IA générative effet de mode ou véritable révolution ?


L’IA générative est-elle un effet de mode ou une véritable « révolution« ? La révolution de l’IA fait couler beaucoup d’encre depuis l’avènement de ChatGPT, mais, derrière les discours marketing et les effets d’annonce, que se cache-t-il vraiment ? Pour décrypter cette transformation technologique majeure, j’ai eu le plaisir de recevoir deux experts reconnus du secteur : Alain Lefebvre, pionnier de l’informatique et fondateur de SQLi, réputé pour son regard critique et acéré, et Frédéric Cavazza, consultant spécialisé dans la transformation digitale et fondateur d’acculturation numérique. Ensemble, nous avons exploré les réalités de cette prétendue révolution, ses impacts concrets et les décalages entre les promesses et la réalité du terrain. A noter qu’Amélie Raoul, souffrante, n’a pu malheureusement nous rejoindre ce jour-là, mais que ce n’est que partie remise. 

IA générative : entre effet de mode et véritable révolution

IA révolution ou mirage
IA générative : effet de mode ou véritable révolution ? Un webinaire avec Frédéric Cavazza et Alain Lefebvre, Amélie étant souffrante, nous en organiserons un autre avec elle bientôt.

Effet de mode et IA à toutes les sauces, signe d’un manque de créativité ?

Notre discussion s’est ouverte sur les observations de Frédéric lors du récent salon Vivatech. Son constat est sans appel : « Toutes les solutions reposaient à peu près sur des agents chatbot et des agents intelligents. Ce sont des mots qu’on entendait prononcer toutes les 10 secondes et qu’on voyait sur deux stands sur trois. »

IA générative et effet de mode : ce n’est pas en plâtrant toutes les solutions du mot IA que l’on innove vraiment.

Cette uniformisation révèle selon lui une approche de facilité : « Je pense que cela peut s’expliquer par le fait que l’IA est un domaine complexe. Les modèles génératifs ont un fonctionnement et des avantages et des inconvénients qui sont compliqués à expliquer. Et en ce moment, la période est tendue. On ne peut pas se permettre de prendre le temps d’expliquer. Il faut vendre vite, beaucoup. Donc, on prend des raccourcis, c’est la tendance du moment. »

Alain Lefebvre établit un parallèle historique pertinent : « On est déjà passé par là. Il y a 15 ans, souvenez-vous avec Ajax. En gros, c’est un petit bout de JavaScript qui permet de ne pas recharger toute la page, mais qu’une portion de la page. Quand tout ça s’est standardisé, on en a mis partout, sur tous les sites web, toutes les applications en ligne, partout, partout, partout, en nous disant que ça allait être la révolution, que ça allait tout changer. »

L’AI-Washing : Un phénomène récurrent

L’analyse d’Alain Lefebvre met en lumière un phénomène préoccupant d’AI-washing généralisé. Il rappelle : « Il y avait eu une étude britannique qui était sortie juste après le CES, qui établissait que sur les exposants du CES, il y en avait au moins 40% qui mettaient en avant l’étiquette IA, et à l’époque, ce n’était pas IA générative, qui mettait en avant l’étiquette IA sans en avoir la moindre trace. Pas d’IA du tout. »

Effet de mode et IA générative
Il est temps de prendre un peu de recul par rapport à l’IA générative et son engouement — photo par antimuseum.com

Alain cite l’exemple édifiant de Wirecard : « Marcus Braun, qui était le CEO à l’époque, disait « on gagne, on est performant grâce à l’IA, nous on utilise l’IA à tous les étages ». Et quand, finalement, le scandale Wirecard s’est révélé, que le château de cartes s’est écroulé, qu’on a fait les audits, les auditeurs ont creusé, ils se sont aperçus que, à Wirecard, en fait, ils utilisaient de la feuille Excel classique. Il n’y avait pas plus d’IA que de beurre en branche. »

Le décalage entre engouement et adoption réelle

Frédéric Cavazza explique que : « Vous avez à disposition tout un tas d’études et de statistiques qui vous disent que le niveau d’adoption de ChatGPT est d’au moins 50-60%. En fait, la question, elle est mal posée. C’est que si vous demandez à un panel, est-ce que vous connaissez ChatGPT ? Est-ce que vous l’avez utilisé ? Il suffit d’avoir vu quelqu’un l’utiliser ou entendu quelqu’un l’utiliser ou d’y être allé une fois, sans trop toucher pour répondre oui. Donc ça, c’est un énorme biais. »

Pour Frédéric, la vraie mesure serait : « le pourcentage d’utilisateurs avancés, donc ceux qui ont une version payante. Et ceux qui font l’effort de faire des prompts structurés, voire de créer leurs propres agents. Et là, je pense qu’en termes d’adoption, ce ne serait pas du tout la même chose. »

Comprendre la technologie pour démystifier les discours

Alain Lefebvre insiste sur l’importance de comprendre la nature réelle de ces systèmes : « Si on suit cette voie, on comprend vite de quoi il s’agit. Il s’agit de systèmes statistiques. Et une fois qu’on a compris ça, intégré ça, cela explique énormément de choses. »

Il dénonce l’usage abusif du terme « hallucination » : « On nous dit, ces systèmes hallucinent, c’est un problème, etc. Bon, déjà, hallucination, c’est un contresens absolu, parce qu’une hallucination, c’est une preuve qu’on est doté de sens, c’est-à-dire que vos sens vous renvoient à une réalité qui n’existe pas. Il n’y a pas d’hallucinations avec ces systèmes. C’est un anthropomorphisme voulu, poussé par les promoteurs de l’IA. »

Le terme technique correct selon Frédéric est la « confabulation« . Alain poursuit : « En vérité, tous ces systèmes hallucinent, je reprends le terme à dessein, puisqu’il a été mis en avant ou confabulent. Parce que c’est une caractéristique de leur conception. À la base, ils cherchent l’élément à mettre en face du prompt, qui est le plus probable. C’est de l’autocomplete. Ce n’est pas autre chose, ce n’est pas différent. »

L’IA au-delà du génératif

Frédéric Cavazza rappelle une vérité essentielle : « En fait, l’intelligence artificielle, ce n’est pas une technologie, ce n’est pas un outil, c’est un concept. C’est l’idée qu’on puisse utiliser les ordinateurs pour réfléchir à notre place. »

Il distingue les approches : « On a différentes approches. On a des approches logiques avec les arbres de décision, on a des approches statistiques avec les modèles discriminatifs et on a des approches génératives, probabilistes, avec les modèles génératifs qu’on connaît aujourd’hui. On a tendance à faire l’amalgame. Les IA génératives captent toute la lumière, alors qu’il y a tous les autres usages qui, eux, fonctionnent très bien et que l’on maîtrise parfaitement. »

Les limites actuelles et futures

Selon Frédéric, les modèles de langage atteignent déjà leurs limites : « Yann Le Cun, qui est le patron de la R&D chez Meta, a déclaré qu’on avait fait le tour des modèles de langage. Là-dessus, il a raison puisqu’on a déjà récupéré tous les contenus qui sont à notre disposition pour entraîner les modèles. Donc, les modèles tels qu’ils existent aujourd’hui ne pourront plus progresser, ils subiront des progressions à la marge, car on n’a pas d’autres contenus à disposition. »

Alain Lefebvre soulève un problème critique : « Ces modèles sont d’une gloutonnerie invraisemblable. L’Internet tout entier ne leur suffit pas, mais ce n’est pas sans conséquence, parce qu’ils recrachent des contenus qui viennent polluer l’Internet. Il n’y a pas besoin de beaucoup de générations pour comprendre qu’au bout d’un moment, ils ne pourront plus rien générer de compréhensible. »

La résistance au changement : une réalité cachée

Contrairement aux idées reçues, Frédéric observe sur le terrain une résistance significative : « Venez avec moi en formation et vous verrez de vos yeux des gens qui, physiquement, rejettent l’IA. Ce sont des gens qui disent que physiquement, ils ne veulent pas toucher à l’IA, tellement ça leur fait peur. Je vous jure, cela m’est arrivé plusieurs fois dans plusieurs entreprises différentes. On ne mesure pas à quel point l’IA fait peur, elle terrorise et elle crée un stress énorme sur des salariés qui étaient déjà pressurisés à cause du numérique. »

Les applications pratiques : entre promesses et réalité

Malgré les critiques, certains usages montrent des résultats concrets. Alain Lefebvre cite l’exemple d’une publicité pour Kalshi : « Le créatif a fait pour un budget de 2 000 dollars, 30 secondes pour 2 000 dollars. Au lieu de 80 000 dollars. Et c’est tout en IA. »

Cependant, il nuance : « Ce qui est intéressant, c’est que le prestataire qui a réalisé ce spot dit que pour réaliser ça, pour 30 secondes, il a fait environ 400 itérations de ces petits bouts de 5 secondes. Donc, on voit que la créativité est en train de glisser vers un autre type de compétences, de constance, d’acharnement, à faire des itérations. »

L’impact économique : un paradoxe persistant

J’ai soulevé le paradoxe de Solow appliqué à l’IA : « 36 ans après l’invention du web, on met encore en doute son impact économique réel. Risque-t-on le même scénario avec l’IA générative ? »

Frédéric répond : « Peut-être, mais il faudra longtemps pour qu’on sache la vérité. Je vous rappelle pour mémoire que nous n’avons toujours pas fait le bilan du web. Est-ce qu’on vit mieux avec le web ? Est-ce qu’on vit mieux avec les smartphones et les médias sociaux ? Chacun de nous a la réponse, mais personne n’ose le dire. »

C’était d’ailleurs le sens de ma remarque.

La propagande technologique à l’origine de l’effet de mode de l’IA

Alain Lefebvre dénonce avec véhémence ce qu’il appelle la « propagande » autour de l’IA : « On a une propagande qui est terrible. Je n’hésite pas à dire nocive, massive. Qui est une propagande solutionniste. Ce n’est pas la première fois. Cela fait 30 ans qu’on nous « balance » du solutionnisme pour tout, y compris vous vivrez éternellement. »

Il cite l’exemple de Sam Altman : « Sam Altman dit sérieusement que finalement, la solution pour avoir de l’énergie, pour alimenter ces méga data centers, ce serait de faire une sphère de Dyson. Là, on a franchi toutes les limites. On voit que ce type est soit complètement fou, soit il se moque de nous. »

IA générative : effet de mode ou véritable révolution ?

En conclusion de ce webinaire, cette révolution de l’IA tant annoncée cache finalement une réalité plus nuancée que les discours marketing voudraient nous le faire croire. Entre les effets de mode, l’AI-washing généralisé et les véritables innovations, il devient crucial de garder un regard critique et factuel sur ces technologies.

Comme le souligne judicieusement Alain Lefebvre, nous sommes face à des outils statistiques sophistiqués, certes puissants, mais loin de l’intelligence générale artificielle promise. Frédéric Cavazza nous rappelle que l’adoption réelle reste limitée aux utilisateurs avancés, tandis que la résistance au changement demeure plus forte qu’anticipé.

La révolution de l’IA se fera probablement, mais de manière plus progressive et pragmatique que les prophéties technologiques ne le prédisent. Il convient donc de temporiser, de prendre du recul pour mieux appréhender ces outils, sans céder au FOMO ambiant ni aux discours apocalyptiques. Car comme l’histoire technologique nous l’enseigne, les vraies révolutions prennent du temps à se déployer et leurs impacts réels ne se mesurent qu’avec le recul nécessaire.

La révolution de l’IA se fera probablement, mais de manière plus progressive et pragmatique que les prophéties technologiques ne le prédisent – image produite avec Midjourney

À noter que nombre de détails sont manquants dans ce résumé, qui occulte volontairement mes interventions. Consultez la vidéo ci-dessous pour ne rien manquer des questions pertinentes des participants et des réponses des intervenants.

 La vidéo de l’événement du 26 juin 2025 sur IA effet de mode ou véritable révolution.



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