Le Chief Marketing Officer, chef d’orchestre de la transformation de l’entreprise


À la croisée du marché, des clients et de l’entreprise, le Chief Marketing Officer (CMO) pilote les ventes d’aujourd’hui et prépare celles de demain, gère la performance des marques et des produits, connecte les différentes fonctions de l’entreprise pour une vision clients et employés uniforme, s’assure de la cohérence des initiatives et activations avec la vision de l’entreprise, se porte garant de l’expérience globale…

Une responsabilité au coeur du réacteur ?

“Le CMO est probablement le poste le plus en interaction avec toutes les dimensions de l’entreprise et son périmètre prend de plus en plus de poids dans les entreprises orientées clients, note Cyril Vart, associé et vice-président de EY Fabernovel. Beaucoup de CMO deviennent des Chief Experience Officers et sont donneurs d’ordre auprès d’équipes sans pour autant être au contact au quotidien avec la clientèle comme le support client, les retours, la comptabilité ou les relations avec les fournisseurs. Ils doivent aussi recoordonner les décisions pour vérifier l’opérabilité des actions marketing dans le cycle de production.”

Dans un univers drivé par la demande, où les canaux de distribution se multiplient à l’infini, on lui demande aussi de contribuer à la croissance. Le CMO n’est plus un bâtisseur de marques mais de connexions et le point central de l’innovation. Il construit des programmes qui créent le plus de points de contacts possible avec les consommateurs et les plateformes où ils se trouvent”, ajoute Alexandre Mahé, associé EY Fabernovel en charge du digital et du secteur consumer.

Ces dernières années, le métier du CMO et de ses équipes a beaucoup évolué. Aujourd’hui tout est digital et l’intelligence artificielle n’est déjà plus dans un coin. Le marketing est devenu un sujet beaucoup plus mathématique avec, derrière chaque chose, une capacité à monitorer, à prévoir et à mesurer. On peut presque avoir l’impression que le CMO a un joystick dans les mains et que l’on a – parfois un peu à tort – gommé l’intuition de la fonction. Tout cela a nécessité beaucoup de formation, d’acculturation et d’accompagnement du changement, et l’intégration de nouveaux profils sur le marketing de la performance”, témoigne Florence Lemetais, directrice Marketing et Sales chez Fnac-Darty.

Chez Schneider Electric, la culture digitale a permis de rapprocher les vendeurs des clients et du marketing. Les avatars créés à partir des comportements clients sur le numérique, les réseaux sociaux et les influenceurs nous permettent d’informer les clients et prospects sur les solutions les plus pertinentes pour réduire leur facture énergétique, en nous plaçant dans une démarche d’accompagnement et plus de saturation de messages”, explique Christophe Melle, vice-président Marketing & Communication, membre du comité de direction de Schneider Electric France.

Des frontières plus proches entre marketing, ventes et RSE

Les directions marketing embrassent de plus en plus de fonctions auparavant circonscrites à d’autres directions qui les rapprochent notamment des ventes ou de la RSE. A plus forte raison chez Schneider Electric, désignée entreprise la plus durable au monde dans le classement Global 100 de Corporate Knights en 2025 et 2021, et par Time en 2024 et 2025. Cette vision commence par le développement car tous nos produits et services doivent permettre aux clients d’être plus durables. Le CMO et la communication interne doivent aussi équiper les employés pour qu’ils les accompagnent dans ces projets de transformation”, note Christophe Melle, vice-président Marketing & Communication de la filiale française. La campagne Impact Makers, mettant en avant des décideurs d’entreprise s’adressant à leurs pairs, a d’ailleurs été doublée d’un volet Impact start with us ! pour les salariés. Fnac Darty, qui a aussi mis la durabilité au coeur de son plan stratégique – Everyday lancé en 2021 puis Beyond everyday en 2025 – accompagne sur ce sujet ses collaborateurs mais aussi ses fournisseurs. Quand on leur dit qu’un produit dont l’indice de durabilité n’est pas assez haut sortira de l’assortiment, les discussions ne sont plus les mêmes que lorsqu’on parlait argent et marge, souligne Florence Lemetais, directrice Marketing et Sales. On continue à le faire, mais en ajoutant qu’en-dessous de tel indice le produit n’entre pas dans la stratégie d’assortiment ou que, si l’indice se dégrade, il y aura un bonus-malus. C’est très nouveau dans la manière de travailler avec les fournisseurs.”

Leader de la transformation des modèles d’affaires

Dans des entreprises dont les modèles ne cessent d’être percutés par les attentes des clients, le fait écologique, les réglementations ou les évolutions de la technologie, le rôle du CMO s’avère central. Ou, tout au moins, il devrait l’être… La réinvention du business model est souvent portée directement par les directions générales. Face à des externalités de plus en plus contraignantes, c’est pourtant le directeur marketing, connecté aux évolutions des attentes client, qui devrait être leader des transformations des modèles d’affaires et de la manière dont on réorganise l’entreprise pour y parvenir”, assure Jean-Christophe Bertrand, associé Customer Transformation chez PwC France et Maghreb.

L’édition spéciale “Prospective Marketing 2034” de l’étude CMO Profiles, menée par l’Adetem à l’occasion de ses 70 ans en partenariat avec PwC et BVA Xsight, met en lumière une tout autre réalité. 37 % des directeurs marketing interrogés considèrent que leur fonction est moins valorisée que les autres fonctions de l’entreprise (+7 points par rapport à 2023).

Selon le consultant, pour devenir pleinement moteur de la transformation de l’entreprise, le marketing doit réaffirmer son rôle de business partner et redevenir plus stratégique : Demain, on n’attendra plus du CMO qu’il lance des campagnes de push ou de promotion produit avec tout ce que permettent la data, les technologies ou l’IA, mais qu’il pratique un marketing d’influence beaucoup plus connecté au terrain. Et surtout qu’il endosse un rôle d’orchestrateur et de stratège en éclairant la direction générale sur les évolutions des offres et des modèles, en repérant les tendances à ne pas rater et en comprenant comment intégrer les attentes des consommateurs dans les mécanismes de décision. C’est en se réappropriant ce rôle que la fonction marketing réussira à être davantage entendue.”

Beaucoup d’accompagnement dans le changement

Tout cela nécessite une bonne dose de diplomatie et une solide force de conviction. Individuellement, chacun dans son périmètre a envie d’évoluer mais le collectif est plus fort que la somme des individualités et difficile à faire bouger. Le changement demande beaucoup d’accompagnement, de témoignages, de preuves par l’exemple et, au final, beaucoup de patience. Sur beaucoup de sujets, des ambassadeurs permettent de convaincre et de former des premiers collaborateurs. À un moment – on ne sait pas toujours pourquoi – les autres suivent”, observe Florence Lemetais.

La tâche est encore plus ardue quand le contexte économique se tend. Les équipes sont alors moins ouvertes au changement que lorsque tous les indicateurs sont au vert”, atteste Benoit Menard, Senior Marketing Directeur de Puma Europe. Les échanges intra groupe sont alors bien utiles pour favoriser l’émulation. Sur notre groupe WhatsApp Europe, on peut voir chaque jour les activations intéressantes et les bonnes pratiques lancées par Londres, Barcelone… Il n’est pas rare qu’un mois ou deux plus tard, un autre pays les adopte”, ajoute-t-il. Pour accélérer, il s’est forgé quelques convictions : d’abord faire parler les consommateurs dans des études qualitatives (voir encadré), adapter la forme du discours à son audience, choisir ses combats et, parfois, savoir suspendre une action ou faire un pas en arrière pour laisser passer la vague.

Pas question en revanche de lever le pied sur l’IA, qui est à l’agenda de toutes les entreprises mais suscite de nombreuses craintes. L’appréhension est surtout liée à la méconnaissance, avance Christophe Melle. Selon nous, chaque évolution technologique est une opportunité pour apporter de la valeur. Nos employés – comme le comité de direction France – ont été formés à l’IA. Après la formation, tous deviennent promoteurs et sont prêts à utiliser ces outils qui les soulagent de nombreuses tâches ingrates.”

Chez Fnac Darty, 100 % des collaborateurs ont aussi été formés, chaque discipline étant d’ailleurs chargée de développer un cas d’usage qui tournait grâce à l’IA. Ce travail a été central l’année dernière et, en 2025, nous passons à l’échelle les choses intéressantes. L’IA a bouleversé le travail de l’assistante au chef de produit ou à l’acheteur et beaucoup changé nos organisations”, confirme Florence Lemetais.

Pour elle, le rôle du CMO consiste aussi à penser ce que doivent être les organisations en dehors de l’écosystème interne”, à l’image du partenariat stratégique noué par Fnac Darty avec Publicis pour réinventer son modèle de production et d’activation des opérations commerciales. Si les chantiers ne manquent pas pour une fonction marketing en pleine évolution, c’est sans doute en interne que doit se mener un de ses combats les plus importants, considère Alexandre Mahé : Le CMO doit aligner tout le Comex sur la stratégie de l’entreprise alors que, la plupart du temps, il n’en fait pas partie. On ne peut pas faire peser autant de responsabilités sur ce poste sans l’intégrer dans des instances de décision où il aurait pourtant toute sa place.”

“À un moment, il faut pousser sa conviction”

Avant de lancer Go Wild, sa plus grande campagne mondiale à ce jour, Puma s’est appuyé sur une vaste étude consommateurs (plus de 10 000 personnes interrogées dans le monde), a travaillé avec ses agences de communication sur une plateforme de marque, puis présenté à l’ensemble des départements et services son nouveau positionnement de marque, dans lequel le sport est une forme d’expression de soi, une source de plaisir et un moyen de créer du lien social. Un gros travail a été nécessaire pour prouver qu’il valait mieux centraliser, mutualiser et réinvestir de manière massive dans les médias, plutôt que de multiplier les petites campagnes, explique Benoit Menard, Senior Marketing Directeur de Puma Europe. A un moment, il faut pousser sa conviction, prendre des risques et y aller en étant conscient que tout ne sera pas parfait. Il faut cinq à dix ans pour reconstruire une marque mais Go Wild commence déjà à porter ses fruits sur la préférence de marque, le NPS et les parts de marché.”



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