Meta a confirmé lors de sa conférence investisseurs du troisième trimestre 2025 que son écosystème publicitaire automatisé Advantage+ avait atteint désormais un run-rate de 60 milliards de dollars, soit environ 51 milliards d’euros. Cette croissance rapide illustre une bascule structurelle avec des campagnes optimisées de bout en bout par des modèles d’intelligence artificielle.
La fin du ciblage manuel
Avec Advantage+, la plateforme automatise la quasi-totalité des leviers jadis confiés aux agences média : choix des audiences, allocation budgétaire, placements, et optimisation des résultats. L’outil, intégré aux modules “Ventes”, “Leads” et “Applications”, apprend en continu des performances pour ajuster les paramètres en temps réel. Selon Kenneth Dorell, Directeur des relations investisseurs de Meta, il s’agit d’un système “end-to-end” capable de sélectionner la meilleure combinaison de canaux et de formats pour maximiser le ROI.
Cette automatisation est renforcée par GEM et Andromeda, les nouveaux modèles de recommandation publicitaire de Meta. GEM serait désormais quatre fois plus efficace pour générer de la performance publicitaire à ressources égales, tandis qu’Andromeda a amélioré la qualité des publicités sur Facebook de 14 % après son déploiement sur les flux et Reels. En 2026, ces architectures seront généralisées à Instagram et Messenger.
L’agence face à un nouvel arbitrage
L’automatisation transforme significativement le rôle des agences média et des annonceurs, ainsi la valeur ne se situe plus dans la gestion opérationnelle des campagnes, mais dans la stratégie créative, la donnée propriétaire et la mesure de la performance. Autant dire que les agences n’ayant pas pris suffisamment tôt le virage vont être confrontées à une érosion rapide de leur modèle économique. Les équipes historiquement centrées sur l’achat d’espaces et l’optimisation manuelle des budgets voient leur savoir-faire remplacé par des architectures algorithmiques qui apprennent seules, en continu. Les marges sur la gestion d’opérations s’effondrent, tandis que la valeur se déplace vers la conception d’écosystèmes de données, la production d’actifs créatifs adaptés à l’IA et la capacité à interpréter les signaux issus des plateformes.
Pour survivre, les agences devront se repositionner en intégrateurs technologiques et stratèges de performance, capables d’articuler les outils propriétaires des marques avec les systèmes d’optimisation fermés de Meta, Google ou Amazon. Celles qui ne le feront pas deviendront de simples prestataires périphériques d’un marché désormais piloté par les algorithmes.
Autre point les budgets, auparavant fragmentés entre réseaux, formats et audiences, convergent vers une logique de pilotage par objectifs (“sales”, “app installs”, “leads”). Meta contrôle ainsi la totalité de la boucle d’optimisation, de la diffusion au résultat.
Pour les agences, la différenciation passera par la capacité à :
- concevoir des assets créatifs adaptés à l’IA de distribution,
- exploiter les signaux de performance fournis par la plateforme,
- articuler les données propriétaires des marques avec les API publicitaires de Meta.
La frontière entre création et media planning devient floue, les algorithmes choisissent où diffuser, les créatifs doivent désormais comprendre comment ils “lisent” les contenus.
Vers un modèle “AI-first” de performance publicitaire
Meta déploie aussi des modèles multimodaux pour mieux comprendre les contenus visuels. Selon le VP Finance Chad Heaton, ces modèles “précisent les mots-clés et les thématiques des vidéos et posts, améliorant la correspondance entre intérêt et diffusion”. En d’autres termes, la plateforme devient capable d’associer automatiquement une publicité à un contexte pertinent sans ciblage explicite.
Pour les marques, cela change la grammaire de la performance, le signal comportemental remplace le ciblage socio-démographique, et le contenu devient la variable stratégique de visibilité. L’algorithme détermine désormais la rencontre entre message et audience.
Une concentration du pouvoir publicitaire
En internalisant la donnée, les modèles et l’optimisation, Meta réduit encore l’espace de médiation laissé aux agences. L’écosystème publicitaire se concentre autour de quelques plateformes disposant du volume de signaux et des infrastructures IA nécessaires à l’apprentissage.
Si les annonceurs gagnent en efficacité immédiate, c’est au prix d’une dépendance structurelle. Les campagnes Advantage+ affichent des performances élevées, mais au sein d’un environnement opaque, où l’accès aux segments et le contrôle sur les arbitrages demeurent limités. Cette intégration totale, déjà visible chez Google et Amazon Ads, consacre une nouvelle hiérarchie du marché publicitaire : les agences glissent du rôle d’opérateurs à celui d’architectes d’écosystèmes de données et d’identité client, tandis que les marques se retrouvent à piloter leur croissance dans un cadre défini par les plateformes elles-mêmes.
La question n’est plus seulement celle de la performance, mais de la souveraineté marketing : ce modèle permettra-t-il encore aux marques de se développer durablement, ou vise-t-il avant tout à les rendre captives d’un système qu’elles ne maîtrisent plus, et où le client n’est pas roi.