle reflète davantage de conscience environnementale.

Le Saviez-vous ? 

Le plastique caché dans nos vêtements

  • 60 % des vêtements contiennent du plastique (polyester, nylon, élasthanne…).
  • Chaque lavage libère des microfibres plastiques qui polluent les océans.
  • 35 % des microplastiques marins proviennent de textiles synthétiques.

Le pouvoir du consommateur

  • Acheter moins, mais mieux.
  • Privilégier les matières naturelles, l’occasion et la location.
  • S’informer, questionner et ralentir l’impact de la fast fashion.

Bio Express

Une marketeuse engagée

Consultante en marketing digital et durable, Humairaa Mosaheb cumule plus de six ans d’expérience en stratégie marketing, communication digitale et développement de marques à l’échelle internationale. Diplômée en marketing digital de l’Oxford College of Marketing, elle a récemment enrichi son parcours avec une formation à l’Université de Cambridge dans le cadre du programme Sustainable Marketing, Media & Creative.

Animée par la conviction que la performance digitale peut et doit s’allier à l’impact environnemental, elle accompagne au quotidien des marques, agences et institutions à travers l’Afrique, l’Europe et l’océan Indien. Son objectif est de les aider à aligner leur stratégie marketing sur des ambitions de durabilité, sans compromettre leur croissance. 

« On a assez vendu d’illusions. Aujourd’hui, il est urgent de construire des récits qui inspirent une consommation plus responsable, respectueuse des humains et des ressources. En tant que marketeuse, je me sens responsable de ce que je pousse à l’écran », affirme-t-elle. Pour Humairaa Mosaheb, le marketing n’est pas qu’un outil de séduction, c’est un levier de transformation capable de réconcilier désirabilité, conscience sociale et régénération écologique.

 





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