L’intelligence artificielle évolue à un rythme effréné, l’émergence des agents IA est un nouvel exemple de cet emballement. Alors que nous peinons tous à distinguer l’innovationL’innovation va de la compréhension (intuitive ou non) du comportement de l’acheteur à la capacité d’adaptation à l’environnement de l’enrobage marketing, nous nous sommes entretenus avec Ed Keisling, CAIO de Progress Software. Avec lui, nous avons tenté de comprendre ce que les agents IA offrent réellement aux entreprises d’aujourd’hui. Ed apporte un point de vue unique, à un moment où l’industrie proclame que c’est « l’année des agents ». Ses éclairages révèlent à la fois l’énorme potentiel et les limites actuelles de cette technologie transformatrice. Comme toujours, le temps est une variable incompressible de l’innovation.
Les agents IA, au-delà du bruit médiatique

L’émergence du Directeur IA : un impératif stratégique
La création de postes de Chief AI Officers (CAIOs) dans la Tech n’est pas qu’un effet de mode. C’est l’expression d’un changement fondamentalLe marketing fondamental est le chemin principal qui mène à la connaissance théorique du marketing. Mais que tirer de ses enseignements pour le B2B ? Lire la suite sur la page du glossaire dédiée au marketing fondamental (lettre “M”) dans la façon dont les entreprises perçoivent l’intelligence artificielle. Comme l’explique Ed : « L’IA doit devenir un pilier stratégique de l’entreprise dans le but de stimuler l’innovation et la croissance. Nommer un responsable de la veille et de l’étude des risques et opportunités de l’IA démontre l’acceptation de ces innovations ».
Cette observation est conforme avec nos observations des mécanismes habituels de transformation digitale au sens large des décennies précédentes. Les directeurs de la transformation digitale (CDOs) ont émergé, il fut un temps, pour guider la transformation numérique. Les CAIOs ont aujourd’hui pour rôle la transformation IA de leurs entités. Mais leur rôle ne consiste pas simplement à mettre en place des technologies. Il s’agit plus largement de mener des réflexions stratégiques, d’évaluer des risques. Cela comprend aussi l‘identification d‘opportunités business réelles dans un paysage en mutation rapide.

Définir les agents IA : au-delà des mode
L’un des défis les plus persistants dans le domaine de l’IA est la confusion autour de la terminologie. Les agents IA, en particulier, sont devenus un terme fourre-tout qui a un sens différent pour chacun. Ed apporte une clarification utile en positionnant les agents sur le spectre des capacités offertes par les technologies IA.
« Quand l’IA générative est apparue, elle était principalement réactive », note Ed. « On allait sur ChatGPT, on fournissait une requête, et celui-ci « générait » une réponse basée sur ses modèles d’entraînement. Les agents proposent une avancée en termes de fonctionnalités IA. Ils offrent la capacité de percevoir leur environnement. Ceci couvre l’accès à l’audio, la vidéo, les documents. Et surtout, la capacité de raisonner, planifier, et apprendre de leurs actions. »

L’automatisation classique repose sur des systèmes basés sur des règles strictes. L’équivalent numériqueDéfinition marketing digital, un terme utilisé en permanence et pourtant bien mal compris car mal défini de la logique « if-then-else ». Les chatbots, bien que plus sophistiqués, restent principalement réactifs. Les agents IA, quant à eux, représentent une avancée dans le sens de la « proactivité« . Ils sont capables de « raisonnements » et peuvent s’adapter aux circonstances.
Cette évolution ne s’arrête pas là, cependant. Ed parle du concept plus large d’« IA agentique ». Cela signifie que des agents collaborent, se basant sur le contexte pour accomplir des tâches complexes. Cela représente le Graal de l’automatisation IA. Des systèmes qui peuvent s’adapter dynamiquement aux situations en temps réel sans intervention humaine continue.
La dure réalité : pourquoi l’automatisation parfaite reste une chimère
Malgré ces promesses enthousiasmantes, Ed nous ramène à la réalité des faits sur les capacités actuelles des agents IA. Il s’appuie ainsi sur la règle de Pareto : « L’IA est la manifestation ultime de la règle du 80/20. Avec 20 % de l’effort, vous pouvez rapidement obtenir 80 % du résultat désiré. Mais faire fonctionner l’IA correctement à 100 % du temps reste excessivement difficile ».
Ce constat explique pourquoi les démonstrations d’IA paraissent si bluffantes à l’inverse des implémentations sur le terrain qui ne sont pas toujours à la hauteur des attentes.
L’écart entre la preuve de concept et les systèmes de production reste significatif. Pour arriver à un système stable, il faut une bonne planification, des données propres, et des processus business bien définis. Comme Alphone Karr, j’ajouterais que « plus ça change, plus c’est la même chose ».
La technologie RAG : rendre l’IA pratique pour l’entreprise
Les agents IA ont encore des progrès à faire. En attendant, l’acquisition par Progress Software de Nuclia, un fournisseur de RAG (Retrieval Augmented Generation) agentique, démontre une application plus immédiate et pratique de l’IA. Ed explique le problème fondamental que résout le RAG. « Les grands modèles de langage ont été entraînés sur l’ensemble d’Internet. Cela leur fournit des connaissances générales étendues. Mais ils n’ont pas accès aux données stockées derrière des pare-feu ou sur les disques durs ».
Une limitation critique pour les entreprises. Bien que les modèles d’IA grand public soient « bluffants », selon l’expression consacrée, leur vraie valeur émerge quand ils peuvent accéder et raisonner sur des données propriétaires. La technologie RAG comble ce fossé. Elle permet aux organisations d’exploiter les capacités de raisonnement de l’IA tout en ancrant les réponses dans leur base de connaissances spécifique.
Les implications pratiques sont significatives. Comme le souligne Ed : « Les petites et moyennes entreprises disposent d’un grand nombre de données non structurées. Ces données audio, vidéo, fichiers de log, enregistrements, PDF, graphiques ont une valeur pour l’entreprise. Prises isolément cependant, celles-ci ne peuvent être indexées, retrouvées ni corrélées facilement ». La technologie RAG les rend accessibles et exploitables.

Séparer l’innovation de « l’IA-washing«
L’expérience d’Ed à la conférence AI4 fournit des éclairages précieux sur l’état actuel du secteur de l’IA. Son observation sur l’IA-washing est particulièrement pertinente : « On y a vu beaucoup d’IA-washing. Des entreprises qui n’étaient pas sûres de comprendre le problème à résoudre, avec des habillages très superficiels autour des grands modèles de langage (LLMs) destinés à résoudre des problèmes ponctuels. Cela donnait l’impression d’un marteau à la recherche d’un clou. »
Le facteur différenciant clé, selon Ed, réside dans l’approche axée sur la résolution de problèmes plutôt que sur la technologie. « L’IA vous permet de résoudre d’anciens problèmes de façon nouvelle et de rendre possible la résolution de problèmes apparemment insolubles. Réfléchir à produire un résultat concret, rendre les développeurs plus productifs, automatiser des workflows fastidieux, fournir de meilleurs insights qui n’étaient pas possibles auparavant… »
Cette perspective est en phase avec les courbes d’adoption des technologies antérieures. Les implémentations les plus réussies se concentrent sur des résultats concrets plutôt que de mettre en valeur les potentialités de la technologie.
La valeur de l’intelligence documentaire de ShareFile
ShareFile, la plateforme de Progress Software fournit des exemples concrets d’IA apportant une valeur business mesurable. La plateforme sert des équipes en contact avec la clientèleLe persona B2B permet de définir qui sont vos acheteurs cibles. dans des secteurs réglementés — cabinets médicaux, cabinets d’avocats, et comptables fiscaux — où la gestion documentaire est critique, mais chronophage.
Les implémentations IA sont pratiques et mesurables : « Avec cet outil, nous créons des listes organisées de documents appropriés selon votre situation. Au fur et à mesure que vous téléchargez des documents, nous pouvons déterminer lesquels se rapportent à quel critère. Nous avons observé un gain de temps substantiel : le travail est trois fois et demie plus rapide ».
Point encore plus important, ce système traite les préoccupations de sécurité auxquelles de nombreuses organisations font face. « Nous pouvons traiter les numéros de sécurité sociale, les informations personnelles, et les informations de cartes de crédit que vous ne voulez pas mettre en ligne. Cette seule fonctionnalité traite environ 35 000 documents par semaine. »
Ces exemples soulignent que la force de l’IA réside dans l’automatisation de tâches routinières tout en améliorant la sécurité et la précision. La valeur de l’IA ne réside pas seulement dans la vitesse. Cette technologie libère du temps pour que les professionnels se concentrent sur les tâches à haute valeur ajoutée et non les tâches administratives.
Le facteur humain : requalification vs remplacement
L’un des aspects les plus controversés de l’adoption de l’IA concerne l’impact sur l’emploi. La perspective d’Ed est pragmatique et rassurante : « L’IA provoque un remodelage de fond en comble du travail. Il offre aux employés une nouvelle compétence et une chance de s’améliorer, d’apprendre et de se réinventer. Si vous avez les ressources mentales et l’envie de progresser, vous pouvez devenir spécialiste en ce domaine, car aucun expert avec 5 à 10 d’expérience ne pourra venir vous concurrencer ».
Cette vision positive positionne l’IA comme un catalyseur plutôt qu’un remplaçant. Le vrai pouvoir de la technologie réside dans l’élimination des silos organisationnels pour permettre aux individus d’accomplir plus avec les bons outils et la formation. « Un employé sera maintenant capable de réaliser des tâches diverses s’il maîtrise les bonnes requêtes, lui offrant ainsi l’opportunité d’obtenir de meilleurs résultats et de générer plus de valeur pour l’organisation ».
Le message est clair : les organisations fortement productrices de valeur pour leurs clients n’ont rien à craindre d’un hypothétique « grand remplacement » par l’IA. Au contraire, elles devraient se concentrer sur la montée en compétences de leur main-d’œuvre pour exploiter efficacement ces nouvelles capacités.
Stratégies d’adoption pratiques pour l’avenir
Les recommandations d’Ed pour l’adoption de l’IA se concentrent sur des approches pratiques et incrémentales plutôt que sur des bonds transformationnels. « Il y a un énorme espace pour que les individus deviennent pleinement augmentés par l’IA. La majorité des gens utilisant l’IA aujourd’hui l’utilisent à la manière de Google, mais ils n’ont pas pris le temps de comprendre comment bien donner des instructions aux agents ni d’en utiliser les fonctionnalités avancées ».
Les implémentations les plus fructueuses commencent par des outils de productivité individuelle, tels que les synthèses de documents, l’assistance à la rédaction d’emails et la recherche interne, avant d’envisager des fonctionnalités « agentiques » plus complexes. Cette approche permet aux organisations de développer une culture de l’intelligence artificielle tout en démontrant une valeur ajoutée tangible.
En conclusion : se préparer positivement pour l’avenir sans croire aux miracles
Notre conversation avec Ed Keisling révèle que les agents IA recèlent à la fois un énorme potentiel et des limites importantes. La vision de systèmes IA entièrement autonomes reste largement un vœu pieux, même si les applications pratiques de la technologie IA livrent déjà une valeur business mesurable.
L’insight clé pour les dirigeants d’entreprise est l’importance d’attentes réalistes couplées à une préparation stratégique. Les agents IA ne sont pas encore prêts à remplacer les travailleurs humains, mais ils transforment déjà la façon dont nous travaillons. Les organisations qui se concentrent sur des applications pratiques, investissent dans le développement de leur potentiel humain et restent prudentes face aux promesses des éditeurs seront les mieux positionnées pour bénéficier de cette évolution technologique.
Et Ed Keisling de conclure : « Vous devez mettre vos opinions et biais personnels de côté et vous intéresser à ces technologies. C’est en prenant part au processus de transformation et aux débats que vous en comprendrez les limites. » Cette approche raisonnable qui consiste à embrasser la technologie tout en conservant un œil critique représente la meilleure voie pour le futur à l’ère des agents IA.
L’avenir des agents IA s’écrit aujourd’hui, non pas dans de grands effets de manche autour de l’intelligence artificielle générale, mais dans les applications pratiques qui résolvent de vrais problèmes business, un workflow automatisé après l’autre.
À propos d’Ed Keisling
Ed Keisling est le tout nouveau directeur IA de Progress Software Corporation, apportant plus de trois décennies d’expérience en leadership technologique. Il a précédemment officié comme vice-président senior de l’ingénierie pour la gestion d’infrastructure chez Progress, a été membre de l’équipe exécutive chez Vecna Technologies supervisant l’ingénierie, l’IT, les DevOps, le support, la gestion de programme et l’analytique, et a passé plus de 17 ans dans des rôles d’ingénierie senior chez Pegasystems. Se spécialisant dans les architectures de systèmes complexes, l’informatique dans le cloud, et la gestion d’infrastructures à grande échelle, Keisling est aussi mentor à travers le Programme Pathways de UNH et le Programme Undergraduate Practice Opportunities (UPOP) du MIT. Dans son nouveau rôle de CAIO, il dirige la stratégie IA de Progress et la transformation du portefeuille produit, reportant directement au PDG Yogesh Gupta.