Marion Berthaut : “


Marion Berthaud, vous étiez cofondatrice et dirigeante de Mobidys, une start-up nantaise dans le numérique. Dans quelles circonstances avez-vous été amenée à faire appel à l’association Apesa (Aide Psychologique pour les Entrepreneurs en Souffrance Aiguë) ?

Fin novembre 2024, mon entreprise d’une vingtaine de personnes, spécialisée dans l’IA appliquée aux troubles cognitifs, a été reprise à la barre du tribunal de commerce de Nantes. L’acquéreur est le groupe suédois avec lequel j’avais créé une joint-venture. Je suis en colère, car je n’ai rien vu venir. J’avais préparé une offre de reprise accompagnée par les salariés et adossée à un groupe industriel. Je pensais que cela allait me permettre de conserver mon entreprise, sauf que le groupe suédois a fait une offre supérieure à la mienne. J’ai manqué de lucidité et de gens compétents pour détecter les risques financiers. Les 30 années de ma vie professionnelle passées à construire ce projet sont détruites. C’est dur, très dur et je n’arrive pas à trouver de soutien psychologique.

Le 4 décembre 2024, vous envoyez un e-mail à l’Apesa. Que se passe-t-il après ?

Je suis rappelée dans les deux heures qui suivent. À ce moment, je suis partie m’enfermer à la montagne, seule avec un chien. Le psychologue me pose des questions que je ne comprends pas dans un premier temps. Puis, je réalise qu’il craint un risque de suicide. Cela me semble d’abord inconcevable. Mais je prends conscience que certains dirigeants en arrivent à cette extrémité… Je prends donc rendez-vous dans les jours qui suivent avec le psychologue qui m’accompagne aujourd’hui encore.

“Tu passes de 200 mails par jour à rien”

Ce praticien me dit que ce qui m’arrive est grave et qu’il ne faut pas le prendre à la légère. Je souffre d’un syndrome de stress post-traumatique. Perdre son entreprise, c’est comme un avion qui se crashe. C’est une perte de contrôle total. Tu passes de 200 mails par jour à rien. Les anciens collègues n’appellent pas. La perte de revenu est immédiate. Ton cerveau se met en mode survie, en mode guerrier. Tu es comme une forteresse pour mettre tout à distance. La colère masque l’angoisse. Elle empêche l’acceptation de ce qui est arrivé.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

L’enjeu est de s’entourer de gens ayant envers toi une bienveillance inconditionnelle, d’apprendre l’impuissance et de préparer l’après. Au-delà du cercle familial et amical, je suis accompagnée, outre mon psychologue, par 60 000 Rebonds. Cette association que, dans un premier temps, j’avais refusé de solliciter, car elle me paraissait s’adresser aux “loosers”, m’a donné deux conseils : montre les dents pour récupérer l’argent que te doit le repreneur, mais laisse courir le mandataire. Je suis accompagnée par un coach et un parrain, dont je n’ai pas compris l’utilité au début, mais qui est une personne ressource. Aujourd’hui, le “bébé” que j’ai construit continue à vivre sans moi, sans mes valeurs et c’est dur à accepter. Mais ce qui m’arrive, arrive aux autres et je vais survivre. J’essaie de reconstruire sur ce qui est toujours debout. Je n’ai toujours pas de revenu, je vis de prestations. Et je suis engagée dans un projet entrepreneurial visant à mettre l’IA au service de l’intérêt général.



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